Longues ondes et grand large
Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups
Résolument populaire et festif, le festival Viva Cité maîtrise l’art du divertissement. Il n’en oublie pas pour autant de questionner les fondements du jeu en espace public. Qu’est-ce qui circule entre nous ? Qu’avons-nous en commun ? Cinq spectacles éclectiques ou surprenants ouvrent des voies.
À Sotteville-Lès-Rouen, quel plaisir de retrouver le festival sous son format de trois jours ! Vendredi à minuit, sur la place de l’hôtel de ville, une foule de festivaliers et d’habitants se presse. Titanos fait tourbillonner ses grandes machines de feu, tandis que les Plastiqueurs illuminent le Bois de Garenne de corolles violines. La nuit ne se réduit toutefois pas à la féérie. L’Atelier 231, Centre National des Arts de la Rue qui programme l’événement, a semé dans les rues des comètes philosophiques.
Et si on tentait de communiquer avec un nyctalope ? La cie Mycélium, qui laboure depuis quelques spectacles le terreau de la biodiversité, lance un défi aux allures scientifiques : faire dialoguer êtres humains et chiroptères. Réunis en assemblée autour de son étonnante Symphonie des chauves-souris, nous suivons les instructions de techniciens et comédiens dans une atmosphère mi-solennelle mi-humoristique.
Façon sonar
Un froissement d’ailes ? Une ombre filant au-dessus de nos têtes ? Grâce à une ingénieuse scénographie de l’affût, nous devenons auditeurs ultra-sensibles et lecteurs de paysage. Tout ouïe, on est mobilisés par cette curieuse expérimentation, véritable chambre d’écoute à ciel ouvert. Quand surgissent les cordes, c’est l’extase musicale ! Le temps est suspendu. On savoure.
« La Symphonie des chauves-souris » © cie Mycélium
Certes la BAT-box, instrument de captation-traduction, présente un aspect techno-burlesque entre le barbecue et le vaisseau spatial… N’empêche ! On navigue sur des nappes sonores, entre docu et poésie, façon Arte, en compagnie de la truculente Mylène. Maintes fois, le doute nous saisit : et si c’était vrai ? On s’amuse de la discrète raillerie de nos questions anthropocentrées. Car oui, on peut interroger les chauves-souris ! Et c’est un vivifiant vertige intellectuel que de formuler sa demande. Un régal, même. « Est-ce que vous pensez à la mort ? Vous ennuyez-vous parfois ? Quelles sont vos relations avec les hirondelles ? » Un spectacle malin, insolite… et une subtile sensibilisation à l’attention, dans un monde qui en manque tant !
Co-habiter ?
Dans la sélection IN, la cie OpUS déroulait non pas le tapis rouge, mais la bâche bleue. Sur le béton d’une cour, elle joue avec le sens littéral de l’expression « visite sur plan ». En effet, l’inénarrable Monsieur Cochard, propriétaire d’une maison de 80 m² nous propose de fouler au pied un plan au 1/3,5e sur lequel les cloisons sont matérialisées par du scotch blanc. La visite virtuelle, pour le moins cocasse, nous invite à un effort d’imagination et célèbre le goût d’OpUS pour le boniment de génie. La maestria du camelot se déploie dans une langue hâbleuse qui s’amuse du « touche à tout et bon à rien ». Les bons mots et les trouvailles scénographiques, telle la visite de la cave sous bâche, font se gondoler les spectateurices qui peuvent poser des questions. Aucun vice n’est caché et le bon sens populaire est de mise : « La maison ayant quatre faces, bien sûr qu’il y en a une exposée plein Sud. »
« 80 m2 », cie OpUS © Stéphanie Ruffier
Dans la cour d’à côté, on peut découvrir Jérôme, prompt à suivre l’exemple de son voisin, même bagout. Il tente de vendre la maison mitoyenne en évoquant les objets que sa mère y a accumulés. On flirte entre art brut et syndrome de Diogène. Tiens tiens… Des passions que le metteur en scène Pascal Rome ne renierait pas ! Si le sous-titre du spectacle 80 m² « théâtre à la sauvette » fait songer aux vendeurs qui déplient ingénieusement leur barda au pied des monuments historiques. On sent aussi l’héritage du Grand Débarras, autre spectacle d’OpUS qui rendait hommage à la pratique populaire du vide-grenier. Le redoublement du dispositif avec interversion des groupes de public créé quelques longueurs, tout comme l’inauguration-kermesse finale autour d’un numéro de culturisme. Toutefois, le loufoque l’emporte grandement. On rit, on rit et ne peut que louer le projet de créer un grand espace commun. Vive la bricole, le partage et l’associatif !
