« Light Bird », de Luc Petton, les Quinconces, Le Mans

Son truc en plumes

Par Céline Doukhan
Les Trois Coups

Dans « Light Bird », six grues de Mandchourie font de la chorégraphie une ode à un vivre-ensemble où homme et nature se respectent et s’enrichissent mutuellement.

Luc Petton est un homme patient. Voilà maintenant six ans qu’il a entamé sa singulière exploration des rapports possibles entre la danse et le monde des oiseaux, dont il a toujours été passionné. Light Bird en est le troisième opus, après la Confidence des oiseaux en 2010 et Swan en 2012. Dans le premier, ainsi que l’explique Luc Petton dans un entretien avec le public à la suite de la représentation, la chorégraphie explorait l’« exotisme du quotidien » figuré par les pies, étourneaux et autres geais, oiseaux que, vu leur familiarité même, personne ne prend le temps de regarder. Le deuxième mettait en scène des cygnes, « incontournables de la danse ». Enfin, Light Bird donne à voir la singulière ressemblance des grues de Mandchourie avec l’homme. Ces oiseaux mesurent en effet environ un mètre cinquante de haut et peuvent vivre jusqu’à soixante ans. En outre, les grues « s’expriment beaucoup par le mouvement », soit un authentique comportement de danseur…

Mais la force de Light Bird ne vient pas de quelque prouesse animalière. Il s’agit au contraire pour Luc Petton de donner à voir une relation équilibrée et respectueuse entre les danseurs et leurs partenaires, qui se connaissent par cœur. En effet, les oiseaux sont « obtenus à l’état d’œufs » par Petton et ses oiseleurs qui les familiarisent alors, selon un protocole précis, au contact avec les humains, mais aussi à la musique. La musique, c’est justement la partie de Xavier Rosselle, de l’aventure depuis les débuts. Il compose une musique organique et vibrionnante, et joue en direct sur le plateau, évoluant parmi les danseurs et les volatiles. Lui est non moins aux petits soins pour les grues, leur jouant dès leur plus jeune âge diverses musiques, testant ce qui leur plaît ou non.

Le résultat est une œuvre dans laquelle tous les interprètes sont en harmonie, personne ne visant à prendre le pas sur son voisin. Tout le début, avant l’intervention des oiseaux, fait voir des danseurs qui semblent vouloir s’envoler (éblouissant solo de Sun‑a Lee, où chaque minuscule mouvement compte), cherchant leur équilibre, d’abord recroquevillés sur eux-mêmes, puis déployant leur torse, leurs bras. Puis, sous une superbe lumière doucement dorée, quatre grues volent soudain vers le centre du plateau. Émerveillement irrésistible. Et c’est alors comme si, à leur contact, les danseurs apprenaient à voler. La quête de l’équilibre se poursuit, joliment suggérée par de grands bâtons que les deux danseuses tiennent précautionneusement à la verticale, puis manipulent avec grâce et adresse. Il y a aussi des portés à la fois simples et spectaculaires.

« Light Bird » © Alain Julien
« Light Bird » © Alain Julien

Car tout fait danse ici, et la danse, chez Luc Petton, n’est pas la mise en œuvre exacte d’une chorégraphie millimétrée, mais l’interaction même entre les interprètes, musicien, danseurs et bêtes, et l’appropriation de tout ce qui se passe « entre » : entre eux, entre ce qui est préparé et ce qui ne l’est pas. Les danseurs se sont magnifiquement adapté à ces contraintes, qui deviennent la matière même du spectacle. Ils sont tous magnifiques et bénéficient chacun d’un solo qui leur permet d’exprimer leurs qualités. On a parlé de Sun-a Lee notamment au début, mais c’est ensuite Yura Park qui nous éblouit par son intensité, sa souplesse, sa gestuelle à la fois sèche et délicate. Quant à l’athlétique Guillaume Zimmermann, il démarre son solo en déboulant littéralement sur scène par bonds légers, semblant presque survoler le plateau. Beau et surprenant.

Contemplatif, le spectacle n’en réserve pas moins de nombreux moments plus animés, voire cocasses. Ainsi, quand Luc Petton, après plusieurs minutes de jeu, disparaît soudainement sous un drap blanc, les deux oiseaux restent visiblement perplexes, pour le plus grand amusement des spectateurs.

Souvent, les grues regardent le public, de derrière leur mince filet de protection. Et c’est à se demander qui est le plus étonné des deux. Quelques heures après, elles nous ont sûrement oubliés. Pas nous. 

Céline Doukhan


Light Bird, de Luc Petton

http://www.lucpetton.com

Conception : Luc Petton

Chorégraphie et mise en scène : Luc Petton, Marilén Iglesias‑Breuker

Avec : Sun-a Lee, Yura Park, Luc Petton, Xavier Rosselle, Guillaume Zimmermann et les grues de Mandchourie : Achille, Coco, Manjou, Liao, Salang et Athanase

Scénographie : Patrick Bouchain

Création musicale : Xavier Rosselle

Création lumière : Philippe Berthomé

Costumes : Sophie Jeandot

Consultant oiseaux : Éric Bureau

Régie générale et lumières : Sylvie Vautrin

Régie plateau : Patricio Gil

Réalisation décors : Ateliers Devineau

Oiseleur principal : Dune Pokrovsky

Oiseleur : Caroline Le Merrer

Collaboration amicale de la philosophe Vinciane Despret

Photo : © Alain Julien

Les Quinconces • place des Jacobins • 72000 Le Mans

www.quinconces-espal.com

Réservations : 02 43 50 21 50

Le 16 septembre 2016 à 20 heures dans le cadre du festival Autre regard

Durée : 1 heure

Tarif unique : 9 €

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