« Un obus dans le cœur », de Wajdi Mouawad, Théâtre des Clochards‐Célestes à Lyon

Un obus dans le cœur © D.R.

Pars vite et deviens

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Wajdi Mouawad, artiste protéiforme libano-canadien, a tiré de son roman « Visage retrouvé » (2002) un monologue intitulé « Un obus dans le cœur » (2007). C’est ce texte que joue et met en scène Loïc Puissant, ancien élève de l’É.N.S.A.T.T. et animateur de la compagnie Autochtone, au Théâtre des Clochards-Célestes à Lyon.

Nuit de Noël. Froid intense et neige en rafales. Un bref appel téléphonique réveille Wahad, dix‑neuf ans. Son frère l’invite à rejoindre d’urgence l’hôpital où leur mère agonise. En chemin, dans l’autobus, puis au service des soins palliatifs, Wahad, traversé par des émotions contradictoires, refait le parcours de sa jeune vie. Il découvre que dans toute existence il y a un avant et un après. Entre colère et désarroi, il fuit ou affronte le présent, se remémore son enfance traumatisée par la guerre et ses tentatives de fugue, chérit ou insulte ses relations complices avec sa mère. Dans une oscillation permanente où le tragique côtoie l’humour, où le trivial épouse la poésie, Wahad devient un homme. La mort de sa mère, qui est aussi la mort de son enfance, le fait accéder à l’art. Il sera peintre, capable de marier hideur et beauté pour commencer à s’accomplir.

Pour mettre en scène la douce violence du texte de Wajdi Mouawad, Loïc Puissant a fait des choix judicieux. D’abord, l’espace intimiste du plateau convient à ce théâtre-récit qui invite à la proximité, car même les cris de l’écriture nécessitent d’être amortis. Hurler sous la neige ou dans la salle d’attente d’un hôpital transforme toute profération en étouffement de la parole. Ici, les mots entendus véhiculent autant un soliloque extériorisé que mental.

Est donc installée, et c’est la première qualité du spectacle, une parfaite adéquation entre le lieu du jeu et la salle. Vient ensuite le parti pris scénographique. Simplicité et rigueur. Un panneau mobile, quelques lattes de bois, deux carrés colorés posés au sol, une chaise articulée et une ossature de marionnette suffisent à découper en séquences les étapes du récit. On pense aux cadrages d’un film. Chaque moment a sa froide ou détendue précision. Ainsi de l’atmosphère livide de la chambre où meurt la mère. Ainsi également de l’ambiance joyeuse d’un souvenir d’enfance qui précède l’irruption d’un attentat. Ainsi encore de la construction de zones étroites qui enferment le personnage dans le labyrinthe de ses pensées. À noter enfin, et c’est si rare aujourd’hui, l’absence de vidéo et de musique. Ce qu’a cherché et à l’évidence trouvé le metteur en scène, c’est de privilégier la langue. Livré dans sa quasi-nudité originelle, dépouillé de toute superfluité technologique, ce théâtre-là convainc que ce qui fait sa force ce sont les mots pour le dire.

Loïc Puissant : une magnifique interprétation

De la richesse thématique et langagière d’Un obus dans le cœur, Loïc Puissant, comme acteur, tire une magnifique interprétation. La simplicité et la rigueur sont une nouvelle fois au rendez-vous. S’y ajoute sans esprit de séduction une volonté naïve de complicité avec les spectateurs. Peu d’éclats dans la voix, qui passe finement du registre enfantin à celui d’adulte sans oublier les chaos de l’adolescence. Économie du corps, qui marque en souplesse les étapes de la vie de son personnage. À tout moment, le comédien, sculptant subtilement ses silences, conduit sa partition en faisant affleurer les désordres de sa mémoire, les perturbations de ses doutes existentiels, les désirs de s’inventer une autre identité.

Saluer la performance de Loïc Puissant et seulement la sienne serait injuste, car il y a à ses côtés celle de Lodoïs Doré, présence muette et indispensable en servant de scène. Visage impassible, vêtu de noir, il manipule les éléments et objets scéniques avec le vrai talent d’un marionnettiste. Il hante comme une image supplémentaire de la mort les angoisses de Wahad.

Bouleversants et généreux, Loïc Puissant et Lodoïs Doré méritent qu’on les rencontre. Leur spectacle, et c’est chose précieuse, est une occasion exceptionnelle d’entraîner au théâtre contemporain des adolescents pour leur faire poser au moins pendant une heure leurs écouteurs et leurs tablettes. Sûr qu’il y en a parmi eux quelques-uns qui, comme on dit familièrement, ont un problème avec leur mère. 

Michel Dieuaide


Un obus dans le cœur, de Wajdi Mouawad

Le texte d’Un obus dans le cœur est paru aux éditions Léméac /Actes Sud

Agent théâtral du texte représenté par : Simard Agence Artistique Inc.

Mise en scène : Loïc Puissant

Avec : Loïc Puissant, Lodoïs Doré

Collaboration à la mise en scène et costumes : Julie Lascoumes

Scénographie et accessoires : Clémentine Aguettant, Roland Puissant

Photo : © D.R.

Production : Cie Autochtone

www.compagnie-autochtone.com

Théâtre des Clochards-Célestes • 51, rue des Tables-Claudiennes • 69001 Lyon

04 78 28 34 43

Site : www.clochardscelestes.com

Courriel : billetterie@clochardscelestes.com

Du 18 novembre au 4 décembre 2014

Représentations : les mardi, mercredi, vendredi à 20 heures, les jeudis à 19 heures, le samedi 22 novembre à 20 heures, le samedi 29 novembre à 17 heures

Durée : 1 heure

15 € | 11 € | 8 €

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