Exercices de style casqués
Sur le trottoir de la rue qui mène au lycée Marcel Sembat, des gradins sont alignés. À la queue-leu-leu devant une cabine, le public attend de prendre place sur les sièges munis de casques et de petites étiquettes aux titres tous différents. Une micro-histoire va se dérouler sous ses yeux. Un homme portant un sac plastique et des chaussures dépareillées passe. Il hésite à sonner à une porte, repart. Action ténue. On s’aperçoit vite que chaque spectateur bénéficie d’un récit différent. J’entends parler de clope et de crémation. Mon voisin, lui, est embarqué dans une histoire de vampire. Derrière moi, une femme assise sur le siège « didascalies » se lève, me touche les épaules, tandis que résonne dans mon casque la phrase « se posent sur toi deux doigts divins ». Après chaque brève session, on peut changer de place !
« Au coin de ma rue », Les Bonimenteurs © Olivier Calicis
Au coin de ma rue rappelle une pratique familière : observer les inconnus et leur inventer une vie. Clin d’œil aux exercices de style de Queneau, mais aussi aux expérimentations de Perec, ce dispositif ingénieux scrute le passant ordinaire, joue avec la situation et nos projections. Guère étonnant que Nicolas Turon ait participé à cette proposition surprenante qui honore le plaisir de la réécriture. La compagnie belge des Bonimenteurs nous offre là un bain de trajectoires et d’univers autour de trois fois rien. Délicieux ! On rêverait qu’un micro permette à un spectateur volontaire de créer sa propre petite histoire…
Prendre le large
La cie normande Rémusat nous emmène quant à elle en balade. S’agit-il d’un date ou d’un départ de GR ? Les deux personnages portent sac-à-dos et vêtements de sport. On nous a prévenus de façon un peu musclée qu’il allait falloir marcher et suivre prestement « pour ne pas ralentir le groupe » ! Mais qui sommes-nous dans ce récit ? S’il reste à savoir mener une déambulation avec davantage de fluidité par l’engrenage de l’intrigue, la proposition a des atouts. Le duo tranché balance des slams efficaces dans un cadre assez surréaliste en lisière de forêt et d’hôpital psy. Quelque chose de la candeur sincère du groupe de musique Fauve flotte dans l’air. Un musicien aux plumes baroques suit le mouvement.
« Paysage(s) », cie Rémusat © Stéphanie Ruffier
Martin et Gwen sont deux cabossés de la vie. Lui, a été « hospitalisé en HP en demi-pension » ; elle, a tenté de sauver son précédent couple dans l’épreuve sportive avant de préférer la dissidence sexuelle. On peine parfois à suivre leurs pensées, mais la langue a de jolies fulgurances. Les fantastiques dernières images et un percutant diatribe sur les attentes dans le couple viennent clore en beauté cette traversée un peu fouillis. Paysage(s), qui fonctionne par glissades et vifs rattrapages, sait faire vibrer les espaces.
L’absence au fil de l’eau
Toute jeune compagnie, Sept fois la langue nous fait aussi prendre le grand large avec Houl. Cinq comédien·ne·s acrobates en camaïeu de gris-bleu nous plongent dans le sillage océanique d’un garçon qui recherche sa petite sœur disparue. Embarquement immédiat ! Ça tangue, ça roule. Iels nous balancent des poignées de gros sel marin, diffusent de l’eau au brumisateur (« ne vous inquiétez pas, c’est pas du Perrier »), pour mieux nous entraîner dans des olas chargées d’embruns. L’énergie chorale fait merveille : on se croirait dans le ressac. La magie du bitume qui s’anime.
« Houl », cie Sept fois la langue © Stéphanie Ruffier
Ici, également, la langue est inventive, chargée d’antonomases amusantes qui font glisser les mots. Les petits se régalent devant des personnages sacs de nœuds ou emmaillotés dans un filet, ainsi que des chorégraphies et jonglages poissonneux. Les arts du cirque sont mis au service de jeux de dédoublements à la poursuite d’un ciré jaune insaisissable. À peine quelques éléments de décor en contreplaqué peuvent-ils rappeler un petit cercueil. On y croit, on vibre avec leur allant et leur pudeur. La Communication Non Violente effleure ici ou là. Le tout est traduit avec générosité en langue des signes. Un voyage émouvant. La prouesse au service de la sensibilité. Bravo !
