Un festival courageux et nécessaire
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Le coup d’envoi de la huitième édition du festival international Sens interdits a eu lieu samedi 14 octobre au Théâtre de La Renaissance à Oullins, un parmi la vingtaine de lieux de la Métropole de Lyon, fiers d’accueillir ces spectacles venus d’ailleurs, dans des conditions parfois compliquées. La faute à une actualité dominée au pire par les conflits, au mieux par la realpolitik.
Le Camerounais Zora Snake y présentait successivement deux spectacles, L’Opéra du Villageois, une performance incroyable du chorégraphe en l’honneur des traditions artistiques et sacrées indissolublement liées sur le territoire africain. Au moins une pièce qui ne pourra être pillée, semble-t-il dire en réponse originale à la question de la spoliation des œuvres.
Le second, Shadow survivors, une chorégraphie pour cinq danseurs dont Zora Snake lui-même, évoque l’histoire troublée d’un pays secoué de manière récurrente par les séquelles d’une instabilité politique, véritable fléau entraînant déplacements de populations, milliers de morts, assassinats… Si ce motif est sombre, Zora Snake, outre un chorégraphe et danseur magnifique, incisif et emballant, fait preuve d’une générosité incroyable avec son public qu’il prend littéralement par la main, à qui il parle, qu’il fait rire et sourire et danser. Un moment de gravité auréolé de légèreté qu’il sera possible de revoir au Toboggan ce mercredi 18 octobre.
C’était une excellente mise en bouche pour un festival courageux et nécessaire, même si certains, à la Région Rhône-Alpes, préfèrent subventionner des projets inodores et sans saveur. Heureusement, le public est plus fidèle que jamais et se presse aux portes des théâtres, certains spectacles affichent complets, comme Here I am spectacle interprété par le Palestinien Ahmed Tomasi, ou la dernière création de Milo Rau, très applaudie au dernier festival d’Avignon. Mais il reste beaucoup à voir. Du beau, du lourd, du profond, du bouleversant, rien de tiède ni de fade.
Caraïbes, Afrique, Moyen-Orient et Biélorussie, des hommes et des femmes témoignent
Citons notamment la présence en force des artistes ultramarins durant le week-end central du festival du 20 au 22 octobre. La Guadeloupe sera représentée par Fòs a kaz la, un itinéraire slamé dans les cases qui racontent des histoires d’exodes et de déracinement, de solidarités et de résistances, et par Joséphine2b, un spectacle destiné au jeune public par la chorégraphe Chantal Loïal pour les sensibiliser aux dynamiques de domination entre esclavage, scandale écologique et détour par la petite histoire de la première épouse de Bonaparte.
Daniel Léocadie, artiste associé au Centre dramatique national de l’Océan Indien (basé à La Réunion), interprétera Kisa Mi Lé sur l’importance de conserver sa langue maternelle pour construire son identité. Spectacle musical s’articulant autour des contes martiniquais, puis d’un concert en hommage au chanteur Eugène Mona, Poto-Mitan(s) devrait révéler bien des aspects de cette île caribéenne. Ces deux spectacles sont proposés par La Machinerie de Vénissieux le dimanche 22 autour d’un repas créole. Familles gourmandes bienvenues.
Beaucoup de chants, de danses et de larmes pour évoquer le sort des femmes maliennes dans deux spectacles bouleversants, Tafé Fanga ? Le Pouvoir du pagne ? et Cousu main / Coups humains. Avec Toi, moi, Tituba, la chorégraphe britannico-rwandaise Dorothée Munyaneza évoque le personnage de la sorcière Tituba, symbole de la résistance à l’oppression. Trois formes artistiques empreintes de douleur et de rage, de fierté aussi, à la gloire des femmes africaines, doublement opprimées.
Théâtres de l’urgence
Autre pays martyr, le Liban que Chrystèle Khodr analyse par le biais de la pièce d’Henrik Ibsen, Ordalie, ce Liban si proche et si lointain, terre de culture et d’injustice qui n’en finit pas d’enchaîner les illusions et désillusions d’un peuple meurtri par les mensonges de ses dirigeants.
Dernier détour par la Biélorussie, grâce à l’immense artiste Ivan Viripaev, infatigable révélateur des exactions du régime soviétique et de son vassal biélorusse. Il fait défiler sur 1,8 m, surface laissée aux opposants emprisonnés qui racontent dans une pièce chorale leur colonie pénitentiaire, comment on a tenté de les réduire, de les humilier, de les faire disparaître. Une pièce salutaire et digne.
Mais le festival regorge encore d’autres pépites, d’autres propositions artistiques à découvrir absolument en feuilletant le programme du festival. Soyez curieux ! 🔴
Trina Mounier
Sens interdits, festival international, théâtre de l’urgence
8° édition, du 14 au 28 octobre 2023, dans 25 lieux de Lyon et de la Métropole
Site du festival
De 8 à 25 €
Réservations : 09 66 93 22 84 ou en ligne
• Tafé Fanga ? Le Pouvoir du pagne ?, Ateliers presqu’île, du 15 au 17 octobre
• Toi, moi Tituba, Théâtre du Point du jour, les 17 et 18 octobre
• Shadow survivors, Le Toboggan, le 18 octobre
• 1,8 m, TNP Villeurbanne, les 19 et 20 octobre
• Ordalie, Théâtre des Célestins, du 19 au 22 octobre
• Joséphine2b, Chapiteau, le 21 octobre
• Fòs a kaz la, Musée des Confluences, les 21 et 22 octobre
• Kisa Mi Lé et Poto-Mitan(s), La Machinerie – Théâtre de Vénissieux, le 22 octobre
• Cousu main / Coups humains, Comédie-Odéon, le 22 octobre
• Forteresses, Théâtre de la Croix-Rousse, les 24 et 25 octobre