« les Géants de la montagne », de Luigi Pirandello, la Colline à Paris

« les Géants de la montagne » © Élisabeth Carecchio

Metteur en scène en quête de personnages

Par Frédéric Nau
Les Trois Coups

Pour la troisième fois, Stéphane Braunschweig met en scène un Pirandello : par son inventivité visuelle, il tente de faire vivre une pièce alourdie par les obsessions du dramaturge.

Rêve ou réalité ? Sans surprise, le spectacle présenté par Stéphane Braunschweig en ce début de saison et associant deux œuvres de Pirandello reprend ce dilemme qui parcourt tout le théâtre de l’auteur italien. Dans une villa abandonnée vit à l’écart de toute société une bande de déshérités plus ou moins joyeux. Ceux-ci sont placés sous le bienveillant patronage de Cotrone, qui théorise pour eux le bonheur de renoncer à toutes les contraintes matérielles et d’évoluer dans un monde onirique entièrement issu de l’esprit.

Mais Cotrone a accepté d’accueillir une troupe d’acteurs menée par la Comtesse Ilse. Elle, qui s’était résolue, en se mariant, à ne plus monter sur scène, a entretenu la passion d’un jeune poète afin qu’il termine de composer une pièce dont elle pressentait le génie. Comme elle se dérobait, toutefois, à son amour, le jeune homme s’est suicidé et, depuis lors, Ilse n’a de cesse que de faire représenter le prétendu chef-d’œuvre, quitte à dilapider toute la fortune de son époux, le Comte. C’est donc un groupe passablement éprouvé qui se présente aux habitants de la villa, encouragé tout de même par la promesse de Cotrone qui leur a parlé de mystérieux géants, retirés dans la montagne, et susceptibles d’assister à la tragédie du jeune poète. En attendant, tous doivent passer la nuit à l’intérieur de la villa…

Commence alors le deuxième temps de la pièce. La demeure se métamorphose en véritable maison aux esprits, dans laquelle chacun est confronté à ses fantasmes et à ses angoisses, qui soudain prennent corps. Comme sous l’emprise d’une hallucination, les personnages se fondent dans ce royaume de l’illusion. L’œuvre écrite par Pirandello ne va pas plus loin, mais Stéphane Braunschweig a voulu que, dans un troisième acte, la comtesse et sa troupe interprètent finalement la pièce, qui porte le titre d’un livret effectivement rédigé par Pirandello pour un opéra, la Fable de l’enfant trouvé

Tout au long de cette intrigue pour le moins complexe, la mise en scène réussit à proposer des images très poétiques qui enrichissent avec justesse le sens du texte. Le premier tableau est le plus pictural. Les costumes pourraient sortir d’une installation de Pistoletto et évoquent une pauvreté à la fois réaliste et sublimée. Les personnages y sont comme des clochards célestes. Le deuxième tableau les jette au milieu des créatures de leur propre imagination, produisant autour d’eux comme un cinéma élémentaire, certes, mais pas moins labyrinthique. Échappés à cet univers incertain à la faveur du jour, ils prennent part à la Fable de l’enfant trouvé. Cette fois, et comme s’il était naturel d’en terminer par là, ce sont bien les codes du théâtre qui sont exhibés, d’un théâtre populaire du sud de l’Italie, avec sorcières et grimaces, sentiments hyperboliques et émouvants. Stéphane Braunschweig donne ainsi à voir une véritable trilogie en miniature, en dessinant (au sens propre, visuel) un parcours, du dénuement matériel à l’exubérance théâtrale en passant par le théâtre intérieur.

Il est, d’ailleurs, soutenu dans son travail par une excellente distribution. Dominique Reymond sait rendre sa comtesse parfaitement insaisissable, entre les instants d’émotion paroxystique confinant à la folie et les accès d’évidente complaisance histrionique. Face à elle, Claude Duparfait, habitué de la Colline, dévoile un aspect supplémentaire de son talent : s’il n’est guère surprenant de le retrouver incarnant, avec Cotrone, un troublant maître de cérémonie, il joue généralement moins nettement sur ses dons comiques. Romain Pierre relève aussi avec force le défi du rôle de Spizzi, l’acteur qui interprète l’enfant trouvé du troisième acte. Mais il faudrait détailler toute la distribution dans laquelle nul ne démérite.

Au bout du compte, si ce spectacle n’emporte pas complètement l’adhésion, la faute n’en revient donc ni au metteur en scène ni aux acteurs… mais peut-être à Pirandello lui-même ! Est-ce que ses Géants auraient pu être achevés ? Il avait prévu que ces spectateurs étranges, indifférents et cruels, écrasent la comtesse et sa troupe, comme si la chimère poursuivie par Ilse n’était décidément pas de ce monde, et, pas même destinée au théâtre, ne pouvait rester qu’une vue de l’esprit. Enfin, il est difficile de se défendre d’une certaine lassitude à voir le dramaturge ressasser ses personnages d’acteurs égarés entre fiction et réalité, à tel point que son théâtre semble parfois plus préoccupé de faire son propre éloge que de parler d’une vie qu’il peine à embrasser pleinement. Et Stéphane Braunschweig, comme ses acteurs, se retrouvent dans l’étonnante situation de chercher à donner chair à des personnages somme toute peu vivants et peu touchants. 

Frédéric Nau


les Géants de la montagne, de Luigi Pirandello

Traduction de l’italien, mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig

Avec : Dominique Reymond (Ilse), Pierric Plathier (le Comte), Cécile Coustillac (Diamante), John Arnold (Cromo), Romain Pierre (Spizzi), Jean‑Baptiste Verquin (Battaglia), Thierry Paret (Lumachi), Claude Duparfait (Cotrone), Laurent Lévy (le nain Quaquèo), Jean‑Philippe Vidal (Duccio Doccia), Daria Deflorian (la Sgricia), Julien Geoffroy (Milordino), Elsa Bouchain (Mara-Mara), Marie Schmitt (Maddalena)

Collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou

Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel

Costumes : Thibault Vancraenenbroeck

Lumières : Marion Hewlett

Son : Xavier Jacquot

Vidéoanimation : Christian Volckman

Harmonium : Laurent Lévy

Assistanat à la mise en scène : Amélie Enon

Assistanat aux costumes : Isabelle Flosi

Maquillage et coiffures : Karine Guillem

Photos : © Élisabeth Carecchio

La Colline • 15, rue Malte-Brun • 75020 Paris

Billetterie : 01 44 62 52 52, du lundi au samedi de 11 heures à 18 h 30 (excepté le mardi à partir de 13 heures)

Représentations : du 2 au 17 septembre 2015 et du 29 septembre au 16 octobre 2015, du mercredi au samedi à 20 h 30, le mardi à 19 h 30 et le dimanche à 15 h 30

Durée : 1 h 50

Tarifs : de 14,50 € à 29,50 €

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