« La Chambre rouge (fantaisie) », Marie Dilasser, Théâtre des Célestins, Lyon 

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Les facéties du vieil acteur

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Voici venue la nouvelle création de Michel Raskine, tant attendue en raison de sa longue histoire avec le public lyonnais. Comédien formidable, metteur en scène inventif, directeur de théâtre accueillant et exigeant, il aura tout fait dans ce métier qu’il aime férocement. Le plus souvent avec brio. D’ailleurs, les spectateurs étaient nombreux à la première de « la Chambre rouge (fantaisie) ».

C’est l’histoire d’un vieil acteur qui s’appelle Moi (pour qu’aucune ambiguïté ne subsiste, ce pronom est fièrement inscrit sur le fauteuil hollywoodien qui sera celui du metteur en scène). Il est ici interprété par Michel Raskine lui-même. Alors, autobiographique, cette pièce ? Non parce que le metteur en scène réfute cette affirmation, même s’il a semé nombre de grains de sable pour qu’on y adhère, et qu’il a passé commande à Marie Dilasser, avec qui il forme un authentique couple de théâtre. Or, si cette jeune autrice très talentueuse à l’écriture percutante écrit principalement sur commande, elle a suffisamment de caractère pour ne pas se laisser commander. Gageons que cela ne plairait pas, d’ailleurs, à Michel Raskine.

Ce n’est pas non plus un one-man show car Marie Dilasser nous raconte une vraie histoire qui va d’un point A à un point B, avec trois personnages, plus une voix, seule concession à l’autobiographie. Cette mère très aimée, dont la photo projetée sur un écran révèle la grande beauté, prend la parole pour gronder ou révéler son fils, plongeant ainsi dans les racines de l’enfance. En revanche, la voix appartient à Marief Guittier, l’actrice fétiche et irremplacée du metteur en scène qui a longtemps hanté ses pièces. Les deux autres sont Mitou, le porteur de lettres intrusif, incarné de façon remarquable par un Antoine Besson au mieux de sa forme, et Lado que campe superbement un danseur d’une beauté éblouissante, Hugo Hagen.

Michel Raskine tel qu’en lui-même

Moi décide de se retirer dans une chambre rouge et de ne plus voir personne. Il a laissé un message à ses amis leur demandant expressément de respecter son désir. Mais ce n’est pas un vœu de silence monastique : Moi est certes affligé de la décadence de son corps vieillissant, au point de ne plus vouloir être vu par quiconque, mais il est à lui seul bien des personnages, pour reprendre les mots de John Irving, à commencer par Winnie, l’héroïne enterrée dans le sol de Oh les beaux jours de Samuel Beckett, dont les paroles clôturent la pièce. Il y aurait bien des rapprochements à trouver entre Winnie et Moi.

On pourrait longuement se laisser aller à toutes les images, souvenirs, métaphores, émotions qui nous traversent à ce spectacle. Sans doute est-il préférable de laisser chacun à ses propres rêveries, forcément individuelles, personnelles, intimes, secrètes. Relevons plutôt les grandes qualités de cette Chambre rouge. D’abord, on retrouve avec plaisir la densité et la subtilité du comédien Michel Raskine. Sa prestation n’est pas empreinte de satisfaction mais d’une exigence tranchante. J’admire l’homme qui ose aller au bout de sa démarche, prendre des risques du jeu, avoir le courage de se dévoiler aussi intimement, lui si pudique. C’est là, sans doute, qu’est l’autobiographie, dans ce que le plateau révèle. On retiendra ainsi un très long solo lent, presqu’immobile, sur une mélodie de Scarlatti où le vieil acteur s’expose. Bouleversant.

La danse est au cœur de cette pièce qui parle beaucoup du corps, des amants aimés, de la solitude, du temps qui passe. Soulignons la qualité de la direction d’acteurs. Loin de se concentrer sur une mise en scène narcissique, Michel Raskine sait porter au meilleur d’eux-mêmes Antoine Besson et Hugo Hagen. C’est donc un beau texte et un spectacle réussi. Bravo pour cet hymne à la vie, malgré un sujet un rien kierkegaardien sur la fin de toutes choses (l’existence, la beauté éphémère, les amours délités…). Après tout, cette facétie est une fantaisie !

Trina Mounier


La Chambre rouge (fantaisie), de Marie Dilasser

Le texte est publié aux Éditions Les Solitaires Intempestifs
Compagnie Raskine et Compagnie
Mise en scène : Michel Raskine
Avec : Antoine Besson (Mitou), Hugo Hagen (Lado), Michel Raskine (Moi) et Marief Guittier (la voix de Maman)Décor : Stéphanie Mathieu
Lumière et régie générale : Julien Louisgrand
Son : Sylvestre Mercier
Danses : Denis Plassard
Durée : 1 h 15
Dès 14 ans

Théâtre des Célestins • Salle Célestine • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 17 au 29 septembre 2024, mardi, mercredi, vendredi, samedi  à 20 h 30, jeudi à 20 heures, dimanche 29 à 16 h 30, relâche le lundi
Réservations : 04 78 03 30 00 ou en ligne
De 8 € à 26 € 

Tournée :
• Les 10 et 11 octobre, Le Bateau feu scène nationale Dunkerque

Photos © Marion Bornaz

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