« The Great Disaster », de Patrick Kermann, Théâtre Jean‑Macé à Laval, dans le cadre du Chaînon manquant

The Great Disaster © Christophe Raynaud de Lage

Olivier Dutilloy, à l’exceptionnelle présence

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Autre coup de cœur du Chaînon manquant 2016 : Olivier Dutilloy nous transporte littéralement dans « The Great Disaster », texte magnifique de Patrick Kermann, mis en scène admirablement par Anne‑Laure Liégeois.

Le 14 avril 1912, à 23 h 40, un « petit glaçon de rien du tout » a sombré à cause d’un iceberg ! ». Voilà comment Giovanni Pastore, plongeur clandestin sur le Titanic, est entré dans la légende. Pourtant, ni lui ni ses camarades d’infortune n’ont figuré sur la liste des victimes du naufrage.

Sous les flots, depuis un siècle, ce héros anonyme raconte chaque jour la même histoire. La sienne : celle d’un berger descendu de ses montagnes du Frioul pour prouver qu’il est capable de réussir dans la vie, celle de l’exilé parti pour faire fortune aux Amériques. Quinze ans à bourlinguer et cinq jours sur le paquebot le plus connu du monde. L’exilé se retrouve en effet à laver les 3 177 petites cuillères du prestigieux restaurant sur le Titanic. Destination : le Nouveau Monde. Mais no futur !

La misère, le mal du pays et le racisme, l’amour du travail bien fait et la force de vie, malgré tout, puis la panique des passagers à l’approche glaciale de la mort, jusqu’au néant. Un néant que ce damné de la terre, péri dans les flots, remplit de paroles. Un destin aux accents de tragédie grecque avec le fatum annoncé par la mamma : après la nona (grand-mère) morte dans la fontaine du village, le petit-fils sera englouti dans l’Atlantique.

Performance

Au-delà de la « petite » histoire, Giovanni Pastore témoigne d’une époque pas si lointaine, celle de l’exode, représentant la dure condition des travailleurs immigrés. Une vie de labeur noyée dans l’absurdité du monde, qui n’est pas sans évoquer le lourd tribut payé par les clandestins de tous bords.

Dans ce soliloque, le personnage traverse le temps et les océans pour nous faire parvenir le bruit sourd des hommes de peu qui, pour avoir rêvé de prendre le large, ont perdu la vie dans l’indifférence de tous. Or, cette bouteille jetée à la mer fait œuvre de mémoire. La langue pétrie d’humour de Patrick Kermann sonne juste. Plus que le désespoir, on y entend un formidable hymne à la vie, un vrai message de résistance. C’est tout en délicatesse que l’auteur donne la parole aux laissés-pour-compte, tapis dans l’ombre, qui pourtant luttent pour exister. Et avec quelle poésie ! Le texte est magnifique.

Giovanni Pastore est incarné par Olivier Dutilloy, à l’exceptionnelle présence, malgré l’immobilité imposée par la mise en scène. Une idée convaincante qui restitue toute la puissance d’évocation et l’énergie de ceux qui survivent, coûte que coûte.

Un défi titanesque, aussi, pour l’interprète privé de gestes. Par sa voix, aux subtiles intonations, l’acteur fait ainsi remonter les souvenirs de son personnage à la surface, par vagues, mais son corps est comme figé par la glace : son œil frise, sa langue s’emballe, ses sens se mettent aussitôt en alerte à l’évocation de Cécilia, son amoureuse. Il fait revivre une galerie de personnages, avec des dialogues savoureux, dans une syntaxe proche de l’italien. Même si parfois le souffle est court et l’articulation limite, il garde le cap. Toujours. Sans aucun artifice.

Épuré à l’extrême, le plateau est nu, la lumière crue. Pas d’accessoire ni de bande‑son. Parti pris radical de mise en scène, aux antipodes du blockbuster de James Cameron. Et le résultat est bluffant, d’une rare intensité pour ceux qui acceptent de se laisser embarquer en eaux troubles. 

Léna Martinelli


The Great Disaster, de Patrick Kermann

Éditions Lansman (1992)

Le Festin-Cie Anne‑Laure‑Liégeois • 27, rue Saint‑Maur • 75011 Paris

Site : http://www.lefestin.org

Courriel : contact@lefestin.org

Mise en jeu : Anne‑Laure Liégeois

Diffusion : Mathilde Priolet

Tél. 06 70 78 05 98

Avec : Olivier Dutilloy

Photo : © Christophe Raynaud de Lage

Théâtre Jean‑Macé • 8, rue Jean‑Macé • 53000 Laval

Dans le cadre du Chaînon manquant 2016

Le 15 septembre 2016, à 10 h 30 et 18 h 30

Site : www.lechainon.fr

Renseignements : 02 43 49 85 11

6 €

Durée : 55 minutes

Tournée

  • Le 25 septembre, à l’espace Cosmopolis, Nantes
  • Les 29 et 30 septembre, à l’espace Jéliote, scène conventionnée d’Oloron‑Sainte‑Marie
  • Le 1er octobre 2016, au relais culturel d’Haguenau
  • Le 11 octobre 2016, dans la ville d’Orvault
  • Les 12 et 13 octobre 2016, E.V.E., Le Mans
  • Du 17 au 19 novembre, aux 3 T, Théâtre de Chatellerault
  • Le 20 novembre, dans le cadre de Scènes nomades, Broux‑sur‑Boutonne
  • Du 24 au 26 novembre, au Théâtre de la Tête-Noire, Saran
  • Le 27 novembre, dans le cadre du Festival théâtral du Val‑d’Oise, La Roche‑Guyon
  • Les 1er et 2 décembre, au Rive gauche, Saint-Étienne-du‑Rouvray
  • Du 12 au 14 décembre, A.T.P. d’Uzès
  • Du 7 au 18 janvier 2017, A.T.P. de Nîmes
  • Du 23 au 25 janvier 2017, dans l’agglomération montargoise
  • Les 22 et 24 février 2017, aux Spectacles français, Bienne (Suisse)
  • Le 14 mai 2017, dans la ville d’Amboise
  • Le 17 mai 2017, au Théâtre des 4‑Saisons, Gradignan

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