« Veillée de famille », de Gilles Gaston-Dreyfus, Théâtre du Rond-Point à Paris

« Veillee-de-famille-Gilles Gaston-Dreyfus © Giovanni Cittadini Cesi

Règlement de contes

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Gilles Gaston-Dreyfus présente « Veillée de famille » au Théâtre du Rond-Point. Une âpre confrontation à la mort, surtout de l’enfance, non dénuée d’humour et de cruauté, et qui en dit beaucoup des névroses familiales.

On n’en finit décidément pas de mourir au théâtre ! Après Localement agité, Veillée de famille présente une fratrie, réunie au chevet de la mère, à l’agonie. Réunis dans cette modeste cuisine, Yvan, Jeanne et Guillaume – la cinquantaine – s’affrontent, plus qu’ils ne se consolent. Une soirée bien triste, en somme. La perte de proches est souvent douloureuse. Pire encore, elle rouvre les plaies mal cicatrisées.

Pour le troisième de ses textes (après Mon ami Louis et Couple, également mis en scène au Théâtre du Rond-Point), Gilles Gaston-Dreyfus fouille dans l’histoire de ses personnages pour tenter d’exprimer l’indicible. Sans sombrer dans les clichés, il sonde la part inconsolable de chacun. Subtilement, il décale le propos vers l’humour… noir, évitant les écueils mortifères.

« Ça pue la mort »

On les suit dans cette antichambre de la mort, depuis le cœur du foyer jusqu’à la chambre, dont seuls les bruits nous parviennent, par talkies-walkies interposés. Qu’il est long ce couloir, empli d’une odeur pestilentielle insupportable. Les non-dits ont des relents encore pire, mais l’essentiel reste caché. Rien de sordide. On dirait presque un conte.

Si quelques souvenirs d’enfance remontent à la surface, ce ne sont pas les mêmes. Les points de vue sur ces moments pourtant partagés diffèrent. Alors comment fait-on quand on ne peut pas « se blairer » ? Ces trois-là, qui semblent des inconnus aux yeux des autres, s’écoutent peut-être pour la première fois.

Veillee-de-famille-Gilles Gaston-Dreyfus © Giovanni Cittadini Cesi
« Veillée de famille », de Gilles Gaston-Dreyfus © Giovanni Cittadini Cesi

C’est quand même l’occasion de régler ses comptes. D’ailleurs qui va hériter de quoi ? S’ils se racontent, beaucoup de questions les taraudent : pourquoi le jaune est-elle la couleur honnie d’Yvan ? Qui a vu la mère toute nue ? À qui a-t-elle dit qu’elle l’aimait ? Au fond, qui est le plus sensible des trois ? On n’a pas forcément les réponses, mais on en apprend des vertes et des pas mûres, quand Guillaume, l’aîné, laisse la parole aux autres.

Confidences et angoisses de la mort s’échangent enfin. On prend surtout la mesure des problèmes de reconnaissance. Selon la philosophe Nicole Prieur, « dans la construction de l’identité personnelle, entre fusion et rivalité, l’influence de la fratrie est bien plus grande que celle des parents ».

Tailler dans le vif

Au-delà des angoisses du deuil, il ressort de cette interminable veillée funèbre la fragilité d’une relation familiale, dont il ne reste que les frustrations, celles qui entre frères et sœurs nourrissent le ressentiment perpétuel.
 Quelques moments de complicité ressortent bien, mais les traumatismes prennent le pas. Pourtant, l’auteur ne dévoile ici aucun secret de famille (contrairement à ce qui se passait dans Localement agité) : les éclats n’élucident rien du tout; les coups de gueule visent à relâcher les nerfs. C’est une question de survie.

Dirigés pour ne pas sombrer dans le réalisme, les acteurs surprennent parfois. Dominique Raymond adopte un ton décalé et des postures caricaturales. Quant à Stéphane Roger, il tombe facilement dans la parodie de la victime, avec une crise d’hystérie vraiment « too much ». Sinon, ils tiennent leur personnage à juste distance, ressassent ou ravalent leurs rancœurs, font claquer les répliques bien comme il faut, tout en révélant leurs failles, avec pudeur. La vitalité de leur jeu, salutaire, sert un texte très bien écrit, aux dialogues ciselés. Surtout, elle innerve un spectacle sur les liens du sang et rend le jeu de massacre réjouissant. 

Léna Martinelli


Veillée de famille, de Gilles Gaston-Dreyfus

Le texte est édité aux Éditions Barimer

Compagnie Barimer

Mise en scène : Gilles Gaston-Dreyfus

Avec : Dominique Reymond, Gilles Gaston-Dreyfus, Stéphane Roger

Et la voix de Claude Perron

Collaboration artistique : Camille Melvil

Décor : Chantal de La Coste

Lumière : Fabrice Combier

Musique : Nicolas Errera

Costumes : Corinne Sarfati

Sound designer : Jean Croc

Musique (clarinette) : Bernard Pollak

Musique (contrebasse) : Jean-Pierre Mulot

Musique (saxophone) : Vartan Karakeusian

Assistante de production : Julie Pagnier

Théâtre du Rond-Point • Salle Jean Tardieu • 2 bis, avenue Franklin-Roosevelt • 75008 Paris

Du 12  mars au 7 avril 2019, du mardi au samedi à 21 heures, le dimanche à 15 h 30, relâche les lundis

De 12 € à 31 €

Réservations en ligne ou au 01 44 95 98 21

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