« l’École de danse », de Carlo Goldoni, atelier Projet d’éducation artistique et culturelle du lycée à option théâtre Auguste‑Renoir à Asnières‑sur‑Seine

« l’École de danse » © D.R.

Le théâtre fait toujours danser la jeunesse !

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

Vingt lycéens d’Asnières présentent la restitution du travail de jeu théâtral accompli au cours des sept derniers mois, dans leur atelier P.É.A.C. ¹. En confrontant la comédie de Goldoni « l’École de danse » au plateau, ils ont fait l’expérience de la dramaturgie et de la mise en scène, sous le double regard de l’artiste Marc Prin ² et de la professeur de théâtre Fabienne Peyrou ³. Retour sur un processus de création réjouissant !

Comme ils rayonnent, ces adolescents, sous les feux de la rampe de leur auditorium. Inscrits en option théâtre ou en passe de l’être, ces élèves de seconde, première ou terminale semblent suivre à la lettre les conseils du comédien prodigués juste avant la représentation : prendre du plaisir, s’appuyer sur le groupe ou le partenaire, utiliser leur énergie palpable pour être absolument présents. Ils donnent à voir une École de danse, aérée, coupée, interrogée sur son actualité, enlevée et chorale. Ils jouent plusieurs rôles (les protagonistes sont d’ailleurs interprétés par plusieurs jeunes) et se changent à vue – ce qui permet de s’amuser avec le masque et d’exhiber la théâtralité.

Tous occupent merveilleusement l’espace (scène, salle, balcons, escaliers), sont engagés, adoptent un jeu frontal et brisent le quatrième mur. Les dialogues ou monologues cohabitent ingénieusement sur le plateau avec des scènes de groupe et des chorégraphies. Enfin, les clichés sur la femme-objet sont exposés et détournés de façon burlesque. Ainsi, le rythme endiablé, la fluidité des enchaînements, la place accordée à la gestuelle et au corps, le mélange de comique et de réalisme, offrent‑ils une lecture à la fois spectaculaire, accessible et fine de la Scuola di ballo de Carlo Goldoni (1707-1793).

« l’École de danse » © D.R.
« l’École de danse » © D.R.

Rappelons que cette comédie en cinq actes en vers, remaniée en prose pour le public vénitien, montée deux fois par Lassalle, a pour intrigue un maître de danse qui veut s’enrichir sur le dos de son troupeau de danseurs affamés. En effet, cet ancien coiffeur, qui ignore tout de l’art chorégraphique, est devenu « Monsieur grâce à son habileté à estropier garçons et filles ». Rigadon, plus proche du type de Pantalon dans la commedia (avare, méchant, vif, amoureux, dupé) que de l’ex‑barbier Figaro, négocie des contrats mirifiques et mensongers avec l’aide de son courtier. Il cherche aussi à empêcher sa sœur de se marier, afin de ne pas gaspiller la dot. Mais la révolte sourd autour du barbon tyrannique, et elle vient de l’envie d’émancipation de la Femme.

Les questions posées par ce « Molière italien », désireux de rénover la commedia dell’arte et d’instruire par le rire, ont sans conteste aiguillonné l’appétit de l’enseignante, en amont du projet de l’atelier. Les propos sur un théâtre adaptant son style à la société du spectacle, sur le marchandage du corps, et sur les inégalités (sociales, ou entre hommes et femmes), font évidemment écho à notre époque. Le comédien et metteur en scène Marc Prin, avide de « s’enrichir de nouveaux points de vue », de « découvrir des textes » et de « nourrir son imaginaire », s’est pris au jeu de cette pièce du répertoire jugée d’abord vieillotte. Il a vite trouvé une liberté à l’intérieur de cette contrainte : ayant à l’esprit des films comme Show Girl ou la Grande Bellezza, il a imaginé un maître de troupe ou de cabaret, dans une boîte de nuit, un strip‑tease stéréotypé exécuté par des garçons, un directeur de casting évaluant des artistes sans mérite. C’est donc ainsi que le binôme complice et complémentaire a présenté la pièce aux élèves de l’atelier P.É.A.C. du mercredi : Fabienne a fourni une légère nourriture dramaturgique et a insisté sur le rôle joyeux et fédérateur de la danse pour souder le groupe, tandis que Marc a évoqué sa vision. En moins de deux, les jeunes sont entrés dans le ballet !

