« Ma vie de chandelle », de Fabrice Melquiot, les Déchargeurs à Paris

« Ma vie de chandelle » © Jérôme Krolik

Vous allez voir trente-six chandelles !

Par Sylvie Beurtheret
Les Trois Coups

Comme le dit si bien le « chauffeur de salle », qui vampirise ce spectacle où tous les repères sont brouillés, je vais vous chauffer à blanc, mesdames et messieurs les lecteurs ! Histoire que vous couriez voir cette « Vie de chandelle » de Fabrice Melquiot. Allumée par le collectif Kids on the block avec gourmandise, subtilité et justesse, elle brûle par les deux bouts.

C’est follement poétique. Pas si absurde que ça. Un brin tragique. Très, très drôle. Et violent pour de faux. Vous risquez juste de repartir avec une belle bosse sur le crâne qui vous donnera à réfléchir sur la vie. Courez-y vous dis-je ! Ce n’est pas tous les jours qu’on se prend le quatrième mur sur la tête. Et qu’on devient un « spect’acteur » ne sachant plus trop sur quel pied danser… Car, mesdames et messieurs, je vous préviens : vous allez tenir la chandelle ! Et activement ! Galvanisés, manipulés par un chauffeur de salle rompu aux effets de manche calculés, vous allez jouer les voyeurs en buvant une coupe de champagne (enfin… il n’y en a pas pour tout les monde), matant, sifflant, applaudissant l’intimité d’un couple en plein délitement, usé par la force dévastatrice des habitudes.

L’intrigue ? Un couple ordinaire. Entre « l’Homme » (assureur hypocondriaque) et « la Femme » (organisatrice d’évènements) s’est glissé, par un beau week-end de pêche, « l’Autre Homme ». Chauffeur de salle de son métier, il est tombé si éperdument amoureux de l’assureur qu’il a décidé de renoncer à son boulot paillettes pour vivre, comme un épagneul, dans l’appartement dudit couple banal. Mais, le naturel revenant au galop (on ne se débarrasse pas en claquant des doigts de ses réflexes professionnels !), l’Autre Homme va vite passer de l’invité-chien de compagnie au tyran charcutant le cœur de ses victimes vulnérables et impuissantes, les exhibant comme des bêtes de foire. Jusqu’au putsch affectif final, dont je tairai bien sûr la teneur, pour ménager le suspense.

L’histoire est alléchante, originale et équivoque à souhait, non ? Mais c’est toujours comme ça avec Fabrice Melquiot, ce tendre surdoué à l’imaginaire panoramique qui écrit comme il respire (30 pièces depuis 2001) ! Ces textes sont des pépites qui ignorent toujours les sentiers battus, qui décapitent toujours la réalité pour mieux l’éprouver. Toujours de cette même écriture solaire, précipité d’images et de sensations, qui vous décolle les paupières et vous offre d’inoubliables coups de foudre. Tout le problème est de tomber sur le joaillier sachant donner à de tels diamants bruts l’éclat qu’ils méritent. Le collectif Kids on the block a taillé cette Vie de chandelle en orfèvre. Le bijou, mesdames et messieurs, est fort pur, car monté et joué fort simplement sur un rythme fort juste.

Un grand lit, un gros réveil. Une brève envolée de musique liturgique donnant à l’affaire un drôle de petit air de cérémonie divine. Du blanc, du noir, du rouge, comme le bien, le mal et la muleta du toréador. Et, surtout, trois comédiens black, blanc, beur qui sont du pain béni ! Le folâtre Franck Koumba, désarmant de flegme (faudrait quand même veiller à mieux articuler… !), de naturel et de bouffonnerie, fait du chauffeur de salle un grand metteur en scène qui manipule en virtuose ses acteurs. Et nous-mêmes, son « bon petit public », qu’il commande, engueule, palpe, avec une vérité totale. Quant à la très touchante et primesautière Émilie Chertier et son mari de Hassène Himmi, leur jeu sobre, candide et détaché nous les rend incroyablement proches. Et jamais, jamais vulgaires. Prenez par exemple leur petite prière du soir, très cul, très crue, qui leur tient lieu de partie de jambes en l’air. Elle aurait eu de quoi choquer les oreilles chastes. Nenni… On a juste sous les yeux deux enfants qui jouent au papa et à la maman !

Tout ça pour vous dire que le miracle opère. Entre cauchemars sexuels, réveils grinçants et météo du matin, on est pris dans un tourbillon de plus en plus serré, qui fait tomber les frontières entre fiction et réalité. L’histoire s’emballe, enchaînant les séquences émotion sur un rythme effréné. À l’image de toutes ces émissions de télé à sensation où l’on déballe ses secrets. Ah ! Ce n’est plus du théâtre mais du « reality-theatrow » !

Mais c’est quoi au juste le message, pourriez vous objecter en bons petits lecteurs que vous êtes ? Melquiot ne donne pas de leçon, ce n’est pas le genre de la maison. Ce qui compte, pour cet engagé poétique, c’est de questionner notre monde, de nous pousser à nous interroger. Vous repartirez de ce spectacle avec à boire et à manger dans votre besace. Pourquoi ce voyeurisme, cette fascination pour l’image ? Comment se décoller de la glu des apparences, échapper à l’usure du quotidien, retrouver l’être sous le faire, rester maître de sa vie, de sa chandelle, sans que personne ne souffle dessus ? Autant de questions qui touchent finalement à notre quête du bonheur. Des vieux poncifs me direz-vous ? Que vous dévorerez avec voracité ! 

Sylvie Beurtheret


Ma vie de chandelle, de Fabrice Melquiot

Mise en scène : collectif Kids on the block

Avec : Émilie Chertier en alternance avec Clara Ponsot à partir du 23 juin 2010, Hassène Himmi, Franck Koumba

Scénographie : Aude Chevallier

Photo : © Jérôme Krolik

Les Déchargeurs • 3, rue des Déchargeurs • 75001 Paris

Réservations : 08 92 70 12 28

Du 25 mai au 3 juillet 2010 à 21 h 45, relâche les lundi et dimanche

Durée : 1 h 15

22 € | 14 € | 18 €

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