« Merlin », d’après l’œuvre de Tankred Dorst, Théâtre du Soleil à Paris

« Merlin » © Jules Despretz

Merlin d’hier et d’aujourd’hui

Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups

On peut faire confiance à Ariane Mnouchkine. Quand elle accueille une troupe en ses murs, au Théâtre du Soleil, c’est que le jeu en vaut la chandelle. Ce sont les jeunes comédiens de la compagnie En eaux troubles qui envahissent le plateau pour nous proposer une adaptation de « Merlin ou la Terre dévastée », une œuvre de Tankred Dorst, centrée sur le personnage de Merlin.

Le célèbre mage n’est autre que le fils du diable, que son père envoie sur terre dans une intention démoniaque. Mais il s’illustre par sa résistance. Rejetant le dessein de son père, il s’emploie à créer un monde bon, dont le roi Arthur sera l’incarnation. La pièce met alors en scène les épisodes les plus fameux du cycle arthurien, de l’édification du royaume d’Arthur à la quête du Graal. Nous pouvons actuellement voir au Théâtre du Soleil le premier cycle, dans lequel les personnages se multiplient, ou le second cycle, davantage centré autour des principaux protagonistes. Les courageux, les hédonistes, les amateurs de sensations fortes peuvent appréhender l’ensemble des deux cycles, dans une après-midi et une soirée excitantes.

On a tous en tête une image de Merlin, construite à partir des lambeaux épars de nos rêves d’enfant, de notre mémoire de lecteur ou de spectateur. Mais Paul Balagué nous donne à voir un personnage nouveau, tantôt démoniaque et malin, tantôt découragé, mais toujours moteur de l’action. On rencontre ainsi un mage ambitieux qui fait monter sur le trône le jeune Arthur, puis on le découvre simple homme échoué dans les bras de Viviane et ne répondant plus aux appels à l’aide des chevaliers.

Rire, pleurer, penser

La pièce du dramaturge allemand Tankred Dorst est une épopée théâtrale composée de 97 dialogues. Ces derniers donnent une vision parodique de la légende du roi Arthur. En effet, le spectacle est drôle, et l’on rit beaucoup. Le comique se niche parfois dans le texte lui-même, et l’on apprécie les nombreux jeux de mots. Il réside de manière plus essentielle dans les situations et les caractères : Arthur nous amuse, par exemple, quand il reste béat devant la table ronde peinte à l’arrière du portrait de Guenièvre et que l’on comprend que la table retient davantage son attention que la jeune femme.

Pourtant, le spectacle parvient à produire de très nombreux bouleversements. Ainsi, le rire le cède quelquefois aux larmes, dans des moments d’une grande poésie, d’une émotion intense. C’est ce qu’on trouve notamment dans la seconde partie où amour, vengeance et ambition prennent le devant de la scène. C’est le jeu des comédiens, toujours maîtrisé, qui permet cette variété. Il est mis en valeur dans un décor minimaliste, qui accorde la première place à l’élément humain, sans l’étouffer sous le brio de la technique.

Au-delà de l’enthousiasme, le metteur en scène, Paul Balagué, nous invite à méditer sur la question centrale de la pièce : « Qu’est‑ce qu’être un homme ? Dans quel but s’échine-t‑il sa vie durant ? ». Si les costumes semblent hésiter sans cesse entre l’hier et l’aujourd’hui, entre le Moyen Âge et le xxie siècle, c’est pour rappeler que la question est éternelle. Le spectacle interroge ainsi l’utopie, la quête d’absolu, et l’amertume qu’elles engendrent inévitablement. L’espoir qu’elles suscitent est‑il aussi intense que le désespoir qui va de pair avec l’impossibilité de construire un monde parfait ?

Troublé et songeur, on sort des neuf heures de spectacle pour parcourir le bois de Vincennes sous les étoiles, un décor idéal pour parachever la réflexion que la pièce a initiée. 

Anne Cassou‑Noguès


Merlin, d’après Tankred Dorst

L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté.

Une création collective de la Cie En eaux troubles

Mise en scène : Paul Balagué

Avec et par : François Chary, Lucas Dardaine, Ghislain Decléty, Sylvain Deguillame, Paul‑Éloi Forget, Antoine Formica, Magdalena Galindo, Alexandre Molitor, Sandra Provasi, Martin Van Eeckoudt, June Van der Esch, Irène Voyatzis

Regard bienveillant, régie générale et éminence grise : Ludovic Heime

Costumes : Zoé Lenglare et Marie Vernhes

Décors et régie plateau : Matthieu Le Breton

Lumières : Lila Meynard et Ludovic Heime

Musique et sons : Christophe Belletante et Théau Voisin

Photos : © Jules Despretz

Production exécutive : Samuel Valensi

Théâtre du Soleil • la Cartoucherie • route du Champ-de‑Manœuvre • 75012 Paris

Réservations : http://lapoursuitedubleu.fr/merlin

Du 2 septembre au 31 octobre, horaires variables en fonction des jours et de la formule choisie

Durée : 4 heures pour le cycle 1 et le cycle 2, 8 h 40 pour l’intégrale

Tarifs : de 12 € à 22 € pour chaque cycle, de 20 € à 35 € pour l’intégrale, de 23 € à 38 € pour la nocturne du 31 octobre

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