« l’Espace furieux », de Valère Novarina, les Nuits de Fourvière à Lyon

« l’Espace furieux » © Aglaé Bory

Rencontre furieuse de la langue et de l’espace

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Invité à créer avec les étudiants de la 76e promotion de l’École nationale supérieure d’arts et techniques du théâtre (ENSATT) leur spectacle de sortie, Aurélien Bory, qui brasse avec aisance les arts visuels et ceux du mouvement, s’est donné un défi supplémentaire : travailler un texte de théâtre. C’est du côté de Valère Novarina qu’il explore, avec talent, « l’Espace furieux ».

À vrai dire, ce choix n’est pas si surprenant. Aurélien Bory l’explique par le caractère fondamentalement physique de cette écriture, une sœur jumelle de son art de l’espace. Elle est non seulement terriblement ludique et poétique, mais aussi propre à séduire de jeunes acteurs aux prises avec une langue qui se joue du sens comme de la grammaire, du style comme des usages.

Sur le plateau, se trouve un grand mur gris, plutôt impressionnant, une de ces murailles qu’affectionne Aurélien Bory : elle lui permet de se confronter à l’espace depuis quelques créations déjà. Onze jeunes comédiens affublés de vêtements fleuris, semblables à des tâches de couleurs joyeuses, tentent de l’apprivoiser, de le contourner, de se l’approprier. Ils écrivent dessus à la craie, dessinent leurs propres contours ou leurs ombres, lui arrachent des crissements, tandis qu’eux-mêmes scandent les mots du poète, les font rouler comme des jouets, dans une sorte de Babel chatoyante et surréaliste.

Ils parlent du Temps, des temps qui se superposent et s’emmêlent : Valère Novarina jongle avec ces tiroirs verbaux, se moque des terminaisons, les agite comme des dés, les fait rebondir comme des balles. D’un côté, c’est noir. De l’autre, désopilant et joyeux. Toujours étrange et fou.

Puis, le mur se meut à son tour. Il se sépare, lézardé par une sorte de ligne brisée formant deux escaliers en miroir. Les deux mâchoires ainsi formées se séparent et se rejoignent à la fois dans la verticalité et la profondeur. Le résultat de ce dispositif : les personnages y sont en permanente instabilité, obligés de cavaler pour arriver sains et saufs de l’autre côté. Ils ne doivent pas se faire écraser, se retrouver hors du chemin ou face au vide (les escaliers qu’ils parcourent à toute vitesse ne mènent nulle part). On se prend à penser aux dessins de Topor ou de Gourmelin, aux constructions d’Escher. Comme au défi de Sisyphe… Rien de bien optimiste en somme : un univers aussi absurde qu’inquiétant.

Face à l’absurde, l’élégance de l’ironie et l’énergie de la vie

Mais si ces mondes semblent animés d’une vie propre et d’un soupçon de malignité vis-à-vis de ces pauvres humains menacés de chuter, le spectacle reste incroyablement léger. Comme si les deux grands créateurs que sont Novarina et Bory se donnaient la comédie, comme si la folie des mots rencontrait l’énergie des comédiens et la malice du metteur en scène. Le mur permet de telles transformations. Ainsi, quand l’un ou l’autre des acteurs se glisse dans les interstices du mur, ne laissant déborder que ses pieds, ce sont des cheveux, dont on ne sait à qui ils appartiennent, qui apparaissent pour les recouvrir. Les escaliers donnent aussi à ces acteurs apprentis acrobates l’occasion, par exemple, de marcher la tête en bas : toute la scénographie est prétexte à créer l’illusion, le vertige et l’étonnement.

On ressort de ce spectacle, qui se veut absolument concret, terre-à-terre, touche-à-tout, inventif et virtuose, avec le sentiment que les deux artistes étaient faits pour se rencontrer. Les mots de l’un et les pas de l’autre se font échos. Ils sculptent la langue et l’espace comme des frères siamois complémentaires. Quant aux jeunes gens de cette 76e promotion, ils confirment ici, s’il en était besoin, la large palette de leur talent. 

Trina Mounier


L’Espace furieux, de Valère Novarina, dirigé par Aurélien Bory, à l’ENSATT, en partenariat avec Les Nuits de Fourvière à Lyon

Cie 111

Mise en scène : Aurélien Bory assisté de Taïcyr Fadel

Pour et avec les étudiants de la 76e promotion Jalila Baccar / Fadhel Jaibi : Matthieu Astré, Pierre-Emmanuel Brault, Maïté Lottin, Marie Menechi, Charlotte, Ngandeu Pougom, Fabien Rasplus, Sacha Ribeiro, Jules Robin, Aude Rouanet, Arthur Thibault-Starzyk, Alice Vannier, Anne Vigouroux

Auteurs, dramaturges : Nicolas Barry, Marie-Jana Rémond

Concepteurs costumes : Adèle Antonin, Mathilde Giraudeau

Assistante conception costumes : Coline Bavois 

Responsable de l’atelier de réalisation costumes Virginie Meneret, Gabrielle Ponsard, Blandine Achard

Concepteurs son : Coline Ménard, Robert Benz 

Régisseurs : Théo Cardoso, Camille Vitté

Concepteurs lumière : Clément Soumy, Mallaury Duhamel 

Régisseurs : Agathe Gefrroy, Aurore Galati

Scénographes : Julie Guivarc’h, Mathilde Morant

Administrateurs : Margaux Bruet, Daria Porokhovoï

Photo: « l’Espace furieux » © Aglaé Bory 

ENSATT • 4, rue Sœur Bouvier • 69005 Lyon

Du 26 juin au 7 juillet 2017 à 20 heures

Durée : 1 h 10

De 5 à 10 €

Réservations : 04 78 15 05 05

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