« La friture d’amour »
Par Claire Stavaux
Les Trois Coups
Avec son patois poétique drôle et émouvant, Mariette la bonne de Mme Ariane fait briller l’argenterie et nous ouvre son cœur. Anne Danais incarne ce personnage sorti tout droit des pages d’Albert Cohen avec une justesse extraordinaire. Elle s’approprie la vitalité débordante et le franc-parler de Mariette. Une sacrée trempe, cette Mariette ! Et une gorgée bien fraîche d’humanité, cette Anne Danais !
Mariette frotte, astique, recoud, moud, monologue. De longs soliloques émaillés de néologismes poétiques et d’airs de ritournelles. De petites remarques sur la vie, sur l’amour dans les chansons, les soldats dans la guerre, sans oublier sa condition de bonne, dont elle ne se plaint pas, bien au contraire ! Elle ne cherche pas à tuer Madame comme les Bonnes de Genet, mais se plaît à s’immiscer dans ses secrets d’alcôve et à les commenter, à ressasser les souvenirs, à dire, juste comme ça, ce qu’elle, elle en pense.
« Comme de juste » dirait-elle, c’est une belle mise en scène signée Anne Quesemand qui l’accompagne. Elle a choisi un décor simple, reflet de la condition de domestique et d’une époque. Quelques objets sont particulièrement significatifs et font partie intégrante de l’univers dans lequel évolue Mariette : c’est en effet un véritable rapport de proximité, de familiarité que la comédienne entretient avec eux.
Quant aux jeux de lumière, ils permettent d’imperceptibles changements d’espace et de temps. Ainsi, c’est une lumière plus tamisée qui éclaire ses pensées plus intimes, toujours teintées de sagesse populaire. On aimerait d’ailleurs l’entendre soliloquer plus longtemps ! Mais, pour Anne Danais, il n’est pas question de soliloque en matière de culture : vouée aux autres, elle développe divers projets artistiques en Charente-Maritime, avec l’association La Maison du chat bleu notamment, implantée en milieu rural.
« Enfin, pour vous la faire courte », Anne Danais est tout simplement parfaite dans ce rôle, et on ressent chez elle une affection profonde pour son personnage. Malicieuse et espiègle, elle a parfaitement intégré son langage, ou plutôt devrait-on dire son « idiolecte ». À tel point que lorsque la comédienne s’empare du livre et lit le texte, je suis frappée par sa belle voix grave et la disparition subite de l’accent de Mariette. Deux brefs instants de lecture, trop brefs. On aimerait l’entendre lire tout le texte, et d’autres textes aussi…
« Jouer le texte intégral sans aucune coupe (c’est la seule chose à laquelle je tiens)
N’avoir besoin de rien (ça, ça me plaît beaucoup)
Jouer à domicile en faisant le ménage
Le jouer dans des cuisines
Le jouer dans des bibliothèques
Ne rien faire, être à une table assise c’est tout
Préparer un plat pour les spectateurs
En plumant et vidant des poulets
Enfin tout et son contraire… »
Ce sont ses propres mots, et je n’ai pu m’empêcher de les recopier. On lui souhaite un grand succès, à « faire peur aux popotames ». ¶
Claire Stavaux
les Soliloques de Mariette, extraits de Belle du seigneur d’Albert Cohen
Avec l’aimable autorisation des éditions Gallimard
Cie La Maison du chat bleu
Coproduction Théâtre de la Vieille-Grille
Mise en scène : Anne Quesemand
Avec : Anne Danais
Répétitrice : Jocelyne Guillemeteau
Création lumière-régie : Samuel Zucca
Diffusion : Catherine Schlemmer
Administration : Reine Michaud
Affiche : Laurent Berman
Photo : © Léo Danais
Ateliers d’Amphoux • 10‑12, rue d’Amphoux • 84000 Avignon
Réservations : 06 45 94 56 12
Du 8 au 31 juillet 2009 à 12 h 30
Durée : 1 h 20
14 € | 10 € | 6 €