« les Trois Sœurs », d’Anton Tchekhov, Studio‑Théâtre de Montreuil

les Trois Sœurs

« Il faut vivre… il faut vivre… »

Par Hélène Merlin
Les Trois Coups

En 1901, au faîte de sa gloire, Anton Pavlovitch Tchekhov écrit « les Trois Sœurs ». Cette pièce reste surprenante par son universalité et sa contemporanéité, bien qu’elle livre un portrait parfaitement daté de la société russe de la fin du xixe siècle, où s’esquisse tout le destin de l’U.R.S.S. et de ses millions de citoyens soviétiques. Car eux comme nous vivons dans un monde en plein bouleversement, un monde qui change peut-être plus vite que le temps qu’il faudrait pour penser les changements qu’il subit, et pour en panser les plaies.

Anton Pavlovitch Tchekhov peut être considéré comme l’un des plus grands écrivains russes du xixe siècle, bien qu’il fût, de tous, le plus ouvert aux influences modernes les plus diverses. Élevé dans une famille peu fortunée, Tchekhov poursuit des études de médecine, et va même jusqu’à exercer en tant que médecin, avant de trouver sa véritable voie, celle de romancier.

L’écrivain ne se veut alors ni moraliste ni philosophe. Il se contente de peindre la vie monotone et triste, parfois sordide, le vide et la solitude, le tragique à la fois social et métaphysique de la condition humaine. Dans ses pièces comme dans ses nouvelles, on relève une atmosphère spéciale, définie comme l’état d’âme d’un joyeux mélancolique. Comme disait Maxime Gorki : « Il a jeté un regard sur les mornes habitants de sa patrie et, déchiré de désespoir, sur un ton de doux mais profond reproche, il a dit, avec un triste sourire, d’une belle voix sincère : “Que vous vivez mal, messieurs !”. »

En 1888, parut Ivanov, la première des pièces de Tchekhov qui connut le succès, après plusieurs tentatives malheureuses. Puis vint la Mouette, qui fut suivie avec un égal succès d’Oncle Vania en 1899, et de la Cerisaie en 1904. Mais de toutes les grandes pièces de Tchekhov, les Trois Sœurs est certainement la plus romanesque. Chronique de la vie d’une petite ville de garnison à la fin du xixe siècle, elle montre l’existence quasi sans horizon de trois jeunes femmes, arrivées là dans les bagages de leur père, commandant de brigade, et qui rêvent de retourner là où elles ont passé leur enfance : à Moscou.

Mais l’élan vers le futur paraît définitivement brisé, et le rêve du retour est marqué du sceau de l’illusion pour une jeunesse qui se perçoit sans avenir et échouée dans un monde trop vieux. Pas de héros, peu d’action. Cette pièce nous décrit des personnages extrêmement humains, qui voient leur vie peu à peu s’étioler, avec le désespoir de n’avoir rien construit, rien entrepris. Tout l’univers des sœurs est tragique. Il suinte l’impuissance et la frustration, la sensation désespérante qu’elles appartiennent à un monde qui meurt et qu’elles ne pourront rien y changer.

Il a dit, avec un triste sourire, d’une belle voix sincère : « Que vous vivez mal, messieurs ! »

Irina, Macha, Olga et Andreï sont quatre frère et sœurs orphelins de leur deux parents. Les trois sœurs semblent bien différentes : Irina, la plus jeune est encore animée de ses rêves d’enfant ; Macha, la seule à porter le deuil, est mariée depuis ses dix‑huit ans avec un homme qu’elle croyait bien plus intelligent qu’il ne s’est révélé être au fil des ans ; Olga, la plus âgée, est institutrice.

Cependant, ce qui les unit toutes trois, au-delà de leurs liens de sang, c’est l’ennui dans lequel elles se morfondent. Andreï, le frère qu’elles idolâtrent, est doué en tout, notamment en sciences et dans la pratique du violon, dont la musique emplit la maison. Quand l’ordre quotidien va être bousculé par le mariage d’Andreï et par l’installation de son épouse dans la maison, où elle instaure un ordre petit-bourgeois. Les trois sœurs se réfugient donc dans le travail, l’amour interdit et l’espoir partagé de retrouver Moscou et une vie qu’elles s’imaginent plus enrichissante.

L’aventure aurait pu être bouleversante, mais il n’y a pas de grande surprise lorsque la lumière se fait sur le plateau. Le décor sur deux niveaux amène une certaine originalité. Les grandes fenêtres donnant sur un balcon en fond de scène offrent un certain plaisir visuel, mais le manque de moyens se trahit par ce décor de bric et de broc, et par des costumes un peu dépareillés.

Malgré toute la bonne volonté des jeunes comédiens, notamment dans l’interprétation de chansons russes, on sent que la troupe est encore bien verte. Se confronter à Tchekhov n’est pas une affaire facile. Au-delà du texte, des accessoires, il y a les silences, si essentiels dans la dramaturgie de Tchekhov. C’est dans les silences que tout se joue. Mais un silence doit être plein pour que surgisse la poésie, la beauté, et le drame… Il leur faudra travailler afin que le texte nous parvienne dans toute sa profondeur, et il leur faudra vivre afin que le sens qu’ils veulent donner à leur art soit perçu dans toute sa splendeur. 

Hélène Merlin


les Trois Sœurs, d’Anton Tchekhov

Mise en scène : Danuta Zarazik

Interprété par les élèves de 2e année de l’Académie internationale des arts du spectacle

Studio-Théâtre de Montreuil • 52, rue du Sergent-Bobillot • 93100 Montreuil

Renseignements : 08 72 43 89 20

Du 17 au 21 décembre 2007 à 15 heures et 20 h 30

Séance de 15 heures : gratuit

Séance de 20 h 30 : 5 € | 3 €

Groupe : 3 €

Durée : 2 heures

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