Entretien avec Katia Ferreira et Charly Breton, à propos de « First Trip », MC2 de Grenoble

Katia Ferreira © Alice Barbosa

« First Trip » est une œuvre sur la mémoire »

Par Juliette Nadal
Les Trois Coups

Katia Ferreira et Charly Breton sont deux jeunes artistes d’une trentaine d’années, à la fois metteurs en scène, comédiens et auteur. Ils sont membres co-fondateurs, avec Charles-Henri Wolff, du Cinquième quart. Ils préparent actuellement la traduction scénique de « First Trip », le roman de Jeffrey Eugenides adapté au cinéma par Sofia Coppola, qui évoque le suicide de cinq adolescentes américaines dans un quartier résidentiel des années soixante-dix.

Comment le théâtre est arrivé dans votre vie ?

Katia Ferreira : J’ai fait quelques stages de théâtre au collège et au lycée. Je voulais suivre une formation professionnelle après le bac, mais mes parents étaient contre. J’ai donc fait une prépa littéraire, puis des études de littérature et de philosophie esthétique à Paris. À la fin de mon cursus, j’ai commencé à prendre des cours privés de théâtre le soir, puis j’ai passé le concours de l’École supérieure d’art dramatique de Montpellier (ENSAD). Pour moi, le théâtre est un art de la synthèse, une pratique artistique qui permet la cohabitation des arts plastiques, de la littérature, de la philosophie, de l’histoire des arts.

Charly Breton : J’ai commencé le théâtre dans des ateliers au collège. Après le lycée, j’ai fait une prépa littéraire, puis des études de philosophie. En prépa, j’étais frustré par l’académisme, et j’ai eu la chance d’avoir un professeur qui avait été un élève de Roland Barthes. Il m’a conseillé de ne pas rester là, que ce n’était pas ma place. Puis, plus tard, alors que je préparais un master sur la question du trac, j’ai revu une amie qui étudiait à l’ENSAD et là je me suis demandé sérieusement où la pensée était la forte entre l’université et la pratique théâtrale. J’ai alors passé le concours de l’ENSAD.

Que pensez-vous avoir appris à l’ENSAD ?

Katia Ferreira : L’exigence de la chose collective. Le cursus de l’ENSAD dure trois ans. N’étant pas rattachée à un théâtre, cette école accorde une plus grande latitude dans l’exploitation de son espace et de ses rythmes. C’est avant tout un lieu de rencontre et d’expérimentation, où des artistes confirmés viennent partager leurs exigences et éprouver leurs pratiques avec les jeunes comédiens apprentis. Elle propose un apprentissage empirique, par la création de formes théâtrales et nous incite à essayer, à prendre des risques.

À l’époque, le directeur était Ariel Garcia Valdès. Il nous a transmis sa grande attention au texte, à la voix, à la langue, à la nécessité d’éprouver et de parler la langue de chaque auteur. Cette langue, c’est celle des mots, mais aussi celle du corps et du plateau.

On travaillait avec les intervenants mais aussi dans une grande autonomie. Comme il n’y a pas de sections techniques, on était confronté à des réalités qui dépasse l’actorat, et permettent d’envisager l’acte créatif non pas comme un cloisonnement des pratiques entre technique et jeu, mais comme un ensemble de gestes associés. On avait les clefs de l’école et on venait travailler quand on voulait, dans une grande liberté.

Charly Breton © Antonin Amy-Menichetti
Charly Breton © Antonin Amy-Menichetti

Qu’est-ce qui vous réunit sur « First Trip » ?

Katia Ferreira : C’est un projet qui mûrit en moi depuis la fin de l’école. J’avais vu le film quand j’étais adolescente. Puis j’ai découvert le roman grâce à Évelyne Didi, à l’ENSAD. J’ai été interpellée par l’ambivalence de son énonciation : l’œuvre n’est pas centrée sur ces filles qui se suicident, mais sur l’enquête que mènent, des années après, les garçons qui les ont connues. C’est une sorte de puzzle, lacunaire, qui cherche ses pièces manquantes.