Stéphanie Ruffier
La Symphonie des chauves-souris, de la cie Mycélium
Site de la compagnie
Écriture et mise en scène : Gabriel Soulard et Albane Danflous
Assistante à la mise en scène : Sarah Douhaire
Avec : Gabriel Soulard, Delphine Claudel (ou Albane Danflous), Florian Olivier
Création sonore : Gabriel Soulard, Florian Olivier, Josepha Pelpel
Régie générale : Emmanuelle Roux, en binôme avec Martin Capron
Création lumière : Emmanuel Roux
Durée : 50 minutes
Tout public
Tournée :
• Le 16 juillet, à Fontenay le Comte (85)
• Le 17 juillet, à Ploëmel (56)
• Le 18 juillet, à Montaigu (85)
• Le 19 juillet, à Vaas (72)
• Le 20 août, à Ancenis-Saint-Géron (44)
• Le 22 août, à Saumur (49)
• Le 26 août, à Saint-Jean-de-Monts (85)
• Le 27 août, à Saint Hilaire de Riez (85)
• Le 28 août, à Bretignolles sur Mer (85)
• Le 29 août, Centre d’initiation à la nature, à Laval (53)
• Le 6 septembre, à Châlons-en-Champagne (51)
80 m2, OpUS
Site de la compagnie
Reportage sur la création à l’atelier 231
Conception, mise en jeu : Pascal Rome
Avec : Sébastien Coutant et Mathieu Texier
Durée : 3 x 30 minutes
Tout public dès 8 ans
Tournée :
• Du 4 au 6 juillet, Tombées de la nuit, à Rennes (35)
• Du 13 au 14 juillet, festival Les Entrelacés, à Lassay-les-Chateaux (53)
• Du 7 au 9 août à Fest’arts Fest’arts à Libourne (33)
• Le 12 octobre, Fête des champignons, à La Couarde (79)
Au coin de ma rue, Les Bonimenteurs
Site de la compagnie
Avec (en alternance) : Maroine Amimi, Valentin Demarcin, Pierre Poucet, Nicolas Turon, Simon Wauters, Vincent Zabus, Coline Zimmer
Les voix : Charlie, Coline Zimmer, David Notebaert, Emmy Simonet, Fanette Hourt, Fayssal Benbahmed, Francoise Markun, Gautier Colin, Hervé Dubois, Jean GIAbin, Jérôme Rousselet, Julie Seniura, Laurent Arnold, Les Bonasses (Otilly Belcour, Marie Grosdidier et Marie Lissnyder), Marisa Pereira, Maroine Amimi, Nadine Ledru, Nicolas Turon, Romain Dieudonné, Samuel Laurant, Simon Wauters, Sophie Lajoie, Stéphanie Coppé, Vadim Turon Soulier, Valentin Demarcin, Vincent Huertas, Vincent Zabus
Chanson : Manuel Étienne
Instrumental : Fabrice Bez
Habillage sonore : Gautier Colin, Benjamin Cahen
Modélisation et fabrication décor : Jean Louyest
Programmation logiciels : Roald Baudoux
Durée : libre
Tout public
Tournée :
• Le 6 juillet, festival Les Tchafornis, à Engis (Belgique)
• Du 17 au 20 juillet, dans la programmation OFF du festival Chalon dans la rue, Chalon-sur-Saône (71)
• Du 5 au 7 août, Plage des Six Pompes, à La-Chaux-de-Fonds (Suisse)
• Les 16 et 17 août, festival des arts de la Rue de Chassepierre (Belgique)
• Le 23 août, Voie des colporteurs, à Chavanne-sur-Suran (01)
Paysage(s), cie Rémusat
Page Fbk de la compagnie
Autrice : Nadège Cathelineau
Mise en scène : Aurélie Edeline
Assistante mise en scène : Mael Capron
Avec : Gwenaëlle Mendonça, Martin Legros et Louis Sady
Créateur lumière : Yannick Brisset
Créateur son : Louis Sady
Costumière : Suzanne Veiga Gomes
Scénographique : Thomas Cartron et Lola Legouest
Durée :1 heure 30
A partir de 15 ans
Houl, cie Sept fois la langue
Site de la compagnie
Ecriture et mise en scène : Gabriel Soulard et Albane Danflous
Assistante à la mise en scène : Sarah Douhaire
Avec : Gabriel Soulard, Delphine Claudel (ou Albane Danflous), Florian Olivier
Création sonore : Gabriel Soulard, Florian Olivier et Josepha Pelpel
Régie générale : Emmanuelle Roux en binôme avec Martin Capron
Création lumière : Emmanuel Roux
Durée : 50 minutes
Tout public
Tournée :
• Les 9 et 10 juillet, Récidives, Sablier centre national de la marionnette, à Dives-sur-Mer (14)
• Les 9 et 10 août, Castrum festival, à Yverdon-les-Bains (Suisse)
• Les 13 et 14 septembre, Là-haut perché sur la colline, à Sombernon (21)
• Du 5 au 7 août, Plage des Six Pompes, à La Chaux-de-Fonds (Suisse)
• Les 17, 20 et 21 septembre, Festival Primo, Le Moulin Fondu, CNAREP, Garges-lès-Gonesse (95)
• Du 2 au 4 octobre, Festival les Expressifs, à Poitiers (86)
• Le 18 octobre, au festival Mômes d’Automne, à Montauban (33)
Dans le cadre du Festival Viva CIté / Atelier 231, 36e édition du 27 au 29 juin 2025 à Sotteville-lès-Rouen
Gratuit
Photo de une : « La Symphonie des chauves-souris », cie Mycélium © François Parmentier – Le Chaînon manquant