« les Liaisons dangereuses », de Choderlos de Laclos, Théâtre national de Bretagne à Rennes

les Liaisons dangereuses © Brigitte Enguérand

Admirable Dominique Blanc

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Adapter et mettre en scène un roman, et qui plus est un roman épistolaire, n’est pas une entreprise aisée. Avec Choderlos de Laclos, Christine Letailleur a, sans aucun doute, réussi son nouveau pari.

Pour son retour au xviiie siècle, après sa superbe Philosophie dans le boudoir de Sade (2007), Christine Letailleur a choisi les Liaisons dangereuses. Ce texte de Choderlos de Laclos publié en 1782, elle en fait le support d’un combat féministe avant l’heure. Selon elle, la marquise de Merteuil est « une intellectuelle, une femme autodidacte, engagée, qui combat pour sa liberté ; très jeune, elle a compris que pour vivre sa sensualité et sa sexualité, à l’égal de l’homme, elle devait détourner, pervertir les codes de sa société par la dissimulation et la feinte ». Toute son adaptation est construite à l’aune de ce parti pris. Christine Letailleur a des arguments pour avoir fait ce choix puisque Mme de Merteuil se dit elle-même « née pour venger [son] sexe » (lettre LXXXI). Ainsi envisagée, l’œuvre n’est donc pas trahie, elle n’en perd pas moins en épaisseur.

Ce qui est, me semble-t-il, une réussite, c’est le rythme de la pièce qui fait alterner la confrontation physique des personnages et la lecture de lettres. Le texte est donc complètement théâtralisé. Le dispositif scénique y contribue malgré une austérité apparente. Les acteurs se tiennent soit sur le plateau, soit dans une architecture surélevée, avec des sortes de loges auxquelles on accède par un large escalier. Des éclairages fort subtils dévoilent ou cachent telle ou telle partie concourant ainsi à structurer l’espace et le temps.

La question de la langue se pose évidemment. À titre personnel, je regrette que Christine Letailleur n’ait pas choisi de nous faire entendre plus souvent celle de Laclos. La modernisation me paraît parfois excessive. Mais il faut bien convenir que cela ne nuit pas à la perception des enjeux ni des conflits.

Une oie blanche vite déniaisée

Parmi les interprètes, il faut distinguer Fanny Blondeau (Cécile de Volanges) qui campe avec bonheur une oie blanche vite déniaisée, pour son malheur. Julie Duchaussoy est une présidente de Tourvel touchante dans son combat pour résister à l’amour que réussit à lui inspirer Valmont et tout à fait émouvante quand il la quitte après l’avoir déshonorée.

Vincent Pérez est bien le vicomte de Valmont roué et libertin que dépeint Laclos. Pour autant, je n’ai pas totalement adhéré à son interprétation. Il lui arrive de déclamer, dans une sorte de prise de distance avec le personnage. Son Valmont manque de complexité. Chose qu’on ne peut reprocher à Dominique Blanc (Mme de Merteuil). Son jeu est un régal continu : nuances infinies de la voix, silences éloquents, déplacements et gestes qui suggèrent sans jamais imposer. Du grand art et une grande dame, assurément !

On réclame beaucoup à ceux qu’on aime beaucoup. Peut-être mes quelques réserves sur les Liaisons dangereuses adaptées par Christine Letailleur sont-elles trop pointilleuses. Jamais je ne me suis ennuyé pendant cette représentation qui dure plus de deux heures. Une fois plus, la metteuse en scène s’est affrontée à un texte exigeant et a réussi en faire un véritable objet théâtral. Les longues ovations du public témoignent qu’elle a su toucher le plus grand nombre. 

Jean-François Picaut


les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos

L’adaptation de Christine Letailleur est éditée aux Solitaires intempestifs

Adaptation et mise en scène : Christine Letailleur

Christine Letailleur est artiste associée au Théâtre national de Bretagne

Avec : Dominique Blanc, Vincent Pérez, Fanny Blondeau, Stéphanie Cosserat, Julie Duchaussoy, Manuel Garcie‑Kilian, Guy Prévost, Karen Rencurel, Richard Sammut, Véronique Willemaers

Scénographie : Emmanuel Clolus, Christine Letailleur

Lumière : Philippe Berthomé, en collaboration avec Stéphane Colin

Son : Manu Léonard

Assistante à la mise en scène : Stéphanie Cosserat

Photo : © Brigitte Enguérand

Production déléguée : T.N.B. (Rennes)

Coproduction : Fabrik Théâtre / Cie Christine-Letailleur ; Théâtre de la Ville (Paris) ; Théâtre national de Strasbourg ; Prospero (T.N.B. Rennes, Théâtre de Liège, Emilia Romagna Teatro Fondazione, Schaubühne am Lehniner Platz, Göteborgs Stadsteatern, Théâtre national de Croatie / Word Theatre Festival Zagreb, Festival d’Athènes et d’Épidaure)

Théâtre national de Bretagne • salle Vilar • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes

Réservations : 02 99 31 12 31

www.t-n-b.fr

Du 3 septembre au 14 novembre 2015 à 20 heures, relâche les 8 et 9

Durée : 2 h 40

26 € | 16 € | 12 €

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