Découvrir le numérique autrement
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Du 1er au 15 avril, la 5e édition du Noob, accueillera 11 spectacles payants et 7 installations gratuites. Premier festival jeune public du genre, en France, il mêle immersion et nouvelles technologies. Cirque en réalité virtuelle, théâtre radiophonique, danse et déambulation hors les murs audioguidées, mapping culinaire, hologrammes et théâtre d’ombres font partie de la programmation, de haut niveau.
Ce festival atypique en direction des 6 mois-12 ans s’est déployé sous l’impulsion de L’Éclat, scène conventionnée d’intérêt national Art Enfance et Jeunesse, à Pont-Audemer. Ce secteur connaît une créativité sans limite, comme l’explique Simon Fleury, directeur des affaires culturelles de la ville et fondateur du Noob : « Le numérique frémit dans tous les champs artistiques. C’est pourquoi nous mettons à l’honneur les dramaturgies numériques. Nous entendons par là les écritures qui tordent le geste chorégraphique, théâtral, cinéma, etc. par un langage spécifique ».
À sa création, le Noob comblait un grand vide. Il existait des initiatives au croisement des deux disciplines pour les adolescents. Or, l’épanouissement et l’émancipation des individus commencent dès le plus jeune âge. Les dramaturgies numériques proposent de véritables expériences à vivre qui changent des pratiques solitaires, derrière les écrans. Et l’on sait combien le participatif stimule les apprentissages, élève les esprits. D’ailleurs, l’an passé, 5 000 visiteurs ont profité de l’événement.
Des expériences sensibles et conviviales
Débutons donc par les spectacles adressés aux tout-petits, des expériences sensibles qui convoquent tous les sens. Au cœur de l’installation Aux commencements (cie 14:20 ; dès 1 an), sur les parois d’une caverne de papier, Philippe Beau, un ombromane à la notoriété internationale, fait vivre, par ses mains, un étonnant bestiaire dans de courtes performances aux effets saisissants. C’est notre coup de cœur (lire notre critique).
De l’ombre à la lumière… Daniel dans la nuit (cie La Rotule ; de 1 à 6 ans) propose une visite nocturne, à la lampe torche, dans une forêt d’écrans aux formes douces et épurées sur lesquelles sont projetées des images. Pour évoquer les rythmes biologiques, ce spectacle bâti comme un cherche-et-trouve, mêle théâtre, musique et animation.
L’espace du noir est décidément fécond pour l’imaginaire. Avec À vue de nez (sous casques ; dès 6 mois), la cie La Rousse propose une série théâtrale sous forme de courts épisodes qui décrivent le quotidien d’un enfant malvoyant. Fermer les yeux est le début d’une prise de conscience aigüe. De quoi plonger dans une réalité qui nous dépasse, entre radio, tour de manège et performance.
De la nuit aux aurores, des balbutiements aux mots, Babils – Éveil en canopée (cie Premières Fontes) nous projette dans un monde parallèle, cette fois-ci, sous une voûte céleste, en présence de drôles d’oiseaux. Stimulés par leurs chants et des lumières joliment mises en mouvement, les 6 mois-4 ans entrent volontiers en dialogue.
Quand la réalité nous joue des tours…
Mais les lumières peuvent aussi réanimer les corps. Accompagnés d’une mystérieuse créature habillée de miroirs, les deux danseurs de Yūreï (Sine Qua Non Art ; dès 7 ans) évoluent dans d’étonnants paysages numériques. En adaptant les ballets classiques aux danses urbaines, ce tableau vivant fait s’entrechoquer époques et univers.
Si l’on a réussi à garder la tête sur les épaules, on pourra renverser les points de vue avec À l’envers, à l’endroit (La Bocca Della Luna ; dès 6 ans). Et si Blanche-Neige était un homme et les 7 nains des bûcheronnes ? Et si l’oppresseur était son beau-père et la sauveuse, une princesse sachant terrasser les dragons ? Face à un comédien et une bruitiste, les enfants munis de casques audio sont invités à une autre écoute du conte. Il n’est jamais trop tôt pour décoder les stéréotypes de genre.
Justement, comment déceler le vrai du faux ? Inspiré d’Edgar Poe, les trois danseuses hip hop d’Ovale (cie Théâtre Bascule ; dès 6 ans) évoluent dans une scénographie mouvante dessinée par la vidéo et la lumière. Du fantastique pour rester vigilant.
Une programmation diversifiée
Avec Hold on (cie Fheel Concepts ; dès 8 ans), la notion du risque devient concrète. Corinne Linder avait envie de partager ses expériences de voltige aérienne. Équipé de lunettes virtuelles, on se retrouve des coulisses à la scène, jusqu’à dix mètres en hauteur. On se laisse alors envahir par le trac, la joie, ou encore l’adrénaline. Au-delà du film en VR, cette aventure vue par les yeux d’une artiste et des nôtres, augmentés, procure de fortes émotions. Celles de l’acrobatie.
