« Sei personaggi in cerca d’autore », de Luigi Pirandello, Athénée – Théâtre Louis-Jouvet

« Sei personaggi in cerca d’autore », de Luigi Pirandello, mise en scène Luca De Fusco © Marco Ghidelli

Du malheur d’être né personnage

Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups

La troupe du Teatro Stabile di Napoli propose en italien, sur la scène de l’Athénée, une version mystérieuse de Six personnages en quête d’auteur, la complexe mise en abyme théâtrale imaginée par Luigi Pirandello en 1921.

Près d’un siècle après sa création, Six personnages en quête d’auteur (Sei personaggi in cerca d’autore en version originale) n’a rien perdu de sa modernité. Ni de son étrangeté. De passage à Paris pour une poignée de représentations à l’Athénée – Théâtre Louis-Jouvet, la troupe du Teatro Stabile di Napoli poursuit la réflexion théâtrale entamée par Pirandello.

Tout commence comme une répétition classique. Le machiniste bricole un morceau de décor à la dernière minute. Les acteurs se détendent avant d’entrer en scène, esquissant quelques pas de danse. Le souffleur relit tranquillement le manuscrit de la pièce. Le régisseur s’active pour que tout soit prêt. La doyenne des comédiens est en retard, comme d’habitude. Capocomico, le directeur du théâtre et metteur en scène du spectacle, commence à s’impatienter. Il n’est pourtant pas au bout de sa peine …

L’arrivée impromptue d’un mystérieux groupe de six personnes prétendant être des « personnages » va définitivement chambouler la répétition et faire basculer la pièce. « Nous sommes à la recherche d’un auteur », déclare un vieil homme. S’agit-il d’une plaisanterie ? Ces individus se seraient-ils échappés d’un asile psychiatrique ? Non, ces six êtres sont bel et bien des personnages orphelins dont la seule requête est qu’on raconte leur histoire. Le metteur en scène et les acteurs n’ont alors plus d’autres choix que d’écouter leur drame familial.

Convoi funèbre

En donnant vie à ces six personnages de chair et d’os, Luigi Pirandello pousse la mise en abyme dramatique là où personne auparavant n’avait osé la pousser, pas même Shakespeare et Corneille, précurseurs en la matière. Pirandello délivre une réflexion sur la nature du théâtre, cet espace unique où les comédiens jouent à jouer pour de faux, interrogeant l’illusion comique et la part de folie dont elle est porteuse. Véritable manifeste pour la défense des personnages – ces êtres paradoxalement moins réels que les hommes mais plus vrais qu’eux et qui ne demandent qu’à vivre – la pièce propose un dispositif labyrinthique dans lequel le spectateur est invité à se perdre.

La mise en scène de Luca De Fusco flirte parfois avec le fantastique. Elle rend intelligemment la détresse de ces six êtres qui souffrent à la fois de leur irréalité et de leurs drames personnels. Les personnages surgissent du néant, profitant de l’ouverture mystérieuse du décor pour pénétrer sur scène, tels des trépassés tentant désespérément de revenir à la vie. La lumière bleutée qui les éclaire leur confère une allure fantomatique et un teint blafard, morbides à souhait. Des projections vidéo en noir et blanc inspirées du cinéma expressionniste allemand des années 1920 viennent renforcer l’inquiétante étrangeté qui se dégage de ce convoi funèbre. Seuls quelques échanges humoristiques avec le metteur en scène et les acteurs atténuent cette ambiance pesante.

Si Luigi Pirandello défend les personnages, il ne les défend pas tous équitablement. Sur la quinzaine de comédiens présents sur scène, seule une poignée ont véritablement l’occasion de pleinement faire exister leur personnage, les autres étant réduits à un rôle de spectateur. Eros Pagni et Gaia Aprea, qui interprètent respectivement un père austère rongé par le remord et une fille voluptueuse bien décidée à se venger, forment un duo saisissant. Les pitreries de Paolo Serra, metteur en scène élégant et poseur qui se laisse facilement embobiner, apportent quant à elles un peu de légèreté à l’ensemble.

Damnés pour l’éternité, les personnages créés par Luigi Pirandello n’en finiront jamais de souffrir. Mais, grâce à Luca De Fusco et la troupe du Teatro Stabile di Napoli, ils continuent néanmoins de vivre.  

Maxime Grandgeorge


Sei personaggi in cerca d’autore, de Luigi Pirandello

Spectacle en italien, surtitré en français.

Mise en scène : Luca De Fusco

Avec : Eros Pagni, Federica Granata, Gaia Aprea, Gianluca Musiu, Silvia Biancalana, Maria Chiara Cossia, Angela Pagano, Paolo Serra, Maria Basile Scarpetta, Giacinto Palmarini, Alessandra Pacifico Griffini, Paolo Cresta, Enzo Turrin, Carlo Sciaccaluga, Alessandro Balletta, Sara Guardascione, Annabella Marotta et Francesco Scolaro

Scénographie et costumes : Marta Crisolini Malatesta

Lumière : Gigi Saccomandi

Musique : Ran Bagno

Installation vidéo : Alessandro Papa

Chorégraphie : Alessandro Panzavolta

Production : Teatro Stabile di Napoli – Teatro Nazionale, Teatro Nazionale di Genova I

Coréalisation : Athénée Théâtre Louis-Jouvet

Athénée – Théâtre Louis-Jouvet • Sqare de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau • 75009 Paris

Du 7 au 10 février, du vendredi au samedi à 20h, le dimanche à 16h

Durée : 2h20 environ avec entracte

Réservations : 01 53 05 19 19

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