« Life on Mars », d’Éric Le Lann, Théâtre Chateaubriand à Saint‑Malo

Éric Le Lann © Jean-François Picaut

Magistral Éric Le Lann

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

À quelques encablures du Grand-Bé, sous les remparts de Saint-Malo, la trompette de Le Lann a fait se lever sur le Théâtre Chateaubriand les orages appelés par René. Les spectateurs décoiffés lui ont réservé un accueil triomphal.

Véronique Delesne, sa présidente, et les adhérents de la Fabrique à concert affichaient un sourire radieux à l’issue du concert. Et il y avait de quoi : Éric Le Lann, en soulevant d’enthousiasme un Théâtre Chateaubriand plein comme un œuf, venait de récompenser leurs efforts au service du jazz à Saint-Malo. Du coup s’estompaient le regret d’avoir dû refuser des locations toute la journée et la contrariété d’être contraints de laisser à la porte une dizaine de personnes qui avaient patienté dans le froid.

À l’exception de trois ou quatre titres, le concert a donné à entendre le nouvel album d’Éric Le Lann, Life on Mars (Moods, 2015), encensé par toute la critique, distingué par un Choc de Jazz Magazine et couronné par l’Académie Charles-Cros. Pour ce disque, Éric Le Lann, au bord de la soixantaine, a su accueillir des jeunes talents comme René Urtreger et Martial Solal ont su lui faire confiance à l’orée de sa carrière.

C’est entouré de ce trio de jeunes gens qu’il s’est présenté au Théâtre Chateaubriand. On y trouve, au piano, Paul Lay que l’Académie du jazz a désigné comme l’artiste de l’année 2016. Sylvain Romano tient la contrebasse et Donald Kontomanou, la batterie. La complicité qui les unit fait plaisir à voir.

Les inflexions infinies de la voix

Le concert commence par un solo de Le Lann sur The Man I Love de Gershwin, qui obtient immédiatement un silence religieux. Paul Lay enchaîne sur un rythme endiablé et passe la parole à Sylvain Romano qui le relaie en pizzicato mélodique, juste ponctué de quelques accords discrets au piano et de quelques touches à la batterie. Le ton est donné.

Rouge, la première pièce de l’album, maintient la pression. Éric Le Lann y est magistral dans la pulsation sans rien céder sur la mélodie. Paul Lay est étourdissant de virtuosité. Certains lui reprocheraient d’être trop volubile, mais il se montre si inventif que le reproche tombe de lui-même. La section rythmique suit sans trembler.

Après toute cette effervescence, la première oasis de détente, c’est Bleu Avion. Cette ballade comme quelques autres (Nostalgeek du futur et Everytime We Say Goodbye, par exemple) est l’occasion pour Éric Le Lann, avec une pulsation discrètement marquée par Donald Kontomanou, de montrer ses qualités de pur mélodiste. Sa trompette épouse toutes les inflexions infinies de la voix. Ces passages sont porteurs d’une grande émotion. Il est difficile de n’être pas touché par le côté douloureusement élégiaque de Everytime We Say Goodbye. Ces ballades mettent aussi en évidence la qualité du trio qui accompagne le trompettiste. On l’apprécie parfaitement dans une salle aux dimensions humaines et dotée d’une acoustique chaude comme le Théâtre Chateaubriand.

On entendra encore Zingaro de Jobim ainsi que Ayam (Alt) et le Bleu d’Hortense (de l’album Éric Le Lann – Al Foster – David Kikoski, 2009, Plus loin Music), etc. qui fourniront à chacun l’occasion de prouver l’étendue de son talent. De cette deuxième partie du concert, je retiendrai particulièrement un splendide solo de batterie, utilisant exclusivement la caisse claire, la charleston et les cymbales, dans lequel Kontomanou laisse libre cours à sa vélocité sans sacrifier la musicalité ! Et le concert se conclut sur Life on Mars, le titre éponyme de l’album, emprunté à David Bowie. Le Lann en a fait une adaptation pleine de sensibilité qui met en valeur son phrasé exceptionnel et s’achève sur une longue note tenue de toute beauté.

Quitte à passer pour insatiable, je restais néanmoins frustré de n’avoir pas entendu Al. Got the Blues. Mon attente sera comblée par le premier rappel. Francis Marmande dit que lorsque Éric Le Lann « dégaine son blues à lui, Al. Got the Blues, dédié en même temps à Armstrong et à quelque inconnue, on entend tout et son reste ». Il a raison, Le Lann et les membres de son trio en font un morceau d’anthologie. La mélodie et le rythme en sont prenants. Tous les quatre l’interprètent d’une façon déchirante qui débouche quand même sur la lumière. Après un temps, encore sous le charme, le public applaudit à tout rompre, sans qu’on sache bien, et qu’importe après tout, s’il salue ce titre, le leader, le quartette ou tout le concert. Un grand moment, vraiment. 

Jean-François Picaut


Life on Mars, d’Éric Le Lann

Un album du label Moods, 2015

Avec : Éric Le Lann (trompette), Paul Lay (piano), Sylvain Romano (contrebasse) et Donald Kontomanou (batterie)

Photo : © Jean‑François Picaut

Théâtre Chateaubriand • 6, rue Grout-de-Saint-Georges • 35400 Saint‑Malo

Le 20 février 2016, à 21 heures

Durée : 1 h 30

20 € | 10 € | 5 €

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