« Trois contes », de Charles Perrault sur une musique de Maurice Ravel, Théâtre des Abbesses à Paris

Trois contes © Ariane Mestre

Perrault au royaume des Muses

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Quand les contes de Perrault * dialoguent avec la féerique musique de Ravel naît un enchantement. Avec « Trois contes », Les Percussions Claviers de Lyon nous offrent un beau moment musical, encore rehaussé par un film dont les images sont aussi belles, aussi troublantes que des tableaux de maîtres.

Si vous gardez précieusement le vieux vinyle de Pierre et le Loup conté par Gérard Philipe, si vos enfants aiment écouter dans le noir des histoires qu’égayent des notes de musique, alors Trois contes est sans conteste un spectacle fait pour vous. Mais il ravira aussi ceux qui aiment simplement le beau bruit rond des marimbas, les notes cristallines des xylophones, ceux enfin qu’ensorcellent les contes et qui croient que la beauté est à la portée des enfants.

Gérard Lecointe a en effet transcrit pour Les Claviers Percussions de Lyon des partitions de Ravel qu’il fait ainsi jouer avec les mots de Perrault. Or, cette idée frappe par sa pertinence. Ravel n’a‑t‑il pas puisé l’inspiration dans les Contes de ma mère l’Oye ? Son œuvre entière n’est‑elle pas nimbée de rêve et de féerie ? Et l’exécution se révèle à la hauteur du projet. Pour ne donner qu’un exemple, quand le Petit Chaperon pose ses fameuses questions au loup avant de se faire dévorer, on perçoit les grondements de la menace à chaque fois dans la musique. On en viendrait alors presque à croire alors que la musique a été composée pour mieux faire entendre les mots des contes, à moins que ce ne soient les mots qui n’aient été écrits des siècles auparavant pour cette musique. Au royaume de la Belle au bois dormant tout est possible…

Pour l’œil autant que pour l’oreille

En tout cas, grâce à la musique, le conte reprend les couleurs que les temps avait passées. Les deux arts s’éclairent sans s’illustrer. De fait, pour une fois, la musique n’est ainsi pas reléguée dans la fosse. On peut voir les instruments (la couleur du bois, des métaux) comme les corps des musiciens. Deux écrans complètent ce dispositif. Le plus petit ouvre en avant-scène la porte du conte. Il a la forme d’une page. C’est d’ailleurs le domaine de la conteuse. L’autre, beaucoup plus grand, occupe le fond du plateau : on y voit des scènes muettes du conte. Si l’image ravit l’œil, muette, elle renvoie aux percussionnistes : bel équilibre.

Mais musique et littérature ne sont pas les seules belles convoquées à ce bal des Muses. Sur les écrans défile un film dont les images évoquent l’art de la photographie ou la peinture. De la photographie, on retrouve en effet les étranges poses des personnages, les regards obstinément tournés vers l’objectif, sans compter les tentures déployées derrière les personnages souvent fixes. Il y a une telle perfection dans ces images qu’elles ne paraissent pas vraies. Elles sont gorgées de fiction et désignent l’œil du photographe, à moins que ce ne soit celui du peintre.

De fait, on a souvent l’impression de reconnaître dans un plan un univers pictural. Par exemple, les jonquilles au milieu desquelles se promène le Chaperon rouge (avant de devenir coquelicot) fait penser au Champ de coquelicots, justement, de Monet. Quand Poucet espionne à la chandelle ses parents, on se croirait plongé dans une toile de La Tour. Les natures mortes ou vives abondent, comme les vanités. Ainsi, splendeur nacrée des paupières, camaïeu des chandails et écharpes, tout semble ordre et beauté. C’est une beauté bizarre, d’ailleurs, comme venue d’un autre temps.

Perrault dans son obscure splendeur

Le travail cinématographique crée, quant à lui, l’illusion propre au conte. Par sa magie, un objet disparaît ou se métamorphose. Le cadrage permet, lui, de raconter l’exclusion de Poucet, comme de faire imaginer tout un hors-champ magnifique ou terrifiant. En effet, la fidélité à l’œuvre de Perrault ne se traduit pas seulement dans Trois contes par le respect du texte (d’ailleurs très bien dit par Véronique Bettencourt), mais dans le choix aussi de la noirceur. Pas d’édulcoration à la Walt Disney. Si on ne voit pas toujours le pire, on en découvre la trace (un filet de sang, un drap blanc chiffonné). Mieux vaut donc attendre sept ans pour en profiter. Heureusement, si les programmateurs ont un peu de bon sens, le spectacle a des chances de tourner. Cela laisse le temps de grandir. 

Laura Plas

* Il s’agit ici, dans l’ordre, du Petit Chaperon rouge, de la Belle au bois dormant et du Petit Poucet.


Trois contes, de Charles Perrault sur une musique de Maurice Ravel

Adaptation et mise en scène : Emmanuelle Prager

Proposition originale, direction musicale : Gérard Lecointe

Lectrice (à l’écran) : Véronique Bettencourt

Lumières : Arnaud Perrat

Costumes : Louise Kelh et Marie Brodart

Régie générale et régie vidéo : Arnaud Perrat

Décors et accessoires : Louise Kelh et Guillaume Ponroy

Postproduction son et vidéo : Compagnie lyonnaise de cinéma

Avec Les Percussions Claviers de Lyon : Raphaël Aggery, Sylvie Aubelle, Jérémy Daillet, Gilles Dumoulin, Gérard Lecointe

Avec à l’écran : Élisa Bremeersch, Fred Bremeersch, Valentine Bremeersch, Solange Dulac, Renaud Golo, Gérard Lecointe, Christophe Legay, Tom Nermel, Emmanuelle Prager, Guillaume Ponroy, Laure Ponroy, Anita Regrey

Photo : © Ariane Mestre

Théâtre des Abbesses • 31,°rue des Abbesses • 75018 Paris

Site du théâtre : www.theatredelaville-paris.com

Réservations : 01 42 74 22 77

Les 28, 29 et 30 décembre 2012 à 19 h 30

Durée : 1 h 5

26 € | 15 € | 20 € | 9 €

Tout public à partir de 7 ans

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