« les Années », d’Annie Ernaux, Théâtre national de Bretagne à Rennes

Dominique Blanc © Carole Bellaiche

Autobiographie impersonnelle

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Une comédienne aux mains nues dit le texte d’une femme qui raconte toutes les femmes et un peu plus. De l’art de la lecture.

Annie Ernaux a publié les Années en 2008. C’est un récit étonnant dont l’auteur dit elle-même, quand elle tente de définir son ouvrage, à la fin du volume : « Ce sera un récit glissant, dans un imparfait continu, absolu, dévorant le présent au fur et à mesure jusqu’à la dernière image d’une vie. […] Aucun “je” dans ce qu’elle voit comme une sorte d’autobiographie impersonnelle – mais “on” et “nous” – comme si, à son tour, elle faisait le récit des jours d’avant ». Quand elle ne dit pas « on » ou bien « nous », Annie Ernaux emploie la troisième personne « elle ». Cette prétendue impersonnalité n’en est pas une. C’est bien d’elle et de son histoire qu’il s’agit. Les photographies ou les séquences de films (nous ne les voyons pas) qui sont les lanceurs du récit la mettent bien en scène, elle. Et pourtant, son récit, c’est aussi notre histoire, et singulièrement celle des femmes, ses contemporaines.

Dans cette lecture mise en scène par Christine Letailleur, le récit commence par une photographie « d’une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets ». Nous sommes en août 1949, et elle va avoir neuf ans. La narration prend fin pendant la campagne pour l’élection présidentielle de 2007.

Ce qu’Annie Ernaux donne à lire, et ici à entendre, c’est l’histoire d’une petite soixantaine d’années. Mais ces quelques lustres ont probablement connu plus de bouleversements dans la vie sociale et la vie quotidienne que les siècles précédents. Les progrès technologiques et les changements intervenus dans les mœurs sont sans doute le plus notable avec l’effondrement des idéologies.

Les subtilités du texte

Christine Letailleur a imaginé un décor minimaliste : une table qui supporte quelques feuillets et une bougie allumée, une simple chaise, à l’avant de la scène sur un plateau nu. Dominique Blanc entre vêtue d’un costume sombre porté sur une chemise blanche ornée d’une cravate lâchement nouée. Sombres également, les cheveux sobrement tirés en arrière. Une fois assise à sa table, elle commence la lecture au long cours (une heure trente) et ne s’interrompt, rarement, que pour boire un peu d’eau.

Légèrement amplifiée, la voix perd un peu en nuances mais gagne en fermeté. En grande comédienne, Dominique Blanc sait rendre toutes les subtilités d’un texte qui n’en manque pas. Elle en montre bien l’humour, qui prend souvent les traits d’une ironie féroce. Elle sait faire sentir toute l’acuité du regard critique de l’auteur, et son autodérision que vient tempérer une certaine bienveillance. Les gestes sont peu nombreux et sans grande étendue à l’image de l’écriture distanciée d’Annie Ernaux.

Sous le charme, un public majoritairement féminin a réservé une longue ovation debout à un texte passionnant et à la grande lectrice qui l’a servi. 

Jean-François Picaut


Les Années, d’Annie Ernaux

Mise en scène : Christine Letailleur

Avec : Dominique Blanc

Photo : © Carole Bellaiche

Théâtre national de Bretagne • salle Vilar • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes

Réservations : 02 99 31 12 31

www.t-n-b.fr

Mardi 17 novembre 2015 à 20 heures

Durée : 1 h 30

5 €

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