Le confort tue la créativité
Par Alexandra Cartet
Les Trois Coups
Écrite le 26 décembre 1662, la célèbre pièce de Molière, « l’École des femmes », pose une question très contemporaine : quelle place pour la femme ? Voir cette pièce montée aujourd’hui prouve que c’est une question qui perdure. Jean‑Pierre Vincent en fait malheureusement une mise en scène ennuyeuse. Il ne propose aucune relecture de la pièce et en massacre même l’écriture. Les vers sont en effet écorchés à chaque prise de parole.
Première image, accrocheuse : le conventionnel rideau de théâtre est représenté ici par une peinture géante, avec quelques motifs naïfs aux couleurs vives, qui se détachent sur un fond blanc. Ce tableau annonce une modernité et une simplicité que Jean‑Pierre Vincent annihile dès l’entrée des deux premiers comédiens. En effet, Chrysalde et Arnolphe arrivent en scène de manière très convenue : ils surgissent du public tout en disant leur texte. Effet à succès il y a longtemps, totalement désuet aujourd’hui. Plus embêtant, le parti pris du metteur en scène apparaît dès que les comédiens mettent un pied sur le plateau : les vers ne sont pas respectés, le langage est traité de manière contemporaine. Horreur que de ne pas entendre les douze pieds de chaque alexandrin ! Ce choix de l’idiome actuel contraste avec les costumes, d’époque, eux !
Le décor contribue aussi à cette incohérence : sur un plateau tournant, une maison du xxe siècle en carton-pâte prend en charge les différents lieux de la pièce. De même, cette scénographie rappelle une fois encore les contradictions de la mise en scène. Car les façades de la maison, partiellement recouvertes de dessins de toits et d’immeubles, ressemblent à un décor futuriste et quasi irréel. Tout cela montre que Jean‑Pierre Vincent vacille entre modernité et classicisme. Même sa direction d’acteurs en pâtit : le cliché d’une Agnès naïve et idiote contraste avec le traitement d’un Arnolphe certes classique, mais par moments plus près de nos préoccupation actuelles. La fraîcheur qu’amène par instants Daniel Auteuil dans son jeu contraste malheureusement avec sa façon de traiter le texte.
Cette pièce très intéressante est malmenée par un metteur en scène qui finalement ne sait pas exactement comment la traiter. Ce spectacle fait partie de ces nombreuses mises en scène subventionnées qui manquent d’imagination. Le confort tue la créativité. L’École des femmes fait preuve de manque d’invention et de paresse. Une scène nationale, un décor gigantesque et des acteurs « stars » ne suffisent pas à monter un spectacle. J’en ai assez de voir des spectacles où la mise en scène et la nouveauté se réduisent à l’artifice visuel. Où est le texte ? Où est la chair des mots ? Le sublime ? Les comédiens sont, eux, assurément de bons acteurs : encore aurait-il fallu savoir en tirer le nectar. ¶
Alexandra Cartet
l’École des femmes, de Molière
Production Studio libre, Odéon-Théâtre de l’Europe
Mise en scène : Jean‑Pierre Vincent
Assistante à la mise en scène : Frédérique Plain
Avec : Daniel Auteuil, Jean‑Jacques Blanc, Bernard Bloch, Michèle Goddet, Pierre Gondard, Charlie Nelson, Lyn Thibault, Stéphane Varupenne
Dramaturgie : Bernard Chartreux
Décor : Jean‑Paul Chambas
Lumières : Alain Poisson
Costumes : Patrice Cauchetier
Maquillages : Suzanne Pisteur
Coiffures : Daniel Blanc
Assistante aux costumes : Anne Autran‑Dumour
Assistante au décor : Carole Metzner
Réalisation du décor : les Ateliers de l’Odéon-Théâtre de l’Europe
Photo : © Pascal Victor / ArtComArt
Théâtre de l’Odéon • place de l’Odéon • 75006 Paris
Réservations : 01 44 85 40 40
Du 24 janvier au 29 mars 2008, du mardi au samedi à 20 heures, le dimanche à 15 heures, relâche le lundi
De 30 € à 6 €