« l’Histoire de Ronald, le clown de McDonald’s », « J’ai acheté une pelle chez Ikéa pour creuser ma tombe », de Rodrigo García, Vingtième Théâtre à Paris

l’Histoire de Ronald, le clown de McDonald’s © Théâtre du Centaure

Attention : subversion !

Par Anaïs Héluin
Les Trois Coups

Une affiche, d’une parfaite sobriété, arrête le passant, qui y reconnaît des signes familiers. Ce sont des symboles, autrement dit des marques, qui balisent son quotidien. Mais le nom de l’auteur, Rodrigo García, fiché au milieu de la pancarte, indique qu’il s’agit en fait d’une pièce de théâtre. L’invitation est lancée : rendez-vous au Vingtième Théâtre pour « l’Histoire de Ronald, le clown de McDonald’s » suivi de « J’ai acheté une pelle chez Ikéa pour creuser ma tombe ».

Révolte, perplexité, conviction ? Difficile, n’est-ce pas, de savoir ce qui motive une personne à aller voir une pièce qui d’emblée se présente comme un pamphlet contre la société capitaliste, à laquelle, d’une certaine façon, elle participe. Peut-être, malgré l’évidence du message contenu dans le titre, a t-elle échoué là par hasard, portée par une heureuse contingence… De semblables hypothèses ont dû orienter l’adaptation du texte, qui se distingue par sa clarté aveuglante, par son didactisme absolu. À peine débarqué sur scène, un inculte bienheureux raille les intérêts littéraires de sa donzelle, clownesque avec ses couettes vissées en tire-bouchon sur le crâne. Mais, après un sourire, on constate vite que le cadre général est définitivement posé, bien droit, et exempt de toute surprise.

La metteuse en scène a décidé de prendre le spectateur par la main, de le traîner comme le gosse imbécile de la pièce qui s’est fait un sanctuaire du McDonald’s. Pour cela, un procédé simple, remâché au possible : la mise en abyme. Dans le théâtre, le théâtre. Sur la scène, une autre scène. Dans un monde où seul le jeu possède les apparences de la réalité, une salle de jeu qui n’est plus une simple chambre d’enfant, mais un symbole un peu grossier d’un infantilisme épidémique. Cette ficelle déjà bien usée, ici trop mise à contribution, ne nous sauve pas du précipice dans lequel se sont déjà démembrés les personnages.

Et ils continuent à se dégrader devant nous, physiquement et moralement. Nul besoin de prétexte, d’intrigue, pour cela : leur seule logorrhée vulgaire et nauséabonde suffit à rendre sensible le pourrissement dont ils sont tous victimes. On discerne, dans le flot de mots orduriers qu’ils balancent, des velléités de domination, des désirs de soumettre l’autre à des fantasmes sans cesse réprimés. Mais, dans la macération ambiante, les relations entre les deux hommes et la femme qui occupent la scène n’adoptent pas de contours précis. Cette indifférenciation dans la haine et dans la bassesse aurait pourtant pu donner lieu à un spectacle de la décadence, de la dégénérescence, dérangeant pour le spectateur.

Mais, voilà, le trio d’antihéros, qui affiche un parfait mépris pour toute forme de culture un tant soi peu érudite, se pique de disserter sur sa propre débauche et surtout sur sa grande bêtise. Penchants sexuels inavouables, superficialité patente, docilité à toute épreuve dans la dictature des modes, tout passe au crible de leur autoflagellation. Mais, comme tout discours qui traite de ce qu’il veut démontrer sans procéder à la démonstration, leur luxure laisse impassible et leur stupidité, de marbre. Débitant, hystériques, des maximes ou aphorismes censés déconstruire des clichés ultra-contemporains, ils ne font que ressasser d’éternels poncifs sur la société de consommation et la société du spectacle. Tels des enfants-pantins plutôt monstrueux.

Ces enfants s’évertuent à représenter une sorte de pantomime aux personnes présentes. Une pantomime obscène. Loin de chercher les flatteries grâce à des mimiques attendrissantes, ils provoquent par leur gestuelle exagérément animale, par des attouchements sexuels constants et des cavalcades infantiles éprouvantes. Mais, plus encore que l’obscénité des gestes, c’est celle que crée leur répétition qui finit par écœurer le spectateur. Machine à débauche, la folle équipée a quelque chose de sadien, la portée subversive en moins.

De cette entreprise de déconstruction, on ressort alors bel et bien chamboulé, mais, semble-t-il, pas pour les raisons attendues. Avec une certitude revigorante cependant, celle de trouver plus de subversion dans notre pain quotidien, peut-être même au tripot ou au McDo du coin. 

Anaïs Heluin


l’Histoire de Ronald, le clown de McDonald’s et J’ai acheté une pelle chez Ikéa pour creuser ma tombe, de Rodrigo García

Une production du Théâtre du Centaure

Adaptation française : Christilla Vasserot

Mise en scène : Marion Poppenborg

Avec : Laure Roldan, Jérôme Varanfrain, Max Thommes

Scénographie : Jeanny Kratochwil

Photo : © Théâtre du Centaure

Vingtième Théâtre • 7, rue des Platrières • 75020 Paris

www.vingtiemetheatre.com

Réservations : 01 43 66 01 13

Du 22 juin au 25 juillet 2010, du mardi au samedi à 19 h 30 et dimanche à 15 heures. Relâche les lundis et le 29 juin 2010

24 € │ 19 € │ 12 €

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