« l’Homme dans le plafond », de Timothy Daly, auditorium de Seynod

Qu’aurions‑nous fait à leur place ?

Par Estelle Pignet
Les Trois Coups

L’Auditorium de Seynod suit avec fidélité le travail de la compagnie Star Théâtre. Il accueillait cette semaine « l’Homme dans le plafond » créé en 2011. Ce spectacle a encore peu tourné, et c’est regrettable. Son propos, sans complaisance pour la nature humaine, est admirablement servi par la mise en scène.

L’Homme dans le plafond est le troisième texte de l’auteur australien Timothy Daly mis en scène par Isabelle Starkier. L’argument fait froid dans le dos : un couple allemand, Hermann et Anna Moller, recueille un homme juif en avril 1945. Ils acceptent de le cacher dans leur grenier en échange du paiement d’un loyer et de menus travaux de réparation d’objets. À la mort de Hitler, le couple va cacher à son « hôte » la capitulation allemande pour profiter de cette source de revenus pendant quelques mois supplémentaires.

« C’est une histoire vraie »

Dès le début du spectacle, nous apprenons que cette histoire se fonde sur un fait-divers réel. Le plus tragique est peut-être que nous parvenons à le concevoir sans trop de difficultés. D’autant plus que les bassesses humaines sont dépeintes sans excès. Chaque personnage se « contente » de survivre comme il le peut dans les conditions extrêmes des derniers mois de la Seconde Guerre mondiale dans le nord de l’Allemagne. Le contexte est fortement présent à travers les bombardements, les scènes de violence, la peur, le manque quotidien de nourriture, les rumeurs de l’existence des camps de concentration.

Face à cela, il n’y a pas d’âme noble. L’homme juif lui-même s’accuse de ne pas avoir le courage de renoncer à sa sécurité pour tenter de retrouver son frère. Il n’est pas dupe non plus de l’antisémitisme de ses « Herr et Frau Propriétaires ».

Des personnages en équilibre

Anna Moller est la plus tourmentée et la plus ambiguë. Nathalie Royer campe cette femme prise dans un engrenage de mensonges. Elle cache la vérité à cet homme, dont elle apprécie la compagnie en son for intérieur. N’ayant pas la force de s’opposer à son mari, elle est consciente de survivre grâce à sa faiblesse, cette capacité à laisser les choses se faire. Hermann Moller (joué par Vincent Jaspard) et leur voisine (Anne Le Guennec) s’en sortent, quant à eux, par un retour à une animalité féroce, un instinct de vie qui les pousse à tirer profit de chaque circonstance. Ils apportent également le côté grotesque et trivial de la situation.

Daniel Berlioux reprenait ce soir-là le rôle de l’Homme dans le plafond. Il a traversé avec justesse cette première en équilibre. Car la structure légèrement en pente imaginée par Jean‑Pierre Benzekri souligne l’inconfort de sa position, en même temps que son isolement, malgré la grande proximité avec les propriétaires. D’ailleurs, au titre anglophone l’Homme dans le grenier, Isabelle Starkier a préféré la traduction de Michel Lederer : l’Homme dans le plafond rend la situation plus incongrue et traduit ce lien étrange qui se tisse entre le couple et son « protégé ». Cette scénographie offre, en outre, de très belles images, dont la scène où l’homme juif et la femme s’accordent une danse alors qu’un étage les sépare.

Dialogue avec le narrateur

Au milieu de ces êtres qui « surnagent au-dessus des horreurs » déambule le narrateur, en l’occurrence la narratrice interprétée par Michelle Brûlé. Elle interpelle et questionne les personnages, contribuant ainsi à les rendre plus humains. Quand elle les pousse à bout, tous lui renvoient cette question qui, à travers elle, s’adresse aux spectateurs : « Qu’auriez-vous fait à ma place ? ». Car le besoin de se justifier est présent chez chacun. Il est plus facile pour eux de se considérer tous comme les victimes de la situation que d’en assumer une part de responsabilité.

Isabelle Starkier a fait le choix d’une narratrice musicienne. Son accordéon joue les airs de l’époque, mais il symbolise aussi les bombardements nocturnes. Il est la radio qui diffuse les discours de propagande, puis les musiques américaines après la capitulation. Cette radio qui à la fois couvre les bruits de la défaite allemande, mais risque de révéler la vérité. Ainsi, la narratrice représente à la fois la grande Histoire et le regard que nous pouvons porter sur la petite histoire de ce couple capable du meilleur et du pire.

Si, dans la pièce, l’homme juif perd sa foi en un Dieu qu’il ne voit plus « ni en haut ni en bas », le risque pour le spectateur est de perdre un peu de foi en l’humanité. Avec une grande intelligence, le spectacle nous laisse incapables de juger ceux qui ont traversé de telles épreuves, mais immensément admiratifs des rares personnes qui l’auront fait avec noblesse et courage. 

Estelle Pignet


l’Homme dans le plafond, de Timothy Daly

Cie Star Théâtre • 63, place du Docteur-Félix‑Lobligeois • 75017 Paris

06 21 05 19 81

Site : www.startheatre.fr

Courriel : star.theatre@wanadoo.fr

Mise en scène : Isabelle Starkier

Avec : Michelle Brûlé, Daniel Berlioux, Vincent Jaspard, Anne Le Guennec et Nathalie Royer

Scénographie : Jean‑Pierre Benzekri

Lumières : Bertrand Llorca

Costumes : Anne Bothuon

Conseil musical : Amnon Beham

Photo : © Jean‑Pierre Benzekri

Coproduction L’Avant Seine-Théâtre de Colombes, la ville de Fontenay-sous‑Bois, l’espace Prévert d’Aulnay-sous‑Bois, la ville de Rosny-sous‑Bois, le Théâtre de l’Ouest-Parisien de Boulogne-Billancourt

Auditorium de Seynod • 25‑27, avenue du Champ-Fleuri • 74600 Seynod

Billetterie : 04 50 52 05 20

www.auditoriumseynod.com

Jeudi 13 décembre 2012 à 20 h 30

Durée : 1 h 30

De 18 € à 7,50 €

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