Et au-delà de l’intrigue, c’est une œuvre qui interroge les mouvements de la mémoire. D’où une certaine théâtralité de la reconstitution. C’est cela qui m’a donné envie de l’adapter à la scène, de représenter les différentes strates de temporalités qui se chevauchent pendant l’enquête des garçons. J’ai l’impression que c’est ça le présent au théâtre, ce chevauchement des temporalités.

La présence de corps adolescents

sur le plateau est plus forte.

Que pensez-vous faire vivre au spectateur avec ce spectacle ?

Katia Ferreira et Charly Breton : Cette œuvre propose une expérience de la mémoire, qui se transforme, s’occulte, s’éloigne, se cherche à travers des objets fétichisés. Il s’agit aussi d’un moment de transformation, tant historique (le contexte est celui des années 70) qu’individuelle (l’adolescence). Les garçons qui enquêtent tentent de faire le deuil de ces filles-là et revivent une part de leur enfance.

Par exemple, la vidéo dans le spectacle permet de mettre en scène ces différentes modalités du temps et du souvenir. Quand les personnages font appel à leurs propres souvenirs pour reconstituer une scène, les comédiens se filment en direct. Ils sont intégrés aux scènes du passé qu’ils se remémorent au présent. Lorsque les personnages font appel à des témoignages ou récits extérieurs, il s’agit là de vidéos préenregistrées, qu’ils visionnent.

Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer dans votre mise en scène une vingtaine d’adolescents amateurs ?

Katia Ferreira et Charly Breton : Pour l’ensemble de l’adaptation, la question des corps adolescents s’est posée. C’était une question de jeu pour les comédiens, mais très vite on a vu que leur faire jouer l’adolescent, ça ne fonctionnait pas. La présence de corps adolescents sur le plateau est plus forte.

On n’a pas cherché à établir des ressemblances entre les comédiens et les adolescents. On compte sur l’effet Koulechov et sur le fait que leur présence va laisser quelque chose de l’adolescence sur le plateau. En outre, nous voulions que les enquêteurs puissent être débordés par leur mémoire au point de replonger dans la foule adolescente de leurs années lycée. 

Propos recueillis par
Juliette Nadal


First Trip, d’après le roman de Jeffrey Eugenides

Mise en scène de Katia Ferreira

Avec : Elsa Agnès, Laurie Barthélémy, Evelyne Didi, Florent Dupuis, Frédérique Dufour, Dag Jeanneret, Mathias Labelle, Laureline Le Bris-Cep, Lou Martin-Fernet, Audrey Montpied, Valentin Rolland, Sylvère Santin, Vincent Steinebach, Charles-Henri Wolff

Collaboration artistique et dramaturgie : Charly Breton

Réalisation vidéo : Christophe Gaultier

Collaboration vidéo : Marine Serles

Musique originale : Florent Dupuis

Scénographie et costumes : Katia Ferreira

Collaboration scénographie : Julien Boizard

Régie générale et plateau : Muriel Valat

Création et régie lumière : Mathilde Chamoux

Création et régie son : Hans Kunze

Régie vidéo : Paul Poncet

Regard extérieur : Charles-Henri Wolff

Avec le soutien de Cyril Teste et du Collectif MXM

Durée : environ 2 heures

MC2 de Grenoble • 4 rue Paul Claudel • 38100 Grenoble

Jeudi 21 mars à 19 h 30, vendredi 22 mars à 20 h 30, samedi 23 mars à 19 h 30

De 10 € à 27 €

Réservations : 04 76 00 79 00

Tournée :

  • Les 22 et 23 mai 2019, La Comète Scène Nationale, à Châlons-en-Champagne
  • En juin, Festival Printemps des comédiens à Montpellier
  • En juillet 2019, au Festival Paris l’été

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories