« les Chatouilles ou la Danse de la colère », d’Andrea Bescond, le Tivoli à Montargis

les Chatouilles © Steffan M. Photography

À cor(ps) et à cri

Par Aurélie Plaut
Les Trois Coups

Entre danse et théâtre, « les Chatouilles ou la Danse de la colère » plonge le spectateur dans les souvenirs d’une victime de pédophilie. Un seul en scène qui traite d’un sujet difficile sans pour autant tomber dans le pathos.

Odette, c’est une petite fille de huit ans. Elle chante, elle dessine, elle rit, elle vit. Et puis un jour, Gilbert, un ami de ses parents, commet l’irréparable dans le confinement d’une salle de bains et lui vole son enfance. Ce sont les « chatouilles ». Ces gestes que le pédophile prétend d’amour et qui brisent la victime. Parce que non, ce n’est pas un jeu. Mais ça, l’enfant ne le sait pas… Alors, il subit. Il n’a pas le choix puisqu’il ne faut rien dire. Se taire pour ne pas faire de mal à l’entourage. Pour qu’on ne se moque pas de cet homme qui aime tant « jouer à la poupée ». Et il endure la violence indicible de son bourreau pendant des années. La colère s’installe. Elle prend possession de l’être tout entier, de l’esprit, du corps ; elle l’étouffe. Pour respirer, la petite fille danse. Elle laisse exprimer sa souffrance. C’est son exutoire. Et puis, Gilbert est jugé parce qu’elle a parlé. Enfin. Il est emprisonné. C’est le début de la reconstruction…

Le temps zéro de la narration a pour décor le cabinet d’une psychanalyste. Odette fait face à sa mère. Elles sont là pour avancer, se comprendre, tenter de cicatriser des plaies béantes pendant trente ans. La comédienne incarne à elle seule tous les personnages. Au fil de la prise de parole, elle raconte ses souvenirs. On plonge alors avec elle dans le passé, on vit son histoire. On ne quitte jamais la jolie Odette. Odette à huit ans dans sa chambre en présence de Gilbert. Odette à douze ans pendant un cours de danse. Odette au conservatoire et dans sa chambre d’interne. Odette et ses confidences à son poster de Rudolf Noureev, son idole. Odette dans des comédies musicales qui tournent en France et à l’étranger. Odette et sa déchéance lorsqu’elle sombre peu à peu dans la drogue et dans l’alcool parce que le souvenir monstrueux est trop insupportable et qu’il faut l’anéantir. Les images défilent devant nos yeux et ceux de sa mère qui l’écoute sans l’écouter, préférant s’asseoir et lire Femme actuelle plutôt que de prêter attention à une « histoire » qu’elle a déjà entendue maintes et maintes fois. Personnage ignoble qui rejette sa fille parce qu’elle se déteste elle-même de n’avoir rien vu, cette mère ne demande pas pardon. Là est son crime.

Le comique comme sas de décompression

Étonnamment, on rit. Le sujet est atroce, il fallait des bulles d’oxygène ! Elles sont là. Et bien là ! Le comique réside dans des personnages au caractère bien trempé : un directeur de casting d’une vulgarité sans bornes parce que dans le clip de rap qu’il va tourner, il veut « du cul ». Un dealer de banlieue casquetté, à la diction wesh-wesh et qui « planque » sa détresse derrière une agressivité presque touchante. Un policier haut en couleur qui, malgré l’abomination du crime dénoncé par Odette venue porter plainte, ne cache pas sa joie de pouvoir enfin confondre Gilbert. Toute la brigade boit même le champagne avec la victime et trinque à la « pénétration », seul acte qui permettra en fin de compte d’envoyer le pédophile devant une cour d’assises. Lui, qu’ils traquent depuis des années sans pouvoir l’incarcérer. On ne peut que reconnaître le talent d’interprète d’Andréa Bescond. Quelle aisance dans les changements de voix et d’attitudes ! Le public n’est jamais perdu. Pourtant, ils sont nombreux à avoir croisé le chemin d’Odette.

Mort, deuil, renaissance

Comme il était dangereux l’écueil du déballage racoleur ! Ici, pas de voyeurisme. Mais de la pudeur. Beaucoup. Pudeur des mots parce que le récit du viol, s’il résonne, ne se complaît pas dans l’évocation de détails sordides. De là naît la force de ce spectacle. Dire l’indicible haut et fort, le crier, sans pour autant céder la place à l’horreur. C’est le corps de la comédienne qui traduit la souffrance immense. Par la chorégraphie, il est secoué de spasmes et devient un miroir de l’âme. Elle est là l’intelligence de l’écriture d’Andréa Bescond et de la mise en scène d’Éric Métayer. Un plateau nu sur lequel évolue (au sens propre et figuré) un personnage universel. Mort, deuil, renaissance. Trois étapes de la reconstruction psychologique des victimes. Malgré tout, le message est optimiste : le bonheur peut exister même quand on a été brisé. En témoigne cette dernière image, celle d’Odette adulte qui prend la petite fille qu’elle était par la main pour lui dire que non, elle n’est pas coupable. Celle d’une femme qui affronte son « enfant intérieur », le regarde droit dans les yeux et l’apprivoise enfin.

Ce spectacle est fort, on en convient. Mais nous restons persuadés que certaines scènes auraient pu être écourtées (notamment celle qui évoque les cours de danse). Le propos aurait alors gagné en intensité et en émotion même s’il n’en est pas dénué. 

Aurélie Plaut


les Chatouilles ou la Danse de la colère, d’Andrea Bescond

Mise en scène : Éric Métayer

Avec : Andréa Bescond

Lumières : JeanYves de SaintFuscien

Son : Vincent Lustaud

Photo : © Steffan M. Photography

Production : Atelier Théâtre Actuel, Théâtre de la Bruyère et Kabotine

Le Tivoli • 2, rue Franklin-Roosevelt • 45200 Montargis

Réservations : 02 38 95 02 15

Du 5 au 6 novembre 2015

Durée : 1 h 20

19 € │ 15 € │ 12 €

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