Brève rencontre avec Pierre Santini, comédien, metteur en scène, président de l’Union des artistes

Pierre Santini © Rodolphe Fouano

« Nous étions une équipe de jeunes chiens fous »

Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups

Comédien, directeur de compagnie et de théâtre, nouveau président de l’Union des artistes, Pierre Santini évoque ses engagements et revient sur sa carrière.

Curieux métier que celui d’acteur où l’on passe son temps à être un autre…

C’est le plus beau métier du monde ! Quel bonheur de fréquenter de grands textes ! C’est un défi permanent, d’abord physiquement : il faut maintenir son corps en forme pour garder sa respiration, sa voix. Et surtout que d’aventures humaines successives !…

Élève de l’école Charles Dullin, vous avez été formé par Georges Wilson, Jean‑Pierre Darras, Alain Cuny, Charles Charras et Jean Vilar lui-même. Parallèlement, vous avez suivi l’enseignement, plus physique, de Jacques Lecoq et, après votre service militaire, vous avez rejoint le cours de Pierre Valde.

Mal préparé, j’avais échoué au concours d’entrée du Conservatoire. Comme je voulais absolument faire ce métier, je me suis rapproché du T.N.P. où j’avais vu Gérard Philipe dans le Cid. Vilar était alors au sommet de son art, et Chaillot constituait un creuset exceptionnel. J’y ai rencontré Lucien Arnaud, Monique Hermant et tous les acteurs de la troupe. La pédagogie n’était pas contraignante. Nous étions subtilement guidés vers l’amour d’un théâtre exigeant et pourtant à la portée du plus grand nombre, respectant l’œuvre, selon un humanisme qui me touchait profondément.

Quant à Jacques Lecoq, il arrivait d’Italie dans l’ombre de Strehler, qui triomphait au Théâtre des Nations. Lui-même avait été formé par Étienne Decroux. Lecoq était exceptionnel. Il ne « montrait » rien. Assis, en survêtement, il regardait, suscitant, mais n’imposant jamais. C’est à cette époque qu’il a créé la Belle Équipe, émission de télévision d’improvisation et de mime, avec notamment Philippe Avron, Claude Évrard, Isaac Alvarez… Il m’a fait découvrir d’autres approches du métier par l’improvisation muette et parlée, le masque, l’acrobatie, le mime… avec un travail original sur le corps.

Vous vous êtes rapidement engagé dans l’aventure du théâtre populaire et de la décentralisation.

En sortant du cours Dullin, c’était naturel. J’ai passé une audition pour l’Année du bac que montait Yves Robert. Antoine Bourseiller, son assistant qui s’apprêtait à se lancer dans la mise en scène, m’a repéré, et je suis devenu l’un de ses comédiens. Yves Kerboul m’a encouragé à passer des auditions. Cela m’a conduit notamment à la Comédie de l’Est, puis, au retour de deux ans d’armée (dont six mois en Algérie), chez Roger Planchon. Là, j’ai découvert une dimension nouvelle et rajeunie du théâtre populaire. Nous étions une équipe de jeunes chiens fous, s’amusant énormément. J’ai joué alors quatre spectacles à L’Odéon. Et, une aventure en entraînant une autre, j’ai rencontré des réalisateurs de télévision cherchant au théâtre de nouveaux comédiens pour leurs créations : Krier, Chouchan, Bluwal, Lorenzi…

Comment avez-vous rencontré Gabriel Garran, fondateur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers, puis Guy Rétoré, directeur du Théâtre de l’Est-Parisien (T.E.P.) ?

Garran était venu chercher des comédiens chez Planchon. Je venais de jouer dans la Remise et dans Tartuffe. Il m’a engagé pour Mort d’un commis voyageur. Nous sommes devenus amis. J’ai fait plusieurs spectacles chez lui. J’ai travaillé aussi dans d’autres théâtres de la décentralisation. Puis arrive Mai‑68 suivi des troubles que l’on sait : les théâtres fermés, Vilar conspué à Avignon… À la rentrée, le premier qui m’a proposé de retravailler fut Guy Rétoré, fondateur de La Guilde, devenu depuis 1963 directeur du T.E.P. Il m’a engagé avec Gérard Desarthe pour la Bataille de Lobositz de Peter Hacks. Il m’a gardé pour Lorenzaccio et l’Opéra de quat’sous. Avec quelques camarades, je faisais partie de ce que Jacques Lemarchand, le critique du Figaro littéraire, a appelé le « noyau transhumant du théâtre populaire ». Nous passions d’un théâtre à l’autre, dans les mains de Planchon, Gatti, Garran, Rétoré, Debauche… Nous travaillions volontiers en banlieue parisienne qui s’inventait alors un théâtre. On jouait un spectacle vingt ou vingt‑cinq fois (ce qui paraît énorme aujourd’hui), et on passait à autre chose, mais dans le même état d’esprit. Avec mon copain Pierre Meyrand, nous avons joué ensemble neuf pièces à la suite !