« l’École de danse » © D.R.
« l’École de danse » © D.R.

Des valeurs et fondamentaux du théâtre comme la solidarité, l’écoute, la confiance, la concentration, le regard.

Dans les coulisses de l’atelier

Rembobinons. Après trois séances (neuf heures) d’exercices ludiques transmettant « des valeurs et fondamentaux du théâtre comme la solidarité, l’écoute, la confiance, la concentration, le regard » (rapporte Margot dans son Journal de bord), la comédie est abordée mi-octobre. Puis, une séance de lecture à la table est organisée pour s’arrêter sur les enjeux du texte et susciter des envies. Chacun choisit alors un premier rôle, un rôle de repli, et un rôle de scène (éclairage, son, etc.). Le mercredi suivant, Fabienne donne un document contenant la distribution, les coupes, les modernisations, et incite chacun à tenir un journal des séances. À partir de là, le va-et-vient entre texte et plateau s’engage : quel plaisir d’observer ce travail de création par le trou de la serrure… L’idée est de partir du jeu pour comprendre les enjeux des scènes, de cerner les blocages, d’expliquer en direct. D’emblée, les jeunes proposent des idées de chorégraphies, de films sur la danse, des sons, des costumes et des objets. Marc hume l’atmosphère, prend la température. Les « camarades » sont vite invités à apprendre leur partition.

Dès lors, la magie opère rapidement dans le groupe qui fait preuve de bienveillance, d’écoute et de bonne humeur. Nulle réticence face aux propositions « étranges » de l’artiste : une ouverture dansée où les acteurs invitent les spectateurs à boire et manger des bonbons, dans une boîte de nuit ou sur le plateau d’une émission de télé-réalité. Une chorégraphie sexy de garçons déguisés en lapins sera ajoutée pour questionner le corps de la femme objectivé par le regard masculin, et, plus largement, le besoin d’exister à travers une image imposée par la société de consommation. Dans le même ordre d’idée, le comte et Rigadon, amoureux de la danseuse Giuseppina, seront pris en charge par des garçons et par des filles. Non seulement cette piste permet de se gausser des rituels de séduction du couple, mais elle flirte avec l’ambiguïté sexuelle (une vieille convention au théâtre) ! Bien sûr, c’est en testant eux-mêmes ces possibilités, en proposant des idées personnelles, que les jeunes cernent de mieux en mieux les enjeux dramaturgiques du texte.

« l’École de danse » © D.R.
« l’École de danse » © D.R.

Sous les lumières, on est électrisé, ouvert ; même sur une chaise on est prêt à bouffer du plateau, sinon on reste chez soi.

Le décor prend également forme : un fauteuil surélevé de maître-nageur, des panneaux et des chaises deviennent des ressorts pour jouer. Rigadon perché sur sa chaise haute, désabusé, tiendra-t‑il un bâton de maître (à danser) ? Sera-t‑il en maillot de bain, engoncé dans une bouée de canard après une nuit d’orgie ? Après quelques tentatives, il est certain qu’il ressemblera au jury de « Danse avec les stars » lorsqu’il critique vertement Felicita ! Pendant ce temps, les autres danseurs sont présents : ils s’étirent sur leur chaise (on est dans une salle de répétitions après tout !), ils se changent, se réconfortent, passent le balai, restent assis mais actifs. Marc souligne avec humour que « sous les lumières, on est électrisé, ouvert ; même sur une chaise on est prêt à bouffer du plateau, sinon on reste chez soi ». Les chaises ont effectivement de multiples fonctions dans le spectacle : elles montrent les acteurs en coulisses, elles permettent aux amoureux de flotter au‑dessus du sol (emportés par l’air de la « Chanson de Maxence » de Demy) ; elles facilitent la transition entre la dernière scène des mariages et le banquet final – un écho à l’ouverture.

