« Vous plaisantez, monsieur Tanner », de Jean‑Paul Dubois, le Lucernaire à Paris

Vous plaisantez, monsieur Tanner © D.R.

Évolution remarquablement illustrée par la mise en scène

Par Coline Debayle
Les Trois Coups

« Vous plaisantez, monsieur Tanner » est un monologue issu du livre éponyme de Jean‑Paul Dubois écrit en 2006, qui aborde sur un ton caustique l’enfer d’un chantier de rénovation. L’adaptation et la scénographie de David Teysseyre sont particulièrement brillantes. Néanmoins, j’ai été moins touchée par l’humour que par la richesse des personnages incarnés.

Tout commence par une clef en or tendue par un notaire libidineux. « Acceptez-vous votre héritage, monsieur Tanner ?» Pour ce documentariste animalier, la clef symbolise un défi à relever – la rénovation d’une immense maison léguée par son oncle –, mais aussi l’espoir d’un nouveau départ. M. Tanner choisit alors de s’en emparer et nous plonge avec lui dans un long cauchemar… Une succession de caricatures défile alors devant nos yeux : un électricien russe dévot, un sculpteur caractériel reconverti en peintre en bâtiment, des travailleurs clandestins, crapuleux et menteurs… ou encore un couple de couvreurs très « Village People ». Tous les corps de métiers y passent, et rien ne se produit comme prévu pour M. Tanner.

Le parti pris de la pièce consiste à confier à la fois la narration interne de M. Tanner et les rôles des ouvriers à un même comédien. Roch‑Antoine Albaladejo est ainsi capable d’épouser toutes ces personnalités avec une vivacité incroyable, de manière toujours décapante, en adoptant notamment des accents cocasses. L’humour pince-sans-rire, par quelques piques et métaphores déconcertantes, nous décroche des sourires et peut rappeler à certains leurs propres galères de chantiers de rénovation. Un point que j’ai particulièrement apprécié est le refus d’un regard condescendant sur ces ouvriers originaires du monde entier, avec leurs qualités et leurs défauts (et plus souvent leurs défauts d’ailleurs). Ouvriers, qui, finalement, viennent chacun à leur tour combler la solitude de M. Tanner.

Le processus d’évolution psychologique du narrateur est remarquablement illustré par la mise en scène. M. Tanner est peu à peu dévoré par ce chantier interminable, qui le hante jusqu’à la paranoïa. Cet homme, dépossédé de ses économies, prend conscience de sa solitude, de la vacuité de sa vie. Ainsi, la maison – habituellement lieu d’intimité et du bien-être – se transforme en instrument de souffrance, annihilant les désirs de M. Tanner, qui perd par là une partie de son humanité. Ceci met d’autant plus en exergue les qualités humaines des ouvriers auxquels il est confronté.

Par ailleurs, la scénographie de David Teysseyre donne, selon moi, tout son éclat à cette pièce. À l’image de ce « paquebot de soucis » que constitue ce chantier, le décor est un espace confiné et malléable où s’enchevêtrent les matériaux. Cependant, rien n’est laissé au hasard et chaque élément du décor remplit une fonction essentielle. Cet espace dépeint très justement le désarroi et l’enfermement du narrateur au sein de cette maison dévastée, de ce cauchemar dont il ne peut s’échapper. Le comédien joue ainsi avec les éléments et les lumières pendant une heure dix en rendant le chantier, par instants, étonnamment esthétique.

Un regret toutefois, l’identification à M. Tanner et à ses déboires n’a pas été immédiate, certainement parce que ce n’était pas une situation que j’avais vécue au préalable. Cependant, il me semble que pour ceux qui traversent ou ont connu les péripéties d’une rénovation, l’humour n’en sera que plus qu’apprécié. Somme toute, une pièce divertissante et très bien adaptée, mais qui n’entrera pas dans le palmarès de mes œuvres préférées. 

Coline Debayle


Vous plaisantez, monsieur Tanner, de Jean‑Paul Dubois

Le Cabestan • 11, rue Collège‑de‑la‑Croix • 84000 Avignon

04 90 86 11 74 | télécopie : 04 90 86 11 74

Mise en scène, adaptation et scénographie : David Teysseyre

Avec : Roch‑Antoine Albaladejo

Création lumière : Vincent Lemoine

Son : Sébastien Cannas | Capitaine Plouf

Diffusion : Florence Dellerie

Le Lucernaire • 53, rue Notre‑Dame‑des‑Champs • 75006 Paris

les 5, 12 et 19 mai 2008 à 21 heures

Durée : 1 h 10

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