Un « Avare » aux accents contrastés
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
« L’Avare » est la première création du nouveau directeur de La Comédie de Saint-Étienne, Benoit Lambert. Et c’est en fin connaisseur, qu’il nous en offre une version particulièrement goûteuse et joyeuse.
Benoît Lambert est un admirateur fervent de Molière. Pour preuve, à chaque étape marquante de son parcours professionnel, il y revient, et toujours pour offrir le rôle-titre à un comédien avec lequel il collabore depuis ses débuts, Emmanuel Vérité. C’est ce dernier qui incarne donc L’Avare, après Scapin, Tartuffe et Le Misanthrope.
Tout d’abord la scénographie interpelle : un entrelacs de poutres et de cordes rappelant les tréteaux qui, les premiers, ont reçu les comédies de Molière. Pas question pour autant de nous proposer une lecture contemporaine de la pièce !
Retour aux origines historiques, sociologiques et politiques de cet Avare : les bourgeois d’alors sont des entrepreneurs qui ont conquis leur fortune à la sueur de leur front, n’ont nul endroit pour la mettre à l’abri et sont l’objet du mépris d’une aristocratie frivole et dépensière. Ils y tiennent fort donc et ne peuvent comprendre, ni accepter, la légèreté de leurs descendants tentés de profiter des biens acquis par les pères, de dépenser eux aussi comme des marquis sans attendre l’héritage. Tout est en place pour un conflit de générations.
Benoît Lambert enrichit le décryptage psychologique qui permet de se replonger dans ce lointain XVIIe siècle. Ainsi, cet Harpagon auquel Emmanuel Vérité prête une belle humanité, pleine de défauts, n’est-il pas si fou que cela dans sa terreur d’être volé et sa surdité aux désirs de ses enfants, lesquels nous paraissent d’ailleurs légitimes aujourd’hui. S’en révoltant, Molière se révélait un précurseur.
Autre exemple : la férocité avec laquelle Harpagon traite ses valets (et même son fils). Donner du bâton à ses valets et ses enfants est à l’époque monnaie courante. Le seigneur Anselme, parangon de vertu, qui dénouera toute l’histoire, ne s’offusque ainsi pas de faire donner la question à La Flèche. Le siècle est cruel. Et la folie monstrueuse d’Harpagon, qui se dévoile tout entière dans sa déclaration d’amour à sa cassette, le rend inquiétant et odieux aux yeux de tous. Aussi arrêtons-nous là les explications de contexte.
Celui-ci offre matière à des costumes superbes, signés Violaine L. Chartier et à un encombrement du décor par des aiguières en étain ou en argent, dont Harpagon semble faire collection et qui témoignent de son goût de l’accumulation. Il les ordonne avec un soin maniaque et les couve d’un regard soupçonneux.
Derrière la comédie de mœurs, la peinture d’une époque
Mais il ne suffit pas d’un texte et d’un écrin pour lui donner du sens. Benoît Lambert se confirme un excellent directeur d’acteurs. Si sa complicité avec Emmanuel Vérité fonctionne une fois de plus à merveille, il sait donner une unité à la troupe composée aussi de très jeunes comédiens qui s’y intègrent avec bonheur.
On remarquera tout particulièrement le jeu de Baptiste Febvre qui incarne le fils Cléante, avec ce qu’il faut d’audace, pour défendre son amour et ses droits. Ou celui d’Étienne Grebot qui passe avec fluidité du rôle de Maître Jacques, l’insolent valet, à celui de La Flèche, toujours à l’affût, en passant par Anselme. Le metteur en scène impulse une vigueur et une vivacité réjouissantes à cette histoire dont, sans gommer la noirceur sordide, il souligne la force comique.
Car on rit beaucoup à cet Avare, ce qui n’empêche aucunement d’entendre les beaux alexandrins dits à voix claire. Il convient de saluer ici le travail impeccable de diction qui rend compréhensible une langue réputée difficile. La qualité d’écoute dans une salle remplie à moitié de jeunes gens en témoignait. 🔴
Trina Mounier
Mise en scène : Benoît Lambert
Assistanat à la mise en scène : Colin Rey
Avec : Estelle Brémont*, Anne Cuisenier, Baptiste Febvre, Théophile Gasselin*, Étienne Grebot, Maud Meunissier*, Emmanuel Vérité (* issu.es de L’École de la Comédie)
Scénographie et création lumière :Antoine FranchetCréation son : Jean-Marc Bezou
Costumes : Violaine L. Chartier
Maquillage : Marion BidaudRégie générale : Thomas Chazalon, en alternance avec Philippe LambertConstruction décor et costumes : Ateliers de la Comédie de Saint-Étienne
Durée : 2 heures
Théâtre de la Renaissance • 7, rue Orsel • 69600 Oullins
Du 25 au 27 janvier 2023, à 20 heures
Réservation : 04 72 39 74 91
De 8 € à 25 €
Tournée :
• Du 1er au 3 février, Le Trident, scène nationale Cherbourg en Cotentin
• Du 7 au 10 février, Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper
• Du 21 au 23 février, L’Odyssée, scène conventionnée de Périgueux
• Les 1er et 2 mars, Théâtre de Villefranche, scène conventionnée
• Du 7 au 10 mars, Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône
• Du 15 au 17 mars, Théâtre Sénart, scène nationale Lieusaint
• Les 22 et 23 mars, MA scène nationale, Pays de Montbéliard
• Du 28 mars au 1er avril, La Comédie de Colmar, CDN Grand Est Alsace
• Du 5 au 7 avril, La Coursive, scène nationale de La Rochelle
• Les 12 et 13 avril, Le Bateau-Feu, scène nationale de Dunkerque
• Les 20 et 21 avril, Théâtre Louis Aragon, scène conventionnée Tremblay-en-France
• Du 26 au 28 avril, Théâtre d’Angoulême, scène nationale
• Les 3 et 4 mai, Le Grand R, scène nationale de la Roche-sur-Yon
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ L’Avare, de Molière, par Trina Mounier
☛ Entretien avec Benoît Lambert, directeur du Théâtre Dijon Bourgogne, par Léna Martinelli
Une réponse
L’Avare en alexandrins, de « beaux alexandrins dits à voix claire » ? On en reste baba !