De novembre à janvier, la troupe met donc en jeu les scènes coupées de la pièce, dans l’ordre. La professeur de théâtre, à la table, souffle le texte, vérifie qui est qui, quel personnage entre et sort. Si nécessaire, elle recentre le groupe, insiste sur l’écoute, explicite avec eux l’enjeu d’une scène, la psychologie ou les intentions. De son côté, l’artiste, met l’accent sur sur la mémoire, « un muscle qui s’entretient ». Il souligne l’importance de la voix (un « tempo naturel » mais destiné à être entendu au fond de la salle, des propos articulés et digérés, car « c’est le sens des mots qui donne l’énergie de la scène »). Parallèlement, il fait travailler l’adresse, le regard, la présence, la nécessité d’un corps « ancré ». Les passages appris, projetés ainsi sur scène et mis en espace, acquièrent une autre dimension. L’équipe réfléchit en live à la gestuelle, aux déplacements, aux entrées et sorties, à l’occupation du dispositif scénique et de la salle.

« l’École de danse » © D.R.
« l’École de danse » © D.R.

Marc Prin, riche d’un univers, d’une formation (clown, commedia dell’arte, théâtre contemporain, cinéma, télévision) et d’une pratique (comédien, metteur en scène, directeur de compagnie, intervenant artistique dans divers ateliers), propose beaucoup, observe les réactions, et modifie. Dans ce projet, il vise le plaisir, non la formation d’acteurs. Malgré tout, « le corps et la voix jouent, car la situation l’exige ». De janvier à mars, la troupe reprend encore les chorégraphies et le déroulé de la pièce : elle approfondit des virtualités, réinvente, peaufine. Marc ne participant que sur quinze séances de trois heures, Fabienne fait alors répéter ce qui a été travaillé, fait attention à la cohérence de l’ensemble. Elle avance en essayant différentes propositions soumises ensuite à Marc (elle ne manque guère d’idées de mise en scène !). En outre, elle gère le planning, organise les répétitions du week-end, dirige le filage, règle les lumières, veille au rangement de l’auditorium, prépare les flyers et les billets-coupons, accueille le public. Cette superwoman programme aussi des sorties avec le groupe au théâtre partenaire les Amandiers, ainsi qu’au T.2.G., à l’Odéon et à l’espace 89 (« l’école du spectateur » faisant partie du projet).

Work in progress

Parmi les trouvailles scéniques de la petite troupe, notons le jeu burlesque du personnage de Lucrezia, lorsqu’elle tente de « vendre » sa fille à Rigadon : voyant que les danseurs se moquent d’elle (grognent‑ils comme des cochons ?), elle hausse le ton et poursuit son évaluation de la « bête » qu’elle malaxe allègrement. Autre moment savoureux : le comte se présente chez le maître à danser pour voir sa chère Giuseppina ; en attendant, il reluque avec gourmandise les autres danseuses qui se douchent derrière les panneaux, en fond de scène. Rigadon, jaloux, récompense la « faim » du noble en lui faisant payer le repas de toute l’école ! Faloppa, le serviteur du maître, parle en courant sur le plateau, comme dans un dessin animé, le visage tourné vers le public : Marc s’adaptant ici finement à la personnalité du jeune.

« l’École de danse » © D.R.
« l’École de danse » © D.R.

Relevons encore les scènes avec Mme Sciormand, la sœur de Rigadon : tantôt hystérique et ridicule, tantôt naturelle ou vulgaire, malgré son désir d’user d’un vocabulaire élégant. Son match verbal avec Rigadon est fameux et marque une inversion de leur rapport de forces. À partir de là, elle accueille sous ses jupes ou derrière le rideau tous les élans amoureux (des jeux de scène jubilatoires). Citons aussi la scène parodique de Roméo et Juliette au balcon, la rencontre de deux autres amoureux aimantés par leurs corps, les outrances de Rigadon, le double jeu du courtier, le strip-tease festif des « lapins », copies comiques de Beyoncé dans le clip Single Ladies ! Au final, la restitution de ce travail – toujours perfectible – atteste de la progression du groupe. Certains acteurs en herbe sont même impressionnants.

