« Regarde‑moi », de l’Ensemble Boréades, Théâtre des Marronniers à Lyon

« Regarde-moi » © Janet Goode

De Bach à Rothko, un triptyque enchanteur

Par Nathalie Legardinier
Les Trois Coups

L’Ensemble Boréades a déjà réalisé de nombreux spectacles dans lesquels il explore les relations entre la musique et la peinture. Se définissant lui-même comme baroque alternatif, il bâtit des ponts subtils entre le dix-septième siècle et le monde contemporain. Dans « Regarde-moi », au Théâtre des Marronniers, à Lyon, il réalise avec le chœur Emelthée un projet original et remarquable.

Regarde-moi nous plonge au cœur d’un questionnement essentiel. Comment, aujourd’hui, le divin nous interpelle-t-il ? Comment l’interpellons-nous ? Est-il encore possible de se laisser porter par l’abstraction de la musique, de la peinture, de l’art ? À travers son texte, Pierre-Alain Four se promène, à l’instar de Rothko, à la recherche d’une mythologie personnelle. Et il nous guide. Il nous conduit, par sa réflexion empreinte d’ironie et de détachement, au creux de l’acte créateur. Nous écoutons, nous nous concentrons, nous doutons, nous lâchons prise, nous nous laissons séduire. C’est bien par l’égarement que l’on trouve son chemin. Et le miracle opère. La quête, spirituelle, trouve sa place. Intellectualisés, méditatifs, Bach et Rothko se rejoignent et nous comblent. Nous nous engageons sur la voie imaginaire qui s’ouvre alors, sans résistance, libres et légers, pour trouver foi en nous. Et nous en avons besoin, en ces temps clinquants et sombres qui nous éloignent de l’essence de l’être.

La musique, le texte, la gestuelle : dans cette performance de l’Ensemble Boréades, tout est précis, travaillé, ciselé. On découvre Rothko par ce qu’on nous en dit. Il n’était pas forcément très aimable, ce grand expressionniste américain du vingtième siècle. Un peu grincheux, peut-être, ambitieux, certainement, quêteur d’éternité, indéniablement, atteint dans son corps au point qu’il se suicidera. Mais c’est un artiste qu’on nous montre à travers des mots. Bach, rigoureux, parfait le mystère, et s’entremêle à l’œuvre du peintre pour sublimer l’esprit.

Trois tableaux pour quatre voix

On le comprend d’emblée : la peinture donne à entendre et la musique donne à voir. Nous sommes dans l’atelier du peintre Rothko, au milieu du colorfield painting. Les châssis tendus de toiles unies s’appuient aux murs. Les rouges, les jaunes, les orange inondent l’espace d’une chaleur généreuse. Tout ne sera que suggestion. Au spectateur d’imaginer les grands aplats colorés de Rothko. De longs rubans viennent s’ajouter au décor, traçant des perspectives, invisibles jusqu’alors. Ils élargissent les champs colorés, ils dessinent un cadre, mais n’enferment pas. Les partitions, toiles transparentes encadrées, figurent la complicité des arts. À peine jonchent-elles le sol qu’elles s’illuminent. Elles sont vivantes, lucioles éphémères.

C’est alors que les voix entrent. Le violoncelle baroque, d’abord, si magnifiquement joué par Anne‑Sophie Moret. Il reste en suspension, pur et fragile, faisant corps avec l’interprète. Délicatement, à eux deux, ils nous confient Bach, comme un cadeau précieux. Et l’émotion est là, si douce. Trois solistes du chœur Emelthée, à leur tour, nous livrent les chants et le texte. Les sopranos Delphine Ardiet et Caroline Odoumbou-Marmond et la mezzo-soprano Fanny Mouren tissent, tout au long du spectacle, les sons et le verbe. La communion est parfaite. Les voix a capella sont sublimes. Une extraordinaire maîtrise musicale doublée d’une grande sensibilité.

Une magie qui relie l’ensemble

Le jeu complète la communion. Le travail de l’imaginaire se poursuit. Le spectateur ondule avec le quatuor. Chaque geste, chaque pas, est étudié. Les chanteuses, comme des miroirs des toiles de Rothko, déplacent leurs robes violines avec harmonie. Il y a dans tout cela quelque chose de religieux, une magie qui relie l’ensemble. Les abstractions, du musicien et du peintre, sont véritablement incarnées. Les trois tableaux rassemblent les quatre voix et transcendent le temps.

Pierre-Alain Four s’inquiète, avec le sourire, de la réception de sa création. Il ne devrait pas. Il a relevé un défi, et la réussite est incontestable. Regarde-moi est un écrin de bonheur. 

Nathalie Legardinier


Regarde-moi

Ensemble Boréades

04 72 07 14 31 / 04 72 07 96 43 

06 63 15 08 36 / 06 62 28 62 88

Site : http://ensemble-boreades-regardemoi.over-blog.com/

Courriel : ensemble-boreades@wanadoo.fr

ou four.pierre-alain@wanadoo.fr

Écriture et mise en scène : Pierre-Alain Four

Direction musicale : Marie-Laure Teissèdre

Chœur Emelthée

Site : http://www.emelthee.fr/

Avec : Anne-Sophie Moret (violoncelle), Delphine Ardiet (soprano 1), Caroline Odoumbou-Marmond (soprano 2), Fanny Mouren (mezzo-soprano)

Gestuelle : Virginie Dejeux

Costumes : Karine Peyre de Fabrègues

Lumière : Xavier Davoust

Graphisme : Céline Ollivier-Peyrin

Photo : © Janet Goode

Théâtre des Marronniers • 7, rue des Marronniers • 69002 Lyon

Site du théâtre : http://www.theatre-des-marronniers.com

Courriel de réservation : info@theatre-des-marronniers

thmarron@free.fr

Réservations : 04 78 37 98 17

Du 12 au 18 décembre 2011, lundi à 19 heures, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 17 heures

Durée : 1 h 10

15 € | 11 € | 8 €

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