« Rendez‑vous gare de l’Est », de Guillaume Vincent, Théâtre du Nord à Lille

Rendez-vous gare de l’Est © Élisabeth Carecchio

Sursauts de vie

Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups

« Rendez-vous gare de l’Est », c’est la rencontre avec une femme qui souffre de maniaco-dépression, l’histoire d’une parole étouffée au quotidien et qui se révèle enfin. Dans une dramaturgie focalisée autour de la voix, du regard et de la présence de l’exceptionnelle Émilie Incerti Formentini, le récit de vie évite tous les écueils compassionnels pour se concentrer sur la vérité et la complexité des expériences vécues – qu’elles soient ou non « pathologiques »…

Guillaume Vincent a composé le monologue de Rendez-vous gare de l’Est au fil de ses rencontres et de ses entretiens avec une jeune femme d’environ trente ans, diagnostiquée maniaco-dépressive. Elle s’est racontée à lui comme à une oreille absolue, comme une délivrance, avec toute la franchise dont on peut faire preuve face à ceux qui ne partagent pas notre vie. Au fil de ses allers et retours à Sainte-Anne, de ses inventaires de médicaments à la Prévert, de ses périodes d’euphorie comme de ses moments de doute et de paranoïa, le récit dresse le portrait d’un personnage paradoxalement plein de vie, écartelé en permanence entre deux extrêmes, à la recherche d’un peu de stabilité et de logique dans un monde qui en manque cruellement.

Avec un texte d’une telle richesse et d’une telle intimité, il fallait une comédienne capable de le transcender sans imitation, d’en exprimer toutes les couleurs sans « jouer à la folle » ni à la victime. Émilie Incerti Formentini relève le défi haut la main, jusqu’à faire totalement corps avec le personnage. La mise en scène ici est presque tout entière consacrée à la direction de l’actrice ; et quelle actrice : un violon qui joue au rythme saccadé de la maladie impalpable qu’elle tente de décrire. C’est une femme à la fois joyeuse et fragile qui nous apparaît d’emblée, assise sur sa chaise au milieu d’une scène nue, comme si la discussion entre elle et nous avait débuté de façon impromptue, sur un banc, en pleine lumière. Lumières du plateau et de la salle qui ne commencent à décliner que lorsqu’elle bascule dans la dépression.

Elle se confie à nous, droit dans les yeux, comme dans une émission où l’on laisserait les gens parler jusqu’au bout. Avec des sourires, avec des poses, avec de la sincérité, avec des tremblements et des larmes.

« J’aimerais pouvoir écrire ma crise »

En dehors de l’analyse frontale des étapes de sa maladie, son récit de vie devient précieux justement par son prosaïsme : ses problèmes d’appartement, sa relation avec son mari, insupportable témoin de sa faiblesse, son désir d’enfant questionné, contrarié… Et au regard des dominations, frustrations, humiliations, harcèlements qu’elle vit chaque jour dans son couple, dans sa sociabilité comme dans son travail, l’odyssée de sa psyché trimballée entre phases maniaques et phases dépressives ne pourrait-elle pas finalement être vue comme un acte de résistance désespéré ?

« J’aimerais pouvoir écrire ma crise », dit-elle, prendre le temps de décrypter ce qui se passe pour mieux le transmettre, puiser de la distance avec ce qui la blesse pour se construire autrement que par à-coups. Ce spectacle est aussi précieux en ce qu’il permet un espace de réflexion sur les liens que le théâtre n’a jamais cessé d’entretenir avec l’idée de « folie », en interrogeant la honte sociale de la maladie mentale, et en rappelant l’espoir rédempteur de l’art et de la parole. 

Sarah Elghazi


Rendez-vous gare de l’Est, de Guillaume Vincent

Le texte est publié aux Solitaires intempestifs

Mise en scène : Guillaume Vincent

Avec : Émilie Incerti Formentini

Et en alternance : Cyril Anrep, Philippe Smith, Guillaume Vincent

Scénographie, création lumière et vidéo : Antoine Franchet

Dramaturgie : Marion Stoufflet

Son : Géraldine Foucault

Lumières : Niko Joubert

Photo : © Élisabeth Carrechio

Production : Cie Midi Minuit

En coréalisation avec le C.I.C.T. / Théâtre des Bouffes-du-Nord et la Comédie de Reims

Avec le soutien de la Colline – Théâtre national

Théâtre du Nord • place du Général-de-Gaulle • 59000 Lille

Réservations : 03 20 14 24 24, du mardi au samedi de 12 h 30 à 19 heures et sur www.theatredunord.fr

Du 14 au 24 janvier 2016 à 20 heures, les jeudi et vendredi à 19 heures et les dimanches à 16 heures

Durée : 1 heure

27 € | 21 € | 10 € | 7 €

Tournée :

  • Du 26 au 29 janvier 2016 : T.A.P. de Poitiers
  • Les 2, 3 et 4 février 2016 : Sortie ouest (Béziers)
  • Du 9 au 13 février 2016 : Théâtre de la Croix-Rousse (Lyon)
  • Le 28 février 2016 : Vitré saison culturelle
  • Les 23, 24 et 25 février 2016 : C.D.N. de Lorient
  • Du 2 au 4 mars 2016 : Théâtre des Salins à Martigues
  • Le 8 mars 2016 : Théâtre de Brétigny
  • Les 10 et 11 mars 2016 : festival Arts et déchirure (Rouen)
  • Les 22 et 23 mars 2016 : Théâtre de Saint-Nazaire
  • Le 24 mars 2016 : le Canal (Reudon)
  • Le 26 mars 2016 : Théâtre de Brétigny
  • Du 18 avril au 4 mai 2016 : T.N.S. à Strasbourg
  • Les 10 et 11 mai 2016 : Théâtre de Quimper
  • Du 31 mai au 26 juin 2016 : Théâtre du Rond-Point à Paris

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