« Rideau ! », d’après « le Retour imprévu », opérette d’Hervé, Théâtre des Marronniers à Lyon

« Rideau ! » © Frédéric Bertrand

Drolatique odyssée

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

En ces temps difficiles où, non par manque d’idées mais surtout d’argent, bien des usines, des épiceries et des théâtres baissent leurs rideaux, Bernard Rozet et son équipe choisissent courageusement de lever le leur. Il en résulte un spectacle intelligent et caustique qui, prenant pour prétexte l’univers de l’opérette, rend un hommage fraternel au dur métier d’artiste. La création s’intitule « Rideau ! » et se joue au Théâtre des Marronniers à Lyon.

La pire maladie qui gangrène le théâtre est indiscutablement le chômage. Mais il en existe une autre, rampante, sournoise, celle des ambitions déçues. Dans la froideur clinique d’un studio de répétition, trente ans après leurs débuts communs, deux solistes se rejoignent pour préparer le Retour imprévu, opérette en acte d’Hervé, célèbre compositeur du xixe siècle. Enfin un rôle-titre pour chacun. Cantonnés jusqu’à présent dans les utilités, ils se voient proposer d’incarner Ulysse et Pénélope lors de leurs retrouvailles à Ithaque après vingt années de séparation. Les voici personnages principaux d’un grande œuvre de vingt minutes ! Qu’à cela ne tienne, leur amour du métier est intact. Et même si rancœurs, vacheries, désirs de vengeance vont refaire surface, ils s’abandonnent avec candeur aux rigueurs du travail de répétition. Rien ne sera cependant facile. Pénélope a grossi, vieilli, s’est aigrie et Ulysse aussi. Placés sous la tutelle d’un pianiste réunissant les responsabilités de chef de chant, de metteur en scène et de patron de troupe, les deux chanteurs lyriques connaîtront l’enfer. Il faut dire que le cumulard a la perversité et l’onctuosité d’un jésuite. Par bonheur, la soprano et le ténor tiendront le coup jusqu’au moment où, récompense suprême, leur dur labeur s’épanouira dans une scénographie inattendue leur permettant de donner le meilleur de leur talent. N’en disons pas plus, sinon que Rideau ! c’est fin, drôle et impertinent de bout en bout.

Choix judicieux

Si l’un des aspects fondamentaux du théâtre réside dans sa capacité à bien préparer les surprises, Bernard Rozet, auteur, metteur en scène et scénographe de cette pièce de théâtre musical, atteint son but. En s’emparant d’une œuvrette, il trouve les moyens d’enrichir son texte en créant des dialogues humoristiques pastichant l’écriture d’origine. La rêverie nostalgique du moucheur de chandelles, l’interview délirante de la soprano, les échanges musclés entre le ténor et le pianiste sont d’authentiques réussites. À sa manière, l’utilisation de la vidéo est aussi une source d’étonnement. Elle ponctue le spectacle d’une espèce de documentaire tendre et sarcastique. Avec des images au format d’un grand écran de télévision, elle vient contredire la mémoire oublieuse des interprètes ou éclairer malicieusement le planning de tournée fantaisiste ou projeter une représentation sanglante du trac. Rozet s’ingénie également à mêler les genres musicaux. La partition d’Hervé aux parfums d’Offenbach est intégralement jouée, mais Bach et Schubert s’invitent sur le plateau. Et, magnifiquement chantés, à trois voix ou en solo, les J’aurais voulu être un artiste de Michel Berger et Je me voyais déjà de Charles Aznavour amènent l’air de notre temps. Pour couronner le tout, Bernard Rozet a su s’entourer de collaborateurs imaginatifs : Xavier Davoust pour la lumière, Éric Chambon aux costumes et Frédéric Bertrand le vidéaste.

Trio magique

Production de L’Équipe Rozet, Rideau ! mérite comme rarement au théâtre le nom d’équipe. Générosité, complicité, talent, sont au rendez-vous. Jeanne‑Marie Levy (Pénélope) rayonne en comédienne et chanteuse. Son apparence fait penser à la jeune Montserrat Caballé et son abattage comique à Annie Cordy. Réjouissant et efficace alliage. Jean‑Louis Poirier (Ulysse) crée un personnage candide et perdu. Son interprétation respire l’enfance et la poésie : pour qui connaît le monde de l’opéra, il est un frère du grand Jean‑Paul Fouchécourt. Quant à Pascal Hild, au piano et en meneur de jeu, il convainc par sa virtuosité et son sens aigu de la distance. En dramaturge survolté, il fait se souvenir de quelques metteurs en scène tyranniques dont on taira les noms. Faites confiance à ces trois-là pour vivre une remise à niveau facétieuse de la célèbre épopée d’Homère et découvrir qu’elle a beaucoup à voir avec la vie fiévreuse des artistes. 

Michel Dieuaide


Rideau !, d’après le Retour imprévu, opérette d’Hervé

Conception, texte, scénographie : Bernard Rozet

L’Équipe Rozet • 31, rue des Charmettes • 69100 Villeurbanne

06 86 46 92 53

Courriel : chargedeprod@free.fr

Mise en scène : Bernard Rozet

Jeu : Jeanne-Marie Levy (soprano), Pascal Hild (piano), Jean‑Louis Poirier (ténor)

Lumière : Xavier Davoust

Costumes : Éric Chambon

Vidéo : Frédéric Bertrand

Construction décor : Jérôme Sauvion

Régie : Georges-Antoine Labaye

Photo : © Frédéric Bertrand

Remerciements à Opéra de Lyon, Théâtre Les Célestins, Centre de la voix – Rhône-Alpes

Théâtre des Marronniers • 7, rue des Marronniers • 69002 Lyon

Réservations : 04 78 37 98 17

Site du théâtre : www.theatre-des-marronniers.com

Du 10 au 28 décembre 2014, du mercredi au samedi à 20 h 30, les dimanche 14 et 21 à 17 heures, le dimanche 28 à 20 h 30, les lundis à 19 heures

Durée : 1 h 20

15 € | 12 € | 8 €

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