« Une saison au Congo », d’Aimé Césaire, Théâtre national populaire à Villeurbanne

Une saison au Congo © Michel Cavalca

Du vrai sang, de vraies larmes

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

En portant sur le plateau du T.N.P. la pièce d’Aimé Césaire, « Une saison au Congo », très rarement jouée, Christian Schiaretti affirme une fois encore sa volonté de faire entendre de grandes voix et de faire vivre des projets d’envergure.

Le théâtre d’Aimé Césaire met en scène des héros pris dans la tragédie de l’histoire, des destins de bâtisseurs à la fois lumineux et brisés. Il parle en homme politique autant qu’en poète de l’esclavage, de la décolonisation, de la terre africaine, avec passion et une lucidité amère… Plus que tout, il se veut le porte-parole éclairé de ceux qui n’ont pas de bouche ni de lanterne…

Ici, il relate la courte vie politique – à peine une saison – de Patrice Lumumba, élu Premier ministre du Congo après le départ des Belges, puis arrêté et assassiné au Katanga, laissant place à un successeur qu’il avait lui même amené à la politique, le général Mobutu, de sinistre mémoire. Il s’attache à faire revivre durant quelques mois les humiliations et les blessures d’un peuple asservi, puis les espoirs immenses né de la libération, l’échec et la mort annoncée du processus de démocratisation… Et cela, c’est bien davantage qu’une saison, c’est un siècle de tragédie africaine.

La force de la pièce tient à ce qu’elle parle de politique et d’histoire, qu’elle montre avec une grande clarté le terrible engrenage, les causes et leurs conséquences, les responsabilités, mais aussi l’inévitable et nécessaire utopie, la quête de liberté et de dignité des « nègres », la part qu’ils prennent à leur propre malheur. Si Aimé Césaire se veut sans ambiguïté aucune du côté des Africains pour une Afrique à la hauteur d’elle-même, son discours n’est jamais caricatural ni réducteur.

Il s’attache autant aux appétits carnassiers et habiles des banquiers européens qu’aux calculs froids des Nations unies, qu’aux jalousies et aux haines entre ethnies différentes, qu’aux peurs et désirs immédiats des petites gens. Que peut face à eux l’expression vibrante d’un rêve ? Car Patrice Lumumba fut sans doute un politique visionnaire, un prophète dont le nom fait encore se dresser les partisans d’un renouveau africain, mais aussi un poète, un piètre stratège dont les alliances se retournèrent systématiquement contre lui, un homme qui choisit bien mal ses amis, ses fidèles… On voit tout cela dans la pièce d’Aimé Césaire, et bien d’autres choses encore. C’est passionnant comme un thriller, lyrique souvent, émouvant aussi… D’autant plus qu’à voir sous nos yeux naître, balbutier et mourir une démocratie, victime des aveuglements et des intérêts, on se prend à penser à d’autres histoires, d’autres pays, d’autres vies brisées, d’autres peuples humiliés, d’autres rapaces, toujours les mêmes… Et cela vous étreint.

« Le drame des nègres dans le monde moderne »

Christian Schiaretti a fait une pièce chorale de cette Saison au Congo : tout se joue dans un cercle de craie, scènes de rue, combats, meetings, mais aussi paroles plus intimes ou drame final. Autour, les acteurs et figurants (plus d’une trentaine au total dont beaucoup venus du Burkina Faso) qui demeurent sur le plateau, spectateurs attentifs et malheureux, réduits à l’impuissance devant l’histoire de ce pays se faisant et se défaisant sous leurs yeux. Au fond, quatre musiciens et leurs instruments, basse, percussion et… piano, instrument inattendu qui montre aussi la volonté d’échapper à tout pittoresque : il eût été facile de faire entendre de la musique manifestement africaine, de jouer le folklore, d’autant qu’à tout moment, dans la rue et ailleurs, l’on danse comme l’on tire – facilement… Mais, tout comme Christian Schiaretti, le compositeur Fabrice Devienne souhaite éviter le folklore. Sa musique sert la pièce sans l’étouffer. Car cette histoire est faite avec du vrai sang, de vraies larmes.

