Frais, Feydeau frais !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
La Boîte du souffleur dépoussière « Tailleur pour dames ». Une équipe jeune et engagée, un décor et des costumes légers, un jeu qui tire vers le clown : voilà de bonnes idées. Le spectacle frais et pétillant révèle ainsi l’esprit de Feydeau.
Tailleur pour dames est le premier succès d’un jeune auteur. En 1886, Georges Feydeau se trouve en effet encore sous la protection tutélaire de Labiche. La critique doute, mais grâce « à la gaîté verveuse et endiablée de la jeunesse » *, la pièce triomphe. Or, ce sont ces qualités que met justement en valeur la proposition de La Boîte du souffleur.
On n’était pourtant pas rassuré en entrant au Théâtre Clavel. « Pourvu que l’on n’ait pas droit à un énième vaudeville en costumes d’époque, avec effets appuyés et diction surlignée ! » Environné d’affiches de spectacles plus ou moins douteux, surprenant certaines remarques inquiétantes (« Pour une fois, on va s’amuser au théâtre », ou « Je ne vais voir que des classiques »), on avait failli rebrousser chemin. À tort.
Rien en effet de stéréotypé dans ce vaudeville. Le décor est épuré. Un changement de lumière suffit ainsi à signifier qu’on se trouve dans un autre lieu. Des portes permettent simplement aux personnages de surgir, se dissimuler ou s’évanouir en un clin d’œil. On serait même tenté de penser que l’équipe s’est amusée du jeu de portes qui claquent propre au vaudeville, et l’a stylisé.
Comme des pantins surgis de leur boîte noire
Même chose pour les costumes. De fait, les couleurs vives, les coupes excessives interdisent le naturalisme plat. Elles apparentent plutôt les personnages à des marionnettes qui bondissent de leur boîte. D’ailleurs, la sympathique affiche du spectacle nous montre des poupées (Barbie) dans un décor de bonbonnière. Et le choix désopilant du travestissement ajoute à l’ambiance délibérément artificielle et farfelue. À cet égard, on signalera la superbe performance d’Édouard Michelon, incroyable en belle-mère despotique.
Mais, en définitive, c’est l’ensemble des comédiens, enfarinés comme des clowns ou des personnages de commedia dell’arte qui nous embarque dans un monde de fantaisie. Là, le mari planté alors qu’il cherchait des cigarettes retrouve sa moitié, un médecin devient tailleur, une infidèle se voit trompée à son tour. Engagés, les interprètes nous emportent dans le tourbillon qui nous empêche de remettre en cause les ficelles de la pièce.
Même leur naïveté est un atout, parce qu’elle donne de la fraîcheur à un propos somme toute acerbe. Car Feydeau n’épargne personne. Maris, épouses et belle-mère, tous en prennent pour leur grade. On parle beaucoup de l’amertume des dernières pièces de Feydeau, mais il y a déjà ici beaucoup de fiel ! Certains jouent sur l’excès comme Marie Lagrée, Mathieu Kassimo. D’autres déclinent en finesse les couleurs de personnages plus nuancés (Aurélie Noblesse, Samuel Glaumé et surtout Rémi Dessenoix), mais tous portent une proposition ludique et satirique. ¶
Laura Plas
* Citation extraite de l’article de Francisque Sarcey publié dans le Temps, le 20 décembre 1886.
Tailleur pour dames, de Georges Feydeau
La Boîte du souffleur • 24, rue du Hameau • 94240 L’Haÿ‑les‑Roses
01 48 03 00 65
Site : www.laboitedusouffleur.fr
Conception et mise en scène : Samuel Glaumé et Marie Lagrée
Avec, en alternance : Elsa Briongos‑Renaud, Rémi Dessenoix, Samuel Glaumé, Matthieu Kassimo, Marie Lagrée, Édouard Michelon, Aurélie Noblesse, Aude Pons, Lionel Rondeau, Pierre Vos
Création lumières : Julie Duquenoÿ
Décor : Démis Boussu
Musique : Patrick Delattre
Maquillage : Elsa Briongos‑Renaud
Costume : Studio Mode
Photo : © Pierre Dolzani
Théâtre Clavel • 3, rue Clavel • 75019 Paris
Courriel du théâtre : theatre.clavel@gmail.com
Réservations : 07 81 66 44 05
Métro : Pyrénées (ligne 11)
Du 1er octobre au 31 décembre 2013, les mardi et mercredi à 19 h 30
Durée : 1 h 20
18 € | 12 €