Théâtre francophone, reportage, L’Île Maurice

Un-tramway-nomme-desir © Eric-Lee

« Beaumarchais sauvé des eaux »

Par Elisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Sur la micro-scène artistique de L’Île Maurice, elle aussi chahutée par la crise sanitaire, serait-ce l’accalmie après la tempête ? L’occasion d’un reportage sur l’utilité de la francophonie.

Un naufrage nommé Covid

Sur le port de plaisance et de commerce de la capitale Port-Louis, le Caudan Arts Centre a été inauguré en 2018, pour les 50 ans d’indépendance de l’État mauricien. En l’absence de théâtre public subventionné, c’est le navire amiral dont les artistes manquaient. Spectacles créolophones, anglophones et francophones y alternent, faisant la part belle à l’art dramatique en français.

Un Barbier de Séville pétillant et inventif, une Antigone dépoussiérant Sophocle et Anouilh y ont fait salle comble rassemblant les communautés d’une nation mosaïque. Mais des œuvres mauriciennes y ont aussi vu le jour, telles la pièce de l’autrice Shenaz Patel consacrée à Niama, princesse sénégalaise déportée en esclavage à Maurice ou O ré piya, humoristique hommage au cinéma de Bollywood. Or, en mars 2020, la crise sanitaire fermant totalement le pays pour près de deux ans, le théâtre subit un sabordage en règle.

Comment les arts du spectacle mauriciens émergent-il en 2022 ?

Avec difficulté. Ashish Beesoondial, directeur du Caudan Arts Centre, évoque les disparitions (telle la fermeture du café-théâtre Komiko de Miselaine Duval, star nationale du standup en langue créole), mais aussi les difficultés financières de sa propre entreprise. Obligé de louer la salle pour des événements, il se bat pour sauver des soirées dédiées à une programmation ambitieuse. Sa mise en scène d’une version française du classique de Tennessee Williams, Un tramway nommé Désir connaît un succès qui permet une reprogrammation en septembre 2022.

Le journaliste et dramaturge Jean-François Achille, également enseignant de théâtre au lycée La Bourdonnais, évoque, lui, les déconvenues côté FETLYF, le festival des lycées français de l’étranger, rassemblant annuellement à Saint-Malo des adolescents venus du monde entier. L’annulation, à la veille du départ, de l’édition 2020 a été un crève-cœur, d’autant que la pièce qu’il préparait avec ses élèves était la première œuvre mauricienne du festival, le Journal d’une vieille folle d’Umar Timol. Il faudra donc attendre la session 2023 pour revoir du théâtre mauricien à Saint-Malo.

Comment et pourquoi rester lié à la France ?

Si plusieurs romanciers mauriciens sont publiés en France, les dramaturges, eux, sont absents. En 2014, le Théâtre des Nouveautés de Paris a tenté un festival musical Ile Maurice en scène, incluant aussi des représentations de la pièce Marika est partie d’Alain Gordon-Gentil.

Quelques liens sont tissés au fil d’initiatives individuelles. La proximité du département de la Réunion ouvre des possibilités d’échanges. Jean-François Achille garde le souvenir ému de sa formation dans l’île-sœur auprès d’Ahmed Madani, alors directeur du Centre dramatique de l’océan indien à Saint-Denis.

À Maurice, l’Institut Français organise des masterclass ponctuelles d’artistes français. Mais l’information sur les possibilités offertes aux artistes francophones par les institutions telles que la Cité Internationale des Arts de Paris circule trop peu et le sentiment d’enclavement domine. Derrière le « comment », se profile la question du « pourquoi » : quelle légitimité, pour ces liens avec la France pas toujours bien vus. En 2014, le poète et dramaturge Yusuf Kadel primé par le CNL et la SACD déclarait : « Se faire jouer en France, c’est de l’exil ».

Francophonie ou francofolie ?

Maintenant que Port-Louis offre une scène aux dramaturges nationaux, l’expatriation est moins urgente, bien que la visibilité des grands théâtres étrangers demeure incontournable. Reste la question brûlante du choix linguistique. Le Mauricien parle créole à la maison, anglais au parlement, français dans les médias et la culture (le créole n’est imposé dans l’enseignement primaire que depuis une dizaine d’années). L’enseignement du théâtre est obligatoire à l’école et s’effectue souvent en français. Chaque artiste doit choisir sa langue d’expression, s’exposant aussitôt à la critique.

Débats stériles, selon Alain Gordon-Gentil, qui revendique le droit de l’artiste, selon les circonstances, à choisir intuitivement et sans avoir à se justifier, l’une ou l’autre de ses trois langues de cœur. Ce dernier ne s’interdit pas d’introduire la langue créole dans son travail globalement francophone, à condition toutefois de refuser le cliché consistant à utiliser le créole uniquement pour faire rire.

Un-tramway-nomme desir ©  Eric-Lee
« Un tramway nommé Désir », de Tennessee Williams © Éric Lee

Ashish Beesoondial résume avec humour : « J’ai découvert le théâtre britannique en étudiant à Mumbai, puis le théâtre indien en étudiant à Leeds ». Il choisit aujourd’hui le français pour une pièce traduite de l’américain avec une distribution représentative de la diversité mauricienne. Le fait que la langue française puisse servir d’outil pour réfléchir à l’esclavage, qu’elle danse le séga avec le créole, qu’elle dialogue avec le bhojpuri et l’hindi et même se réconcilie avec l’anglais, n’est pas nécessairement le symptôme d’un néo-colonialisme bêta.

Adaptant récemment en BD le grand roman français de l’île Maurice, Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, Shenaz Patel proteste contre les mauvais procès faits à cette œuvre qu’elle estime animée par la force égalitaire et émancipatrice des Lumières françaises. Et si la francophonie était effectivement un espace de liberté ? Quoi qu’il en soit, si vous êtes à Saint-Malo l’hiver prochain, pensez à écouter ce que les comédiens en herbe venus du bout du monde ont à nous dire sur leur francophonie. Et si vous avez la chance de partir pour l’île Maurice comme touriste, n’hésitez pas à quitter la plage pour passer la soirée au théâtre. 🔴

Élisabeth Hennebert


Un Tramway nommé Désir, de Tennessee Williams

Mise en scène : Ashish Beesoondial
Avec : Rachel de Spéville, Clémence Soupe, Guillaume Silavant, Julie Vacher, Carol Titon, Josias Anthony, Nuckiren Pyeneeandee, Christophe St Lambert, Estelle Lasémillante
Durée : 2 heures
Caudan Arts Centre • Port-Louis • Ile Maurice
Les 15 et 16 septembre 2022, à 20 heures
Réservations : en ligne

À découvrir sur Les Trois Coups :
Francophonie, des écritures à la scène, reportage au festival des Zébrures d’automne, par Laura Plas

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