« Même les chevaliers tombent dans l’oubli », de Gustave Akakpo, chapelle des Pénitents‑Blancs à Avignon

Matthieu Roy © Alain Fonteray

Ou le couronnement de la vidéo

Par Lise Facchin
Les Trois Coups

La compagnie du Veilleur présente, dans l’intime chapelle des Pénitents-Blancs, une pièce de Gustave Akakpo destinée à un public jeune. Une réussite qui doit beaucoup à la vidéo.

Depuis une dizaine d’années, la vidéo colonise les espaces scéniques avec la vitesse d’un psoriasis bien installé. La danse, la musique, l’opéra, le théâtre, toutes les disciplines du monde du spectacle s’affublent de projections, de collaborations artistiques avec des « vidéastes », pour ne présenter parfois à leur public qu’un élément à valeur esthétique tangente ou des sortes de métadiscours sans grand rapport avec l’action effectivement représentée sur scène.

La mise en scène de Matthieu Roy a ceci de précieux qu’elle nous fait prendre conscience que nous n’avons presque jamais vu de spectacles où la vidéo était intégrée de manière organique à l’ensemble de la mise en scène. Or, il est clair que sans la vidéo de Nicolas Comte, l’ensemble de son spectacle perdrait irrémédiablement, et autant dans le rythme que dans l’émotion transmise. Elle est indispensable. Ce n’est ni un accessoire ni une coquetterie. Ce qu’elle apporte, c’est bien sûr une technique de l’image en mouvement très proche du réel, mais aussi un monde de sens et de sensibilité grâce à la finesse et le talent de son auteur. Sur scène, six panneaux formant écran sur une hauteur qui frise le plafond. Ils sont très avancés à l’ouverture de la pièce et reculeront de manière indépendante au long de la pièce, permettant ainsi une surprenante plastique de l’espace.

La pièce d’Akakpo est centrée autour de deux enfants : George, petite fille étrange qui change de peau, la couleur blanche de sa peau de naissance lui semblant fade, et Mamadou, nouveau à l’école, et dont l’évidente peau sombre lui vaut un certain nombre d’embêtements. L’essentiel des scènes se déroule dans la cour d’école avec les autres élèves… une arène ô combien redoutée lorsque l’on est pas tout à fait « comme les autres ».

Un coup de maître

C’est ici que la proposition vidéo est un coup de maître : sur chaque panneau est projeté, à une échelle bien au-delà de la taille humaine, l’image d’un élève. En noir et blanc contrasté – avec une belle matière granuleuse –, ces vidéos indépendantes tiennent les rôles de ces élèves au sens propre. C’est-à-dire qu’elles disent leur texte. Le vidéaste a eu la finesse de ne pas permettre que l’on distingue les visages, mais les voix sont suffisamment distinctes pour que la lecture de l’action ne pose aucun problème. Ainsi se perçoit de manière très originale l’aspect démesuré de la force de pression du groupe, sa distance, son côté un peu magique et redouté.

De même, la scène où George attend chez elle le retour de sa mère est une grande réussite. Sur un panneau côté jardin, la vue frontale d’un couloir d’immeuble, au centre un panneau en retrait permettant l’espace de scène et, à cour, la vidéo d’une cuisine. Nous suivons la mère qui arrive dans le couloir, s’arrête devant sa porte tourne la clé, etc., pour la retrouver ensuite ouvrant la porte de la cuisine. Les interactions entre les aires de scène et de vidéo sont effectuées avec un soin et une économie particulières qui renforcent leur lien pour le spectateur. On y croit avec beaucoup d’émerveillement.

Gisèle Adandedjan, Charlotte Van Bervesseles et Carlos Dosseh, les comédiens de chair et de sang, sont justes et pleins d’une généreuse énergie. Il est néanmoins difficile de les croire aussi jeunes que leurs rôles l’exigent. Quelque chose pèche de ce côté, qui pourrait aisément se corriger avec des jeux de physionomie, car les corps, sur un plateau, parlent souvent pour eux-mêmes… Reste que ce spectacle est une fort belle réalisation où le désir d’avoir recours aux techniques contemporaines ne sacrifie pour une fois ni la quête de profondeur ni la cohérence. Comment cela ne passionnerait-il pas le jeune public ? 

Lise Facchin


Même les chevaliers tombent dans l’oubli, de Gustave Akakpo

Actes Sud-Papiers, coll. « Heyoka », Arles, 2014

http://www.actes-sud.fr/catalogue/pieces/meme-les-chevaliers-tombent-dans-loubli

Mise en scène : Matthieu Roy

Assistante à la mise en scène : Marion Lévêque

Avec : Gisèle Adandedjan, Charlotte Van Bervesseles, Carlos Dosseh, Claire Aveline

Scénographie : Gaspard Pinta

Lumières : Manuel Desfeux

Espaces sonores : Mathilde Billaud

Vidéo : Nicolas Comtei

Costumes : Noémie Edel

Lumière : Thalie Lurault

Régie son : Alban Guillermot

Régie lumière : Éric Marynower

Photo de Matthieu Roy : © Alain Fonteray

Chapelle des Pénitents-Blancs • place de la Principale • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 14 14 14

http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2014/meme-les-chevaliers-tombent-dans-l-oubli

http://www.pearltrees.com/festivaldavignon/chevaliers-tombent-matthieu/id10764399

Du 14 au 19 juillet 2014 à 11 heures et 15 heures, le 20 juillet à 20 heures, relâche le 17 juillet 2014

Durée : 45 minutes

Tournée :

  • Le 3 et le 6 mars 2015 : La Comédie de Saint-Étienne (C.D.N.)
  • Le 9 et le 10 mars 2015 : Théâtre Théo-Argence, Saint-Priest
  • Le 13 mars 2015 : espace Marcel-Pagnol, Villiers-le-Bel
  • Le 19 et le 20 mars 2015 : La Halle aux grains-scène nationale, Blois

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