Sans nier les difficultés actuelles de « l’école », le théâtre permet donc « d’accompagner les adolescents sur le chemin de la culture, d’être dans le contemporain, la création, la réflexion artistique et citoyenne », confie l’enseignante. Cet art vivant « participe à la construction de soi avec l’autre et rend heureux des jeunes aux parcours différents ». Constituer, dixit le groupe, une « équipe », une « chouette famille » qui apprend, grâce au jeu, que dans la vie, « un pas en arrière, c’est toujours deux pas en avant », n’est‑ce pas, en effet, la plus belle joie ? « Le théâtre est ce qui sauve la jeunesse de mourir de l’idéal », affirme l’Adolescent dans Illusions comiques d’Olivier Py. Parions que le théâtre nous projette tous dans l’ivresse de l’avenir. 

Lorène de Bonnay

  1. Le Projet d’éducation artistique et culturelle (P.É.A.C.), fondé sur un travail interdisciplinaire et en partenariat, est l’un des moyens de mettre en œuvre le « parcours d’éducation artistique et culturelle » inscrit dans le projet global de formation de l’élève, de l’école au lycée. Ce dernier a pour ambition de favoriser l’égal accès de tous les élèves à l’art, à travers la fréquentation d’œuvres, la rencontre avec des artistes, la pratique artistique et l’acquisition de connaissances. Le but est de développer une culture personnelle, ouverte, citoyenne, engageant divers partenaires, et pouvant s’accomplir sur un temps scolaire ou non. Au lycée Auguste-Renoir d’Asnières, le projet d’atelier artistique de trois heures hebdomadaires, connecté à un programme de spectacles, a été élaboré par l’enseignante de théâtre Fabienne Peyrou, en accord avec le projet d’établissement et le rectorat. La structure partenaire est le Théâtre des Amandiers (très actif, en particulier grâce à Carole Zacharewicz, une chargée des relations publiques avec les scolaires zélée et passionnée).
  2. En mai prochain, Marc Prin reprend Shake de Dan Jemmet (d’après la Nuit des rois), au Théâtre Molière (Scène nationale de Sète et du bassin de Thau). Il prépare également une comédie autobiographique sur Jean Yann initulée Pourquoi m’as‑tu mordu l’oreille ? (texte de Julien Dieudonné), qui sera présentée en mars 2018 à l’Apostrophe scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val‑d’Oise. Il joue actuellement dans deux films : Sage-femme de Martin Provost et les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin. Enfin, il intervient dans plusieurs lycées à option théâtre : Montesquieu à Herblay (95), Sophie-Barat à Chatenay (92), Villon aux Mureaux (78).
  3. Fabienne Peyrou, professeur agrégée de lettres classiques, enseigne le théâtre depuis quinze ans (elle possède une certification « Théâtre », préside au jury du bac théâtre). En dehors de cet atelier qui implique un programme de sorties spectacles, elle est responsable de l’option facultative théâtre en première et terminale, et de l’option obligatoire en terminale littéraire.

l’École de danse, de Carlo Goldoni

Texte publié aux éditions Circé

Mise en scène : Marc Prin

Adaptation, assistante à la mise en scène, au décor, aux costumes, à la lumière, aux sons : Fabienne Peyrou

Avec : Soukaïna Assouli, Emma Berlier, Léo Blanc Di Pasquale, Jila Clesse Cuillandre, Théo Decrombrecque, Floriane Dornier, Outhman Fofana, Nadia Godje, Soraya Kirouane, Mathilda Lour, Tatiana Lour, Mariama Mounissens, Matéo Nezick, Naële Ouriet, Margot Perez, Anastasia Pruvost, Delphine San, Orégane Sorin, Clar Terrien, Gabriel Voisin

Partenaires : Théâtre Nanterre-Amandiers, l’action culturelle du rectorat de Versailles

Auditorium du lycée Auguste-Renoir • 137 rue du Ménil • 92600 Asnières‑sur‑Seine

Site du lycée : www.lyc-renoir-asnieres.ac-versailles.fr

Du 20 au 21 mars 2017 à 20 heures

Durée : 1 heure

2 €

 

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