Ce que vient nous rappeler la terrible séquence du martyre de Lumumba, qui repose entièrement sur le jeu du comédien Marc Zinga, un comédien magnifique dont la ressemblance avec son personnage est troublante. Il donne à voir avec subtilité à la fois l’enthousiasme, la jeunesse, la clairvoyance et l’aveuglement de cet homme pressé que fut Lumumba.

Comme toujours chez Schiaretti, le travail sur la langue est précis, orfévré : il nous restitue les accents, qu’ils soient bantou ou belge, nous fait entendre des alexandrins, nous ouvre ainsi à cette prodigieuse diversité des hommes, et à leurs difficultés de communication si désespérantes… 

Trina Mounier


Une saison au Congo, d’Aimé Césaire

Mise en scène : Christian Schiaretti

Avec : Marc Zinga (Lumumba) et Joëlle Beli Titi, Stéphane Bernard, Olivier Borle, Paterne Boungou, Clément Carabédian, Mwanza Goutier, Safourata Kaboré, Marcel Mankita, Yaya Mbile Bitang, Maxime Mansion, Bwanga Pilipili, Emmanuel Rotoubam, Aristide Tarnagda, Mahamadou Tindano, Philippe Vincenot, Marc‑Antoine Vumilia Muhindo, Charles Wattara, Marius Yelolo

Avec la participation de Clara Simpson dans le rôle de l’Ambassadeur grand occidental

et Toussaint Armel Bakala, Rolly Bibondo Mbu, Appollos Diaby, Sidney Terence Ebaka, Édouard Eyele, Jonathan Goundoul, Antoine Kete, Anney Kouassy, Samba Niang, Sandra Parfait, Ludovic Fabien Sathoud, Adama Batieba Thiero, Vincent Vesperant, Seydou Wane, Valérie Berlinga (chant), Fabrice Devienne (piano), Henri Dorina (basse), Jacot Largent (percussion)

Dramaturgie et conseils artistiques : Daniel Maximin

Musique originale : Fabrice Devienne

Scénographie et accessoires : Fanny Gamet

Costumes : Thibaut Welchlin

Lumières : Vincent Boute

Son : Laurent Dureux

Vidéo : Nicolas Gerlier

Coiffures, maquillage : Françoise Chaumayrac

Assistants à la mise en scène : Baptiste Guiton, Paul Zoungrana, sous l’œil bienveillant de Moïse Touré

Photo : © Michel Cavalca

Production Théâtre national populaire

En coréalisation avec les Gémeaux à Sceaux-scène nationale

Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69627 Villeurbanne cedex

Réservations : 04 78 03 30 00

www.tnp-villeurbanne.com

– Métro : ligne A, arrêt Gratte-Ciel

– Bus : C3, arrêt Paul-Verlaine ; bus lignes 27, 69 et C26, arrêt Mairie-de‑Villeurbanne

– Voiture : prendre le cours Émile-Zola jusqu’aux Gratte-Ciel, suivre la direction hôtel de ville

Par le périphérique, sortie Villeurbanne-Cusset / Gratte-Ciel

Du 14 mai au 7 juin 2013, et du 15 octobre au 25 octobre 2013 à 20 heures, le dimanche à 16 heures

Durée : 2 h 40

28 € | 18 € | 13 € | 8 €

Autour du spectacle :

– Soirée hommage à Aimé Césaire le mercredi 15 mai à 19 heures à la maison de l’Image, du Livre et du Son

– Rencontre avec Daniel Maximin, romancier, poète, essayiste et ami d’Aimé Césaire, dramaturge de la création d’Une saison au Congo le 17 mai à 17 heures au T.N.P.

Tournée :

  • Du 8 novembre au 24 novembre 2013 aux Gémeaux à Sceaux

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