« Moulins à paroles », de Alan Bennett, Ciné 13 Théâtre à Paris

Moulins à paroles © Fabrice Moley Mir 2015

Ce moulin va très vite, ce moulin va très fort !

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

La ravissante Roxane Turmel érige le verbiage en œuvre d’art : c’est frais, c’est gai.

Précisons tout de suite que c’est un spectacle sans prétention. Le créneau horaire (19 heures) n’est pas exactement ce qu’on nomme prime time. Il faut, pour ne pas arriver en retard, s’extirper en courant des 90 marches du métro Abbesses (oui, ça grimpe, la butte Montmartre !) pour aller, ironie de la géographie, à deux pas du Moulin‑Rouge et du Moulin de la Galette, écouter ces Moulins à paroles. Le plateau est petit et les moyens matériels sont limités. Diane de la Croix, professeur au cours Simon, met en scène son élève : on pourrait s’attendre à un aimable spectacle de fin d’études.

L’auteur Alan Bennett fit un tabac à la B.B.C. dans les années 1990 en donnant la parole, sketch après sketch, à celles qu’il appelle « têtes parlantes » (Talking Heads est le titre original), cousines britanniques des frustrées françaises de Claire Brétécher ou des Desperate Housewives américaines. Ce n’est pas tout neuf comme sujet, donc. Et le propos est toujours le même : donner à voir le néant dans lequel errent celles dont les hommes monopolisent la place au soleil. Ici l’ombre, les frustrées parlent aux frustrées !

Or le style café‑théâtre convient assez bien aux soliloques de Bennett. Un espace resserré, des décors réduits au strict nécessaire, une ponctuation musicale diablement espiègle entre les tableaux et jamais pendant, permettent de se concentrer sur le texte. Celui‑ci repousse loin les limites du monologue comique minuté pour émission interlude. Entre les lignes d’un baratin insipide par lequel le personnage revendique sa normalité, se lisent ses naïvetés, ses peurs, ses regrets, ses névroses. Il y a quelques années, le metteur en scène Laurent Pelly avait fait découvrir ces ladies radiophoniques au public français en adoptant un parti pris exactement opposé à celui que nous avons ici sous les yeux. Plusieurs comédiennes ayant chacune l’âge de son personnage, une scénographie époustouflante, des costumes vintage, du papier peint hideux, restituaient avec une précision ethnographique l’atmosphère étriquée dans laquelle tournaient ces poissons rouges en bocal. Mais parfois, trop d’effets tuent l’effet.

« C’est la première fois que je commence un jardin à partir de rien »

Pourquoi cette phrase qui, sortie de son contexte, n’est pas super drôle, est-elle irrésistible, prononcée au milieu du spectacle par une Marie‑Chantal ayant fait du jardinage son hystérie personnelle et s’affligeant du sol aride de sa nouvelle villa de Marbella ? C’est que, depuis le début, Roxane Turmel et sa fine équipe nous empoignent en bricolant à partir de pas grand-chose. Comme elle est belle, cette jeune première, et combien sensuelle est sa voix ! Quand il s’agit d’incarner une starlette à l’énorme culot et à la toute petite culotte, mieux vaut avoir le physique de l’emploi. Et la présence nécessaire pour tenir seule en scène pendant quatre‑vingts minutes, la comédienne la possède assurément. Avec elle, son professeur ne jardine certes pas « à partir de rien ». Mais ce qui est vraiment intéressant ici, c’est le travail de composition qui a été bâti autour de ses talents innés.

À commencer par la sélection opérée à l’intérieur du florilège de Bennett, de manière à créer un assortiment de portraits aussi disparates que possible. La belle / la laide, la jeune / la vieille, la coincée / l’émancipée, voici un dictionnaire des contraires en format poche. Le tout interprété par la même personne, à un rythme enlevé, sans effets trop appuyés : on renonce à l’ambition du réalisme sociologique pour explorer la magie de la transformation. La modulation de la voix pour passer d’un registre à l’autre est peut‑être ce qui est le moins abouti. Mais combien spectaculaire est la métamorphose visuelle ! C’est le point fort du spectacle. Car bien au‑delà du gadget scénographique qui, en d’autres lieux, n’a souvent pas de vraie nécessité, on assiste ici, en quelques rapides changements à vue, à la bouleversante mutation d’une fille qui, de sublime peut devenir hideuse, de rayonnante peut tomber dans le terne, rien que par le pouvoir des illusions perdues. Femme-objet ou femme desséchée, le combat est le même de toutes ces petites têtes de linotte qui se démènent pour sortir de leur morne quotidien. Roxane Turmel, elle, démontre qu’elle a plusieurs ailes à son moulin ! 

Élisabeth Hennebert


Moulins à paroles, de Alan Bennett

Adaptation : Jean‑Marie Besset

Mise en scène : Diane de la Croix

Avec : Roxane Turmel

Musique originale : Mathieu Serradell

Décor : Steeve Petit

Graphisme : Morgane Chevalier

Costumes : Cop. Copine

Photo : © Fabrice Molay Mir 2015

Ciné XIII‑Théâtre • 1, avenue Junot • 75018 Paris

Métro : Abbesses ou Lamarck-Caulaincourt (ligne 12)

www.cine13-theatre.com

Jusqu’au 12 novembre 2016, du mercredi au samedi à 19 heures

Réservations : 01 42 54 15 12

Tarifs : de 26 € à 13 €

Durée : 1 h 10

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