Comment le théâtre privé parisien vous considérait-il ?

Avec un certain mépris. Georges Herbert, alors directeur du Théâtre de l’Œuvre, m’a dit un jour : « Vous êtes un bon acteur, Santini, mais vous ne faites pas un strapontin ! Je ne vous engagerai jamais ! ». Dans ces conditions, je me suis cantonné au théâtre populaire de la décentralisation. Et à la télévision publique.

Vous avez interprété plus de cent rôles au théâtre. Lesquels vous ont le plus marqué ?

Cyrano et Figaro. Je les ai joués dans deux mises en scène chacun. Pour Cyrano, je réalisais un rêve d’enfant. Tout jeune, j’avais vu Jean Martinelli tenir le rôle à la Comédie-Française. J’ai dit à mon père : « Plus tard, je serai acteur et je jouerai Cyrano ». Quant à Figaro, c’est le rôle le plus emblématique d’un répertoire à la portée de tous et pourtant d’une haute valeur littéraire. La pièce est à la fois insolente et tendre, et sa dimension prérévolutionnaire répond à mon propre engagement : j’ai longtemps milité au Parti communiste français (P.C.F.), de 1971 à 1978, puis de 1981 à 1991. J’ai fait alliance avec la classe ouvrière, mais j’étais un petit-bourgeois d’origine. Et je reste un bourgeois, mais en faveur d’une plus grande égalité républicaine.

Vous avez dirigé le Théâtre des Boucles-de-la-Marne (T.B.M.), à Champigny-sur-Marne, en banlieue parisienne, de 1983 à 1991, puis le Théâtre Mouffetard, dans le Ve arrondissement de Paris, de 2003 à 2012. Quelle politique avez-vous menée en direction des publics ?

Un directeur doit d’abord remplir la salle. Au T.B.M., il y avait 800 places… La nature de la programmation conditionne la composition du public. Je suis resté fidèle à mes valeurs issues du T.N.P. Avec 232 places, Mouffetard était, à mes yeux, le plus petit théâtre populaire de Paris ! Dans ces deux expériences, j’ai tenté de fidéliser les publics par une politique de proximité, avec des abonnements. Malheureusement, Mouffetard n’avait pas de capacité de production, donc de création, et devait se cantonner à sa mission d’accueil.

La popularité que vous ont donnée des séries télévisées telles que l’Homme du Picardie ou les Cinq Dernières Minutes n’a-t-elle pas ralenti votre carrière au théâtre et au cinéma ?

Sans doute. Mais cela m’a procuré tellement de bonheur que je ne regrette rien. J’appartiens à une génération qui a inventé le langage télévisuel. J’ai été, certes, repoussé par le monde intellectuel du théâtre public, en raison d’une image populaire, voire populiste. J’aurais aimé travailler avec Antoine Vitez ou Patrice Chéreau… Faire davantage de cinéma aussi. Mais j’aime la vie, je suis heureux. Et sans être fier, je suis content de ce que j’ai fait.

Vous vous êtes investi au service de l’intérêt général de votre profession, au sein du Syndicat français des artistes interprètes (S.F.A.), puis à la présidence de l’A.D.A.M.I., de 1999 à 2005.

J’ai la fibre militante et j’aime rendre service. Mon engagement syndical m’a conduit à exercer certaines responsabilités. J’ai d’ailleurs été élu il y a quelques jours président de l’Union des artistes, qui organisera le Gala de l’Union en novembre prochain. 

Propos recueillis par
Rodolphe Fouano


Plus d’informations sur www.pierresantini.fr

Photo de Pierre Santini : © Rodolphe Fouano

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