Autre proposition originale de haut vol : embarquer en mission spéciale dans les pas d’une spationaute. En déambulation dans l’espace public, #Exoterritoires (Le Clair Obscur ; dès 7 ans) simule une exploration sur une planète inconnue, à la recherche de traces de vie (lire notre critique). Deuxième volet de sa trilogie sur l’univers, #Drift (à la dérive) raconte l’aventure de la même spationaute, revenue d’un voyage. Sous dôme, nous sommes dans son vaisseau, avec elle, comme suspendus dans l’espace-temps, en pleine contemplation de phénomènes astrophysiques. Une écriture collaborative de science-fiction pour et par des enfants. Passionnant.
Merveilleux, fantastique et réalité augmentée
Changer le regard, voilà un dénominateur commun à tous ces spectacles. Retour en extérieur avec Donne-moi la main (Happy Manif) : nous guidant par une bande son diffusée par casque, David Rolland Chorégraphies interroge les relations mises en jeu au sein de la communauté scolaire, pendant la récréation. Dans la cour des petits, une invitation à déjouer les prises de pouvoirs et à accepter les différences (dès 8 ans). Trop fort !
Participatifs ou pas, plus ou moins interactifs, les spectacles regorgent d’innovations. Certains dispositifs d’accueil du public favorisent d’emblée une immersion, par leur structure, sous dôme, dans une cour d’école. Les nouvelles technologies permettent de vivre des sensations inédites et changent nos perceptions. Si nombreux sont les spectacles sous casques audio, la VR fait une entrée remarquée, cette année. On n’est pas pour autant dans sa bulle. Chaque proposition favorise les échanges, notamment intergénérationnels.
Qu’est-ce qui fait le vivant ?
Les installations ouvrent aussi à des univers aux dimensions insoupçonnées. Le Noob accueille une nouvelle fois la cie Adrien M & Claire B. Programmés partout dans le monde, Adrien Mondot et Claire Bardainne font partie des pionniers. Ils irriguent champs visuels et arts vivants depuis plus de dix ans en mêlant dispositifs numériques sur mesure, création graphique et artisanat. Leur originalité : donner vie à différents supports physiques en plaçant le corps au cœur des images.
Mirages & Miracles (dès 7 ans) est une série autour de la pierre, une tentative de fabrication d’un animisme numérique, grâce à des illusions holographiques et des tablettes qui jouent un rôle de fenêtre vers une réalité cachée au creux de dessins. L’univers virtuel se superpose au réel. Apparemment inertes, les cailloux palpitent. On entend leur silence. D’immobiles, ils s’animent et revêtent des contours inattendus. Une façon très poétique d’interroger le vivant et le mouvement dans ses multiples résonances.
Par ailleurs, une application créée spécialement invite à un jeu de piste dada dans l’espace public (Faune, en collaboration avec le collectif de graphistes Brest Brest Brest ; dès 7 ans). « Une gymnastique de l’attention » propice au « réenchantement urbain » à partir d’affiches qui s’animent avec malice. Confronter ainsi virtuel et réalité invite à regarder autrement, jusque dans le moindre interstice, à sortir du cadre, à apprécier chaque miracle de la vie.
Enfin, ne pas manquer non plus la collecte de souvenirs effectuée auprès de plusieurs élèves de la ville, une palette colorée d’émotions restituée de façon sonore et plastique (J’habite un ciel, cie Boréale et Koreene Conception) ou encore la séance de mini mapping culinaire. Le Petit Chef Lobster (Skullmapping ; dès 6 ans), un cuisinier haut de 58 mm, anime nos assiettes, tandis que la table se métamorphose en univers maritime, glaciaire, au fil des recettes. Miam miam !
Voici de quoi mettre en appétit, car Noob recèle de moult surprises, on l’aura compris. Parmi celles-ci, un projet de podcast Studio Panache qui a pu voir le jour grâce à la participation de Sandrine Weishaar, Simon Delattre et Simon Fleury. Convaincu que l’écoute, qui stimule la concentration et l’imaginaire, permet de développer le vocabulaire des plus jeunes, le théâtre L’Éclat a passé commande auprès de cinq auteurs pour l’écriture de texte en direction de l’enfance. Ensuite ces textes ont été confiés à des équipes de réalisation afin de produire des fictions radiophoniques découpées en courts épisodes. Avant d’être disponibles sous format numérique et téléchargeables sur plateformes de streaming, via l’application Noob Festival (sur l’App Store ou Google Playstore), ils sont diffusés en avant-première lors du festival. 🔴
Léna Martinelli
Festival Noob
5e édition, du 1er au 15 avril 2023
L’Éclat, scène conventionnée d’intérêt national art enfance et jeunesse • Place du Général de Gaulle • 27500 Pont-Audemer
Programmation complète ici
Tarifs : 5 € ou 7 € • Pass (donnant accès à tous les spectacles) 15 €
Réservations : 02 32 41 81 31 ou par mail ou billets électroniques via un QR Code (sur smartphone ou à imprimer)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Entretien avec Simon Fleury, à l’occasion du Noob 2022, par Léna Martinelli