« Mariage[s] », d’après Anton Tchekhov, Théâtre des Marronniers à Lyon

La maladie d’amour

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

L’Équipe Rozet marie avec impertinence et drôlerie extraits de Tchekhov et choix de chansons populaires.

Pour aborder ce spectacle, il est inutile d’en résumer l’intrigue. Au bon sens du terme, Mariage(s) tient du collage thématique que l’on peut réduire à la formule suivante : mieux vaut encore être marié que mort, comme l’écrivait Molière. Les amateurs de théâtre se satisferont de voir représentées des scènes tirées de l’Ours et d’Une demande en mariage, courtes comédies énergiques de Tchekhov. Ceux qui aiment la chanson populaire se régaleront d’un menu savoureux… de chansons. Ajoutons pour motiver un peu plus les futurs spectateurs un proverbe ironique : « Le mariage est comme une place assiégée : ceux qui sont dehors veulent y entrer et ceux qui sont dedans veulent en sortir. ».

Avec un tel contenu, grand était le risque de voyager en terre de clichés et de stéréotypes. Il n’en est rien. Bernard Rozet, le metteur en scène, sait intelligemment et malicieusement utiliser les codes dramaturgiques et musicaux. Il tisse subtilement textes, paroles chantées et jeu de cabaret. Les personnages tchékhoviens sont portés à leur incandescence maximale ; excessifs et troubles, ils frisent la psychopathie. Par contraste, même s’ils font des rêves douloureux, les comédiens en chantant apportent distance humoristique et poésie tendre. Et pour accompagner ses choix, Rozet installe la simplicité d’une scénographie légère qui tient de la loge d’acteur avec piano et de la page blanche sur laquelle chacun peut projeter ses fantasmes matrimoniaux.

Mariage(s) vaut aussi par le double plaisir qu’il donne au public, celui de reconnaître et de découvrir. Le télescopage drolatique de phrases et refrains de chansons à succès crée la sensation heureuse d’une culture partagée. L’interprétation de compositions peu connues stimule l’écoute et éveille la curiosité. Mélange réussi que ce cocktail qui dose sans hiérarchie des œuvres de Marie Dubas, Fernandel, Jeanne Moreau, Brigitte Fontaine, Serge Gainsbourg, Jacques Brel, Édith Piaf ou Jean Ferrat…

Michel de Montaigne écrivait : « Celui‑là s’y entendait, ce me semble, qui dit qu’un bon mariage s’établissait d’une femme aveugle avec un mari sourd ». Peut-être… Mais pour jouir du spectacle Mariage(s), on ne regrette pas d’avoir bons yeux et bonnes oreilles. Bernard Rozet, en suave conseiller matrimonial ou en délirant Lomov, fait preuve d’une exquise maîtrise. Corinne Méric, en chanteuse gouailleuse ou en séductrice refoulée, démontre finement l’étendue de son talent.

Pascal Hild, au piano comme en jeu, impose par sa délicatesse de touche et sa douce ironie. Bravo à ce trio dont les qualités vocales sont remarquables et qui sait faire partager son sens critique acéré en souplesse. Du beau théâtre musical. 

Michel Dieuaide


Mariage(s), d’après (entre autres) Une demande en mariage et l’Ours d’Anton Tchekhov

Mise en scène et conception : Bernard Rozet

Avec : Corinne Méric, Pascal Hild, Bernard Rozet

Lumières : Xavier Davoust

Costumes : Éric Chambon

Régie : Georges‑Antoine Labaye

Photos : © Frédéric Bertrand

Production : L’Équipe Rozet

Théâtre des Marronniers • 7, rue des Marronniers • 69002 Lyon

www.theatre-des-marronniers.com

Tél. 04 78 37 98 17

Représentations : les 11, 12, 13, 14, 19, 20, 21, 25, 26, 27, 28 janvier 2017 à 20 h 30, les 15, 22, 29 janvier 2017 à 17 heures

Tarifs : 15 €, 12 €, 8 €

Durée : 1 h 10

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