Dans le maelstrom des générations
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
La barre est haute pour Pauline Bureau, deux Molière pour ses précédents spectacles dans la poche. Aujourd’hui elle revisite le mythe de Blanche-Neige et en livre une version à la fois enchanteresse sur le plan esthétique, mais assez décevante.
Neige (impeccable Camille Garcia) est une adolescente renfrognée de 14 ans, fille unique d’une mère insatisfaite de sa propre vie, angoissée de son image vieillissante et d’un père plutôt absent. Le premier élément du conte y est, ce miroir qui questionne sur la beauté et son devenir. Pauline Bureau dépeint une femme frustrée et brutale. Dans la salle constituée de jeunes, ces passages soulèvent d’ailleurs une vague de réprobation indignée. La metteure en scène confie le rôle à Marie Nicolle qui s’inspire de la marâtre du texte de Perrault.
L’arrivée des premières règles de la jeune fille ne peut que susciter la peur d’un remplacement. Mais aussi, chez Neige, le désir enfin de vivre. Car cette enfant unique semble bien isolée, se confiant quotidiennement à son journal intime, faute d’autre confident. Neige va donc rejoindre le beau gosse insupportable dont elle rêve et, pour la première fois, dormir dehors.
Conte de fées ?
Il faut évidemment parler du décor, un décor de conte de fées. Il situe la maison de Neige, un cylindre de béton bien terne au milieu d’une forêt peuplée d’immenses bouleaux et d’animaux sauvages qui passent lentement. Une biche, un loup… Tiens le Petit chaperon rouge n’est pas loin ! Grâce à la scénographie très habile, la maison disparaît parfois pour devenir château d’eau, bassin. Emmanuelle Roy excelle dans les images vivantes, les changements de couleur en fonction de l’heure, révèle l’aspect merveilleux et terrifiant de la forêt. Les vidéos tournées dans la piscine improvisée par Clément Debailleul évoquent une sorte de baptême et donc de résurrection.
La nature semble responsable de transformations : elle ouvre les consciences et montre l’autre face des personnages. En effet, l’homme inquiétant rencontré dans la forêt n’est pas un ogre, ni un prédateur, mais un gentil chasseur écolo.
Surtout, cette mère assez exécrable, traumatisée par la disparition de sa fille dans laquelle elle se reconnaît enfin, montre brusquement son doux visage. Cela paraît invraisemblable, à moins que les premières séquences violentes n’aient eu lieu que dans l’imaginaire de Neige ! Comment donc la relation mère-fille va-t-elle pouvoir s’épanouir ?
On ne croit guère à cette harmonie familiale. Il est vraiment dommage que Pauline Bureau n’ait pas tiré les fils de la première partie, ni creusé davantage la psychologie de ses personnages et de leurs relations, car le jeu des comédiens est sans faute, très juste et vrai, le décor ensorcelant, le rythme de la pièce très maîtrisé. 🔴
Trina Mounier
Neige, de Pauline Bureau
Compagnie La Part des Anges
Texte et mise en scène : Pauline Bureau
Avec : Yann Burlot, Camille Garcia, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Claire Toubin
Scénographie, accessoires : Emmanuelle Roy
Lumière : Jean-Luc Chanonat
Composition musicale et sonore : Vincent Hulot
Dramaturgie : Benoîte Bureau
Magie, vidéo : Clément Debailleul
Costumes : Alice Touvet
Perruques : Julie Poulain
Cheffe opératrice tournage subaquatique : Florence Levasseur
Théâtre de la Croix-Rousse • Place Joannès Ambre • 69004 Lyon
Co-accueil avec Le Radiant Bellevue (Caluire)
Du 16 au 18 novembre 2023
Billetterie : 04 72 07 49 49 ou en ligne
Tournée ici :
• Du 1er au 12 décembre, La Colline, Théâtre national, à Paris
• Les 11 et 12 janvier 2024, Le Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque
• Le 25 janvier, Le Cratère, scène nationale d’Alès
• Les 5 et 6 février, Scène nationale 61, Alençon-Flers-Mortagne
• Les 11 et 12 avril, L’Espace des Arts, scène nationale de Chalons-sur-Saône
• Les 17 et 18 avril, Théâtre de Cornouailles, scène nationale de Quimper
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Dormir cent ans, par Anne Losq
Photos © Christophe Raynaud de Lage