« 20000 lieues sous les mers », Jules Verne, Christian Hecq, Valérie Lesort, Théâtre des Célestins, Lyon 

20000 lieues sous les mers 1© Fabrice Robin

Féérie sous-marine

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Jules Verne vous a laissé le souvenir d’un album quelque peu poussiéreux ? Courez voir la représentation qu’en donnent Christian Hecq et Valérie Lesort. C’est une merveille de spectacle, habile, intelligent, drôle et captivant. Un vrai roman d’aventures.

Tout d’abord, quelques rappels : trois hommes ont été kidnappés à bord du Nautilus à la suite du naufrage de leur esquif parti traquer un monstre marin dévastateur. Ils ignorent où ils sont, ainsi que le motif de leur retenue. Rapidement, ils découvrent qu’ils sont à bord d’un sous-marin et que les possibilités d’évasion sont extrêmement réduites. Il s’agit du Professeur d’histoire naturelle Pierre Aronnax (Éric Prat, inébranlable), un homme passionné de lecture qui en a vu d’autres, de son serviteur dévoué nommé Conseil, homme pusillanime s’il en est, auquel Laurent Natrella donne des allures de Pieds nickelés et de Ned Land, harponneur bravache et rude (formidable Rodolphe Poulain).

Une fois fait l’inventaire de leur prison, meublée comme un bel appartement XIX° avec canapé Chesterfield en cuir rouge adossé à un gigantesque hublot entouré d’objets bizarres, leur geôlier apparaît. Immédiatement le quiproquo s’installe, le burlesque s’invite. Car les trois prisonniers veulent à tout prix des réponses à leurs questions, alors que le capitaine Nemo (car c’est lui) reste muet. Ses hôtes involontaires aussitôt l’imaginent ne parlant pas français et se lancent dans des essais tordants d’explications en langues étrangères fort mal maîtrisées.

C’est Christian Hecq lui-même qui incarne ce personnage hautain et inquiétant qui ressemble à s’y méprendre à Éric Von Stroheim dans La grande illusion. Nemo, flanqué de son souffre-douleur, Flippos, une vraie machine à rire grâce au talent de clown de Pauline Tricot, est vraiment un personnage ! Ses motivations sont plus qu’improbables, et sa misanthropie teintée de supériorité n’est guère sympathique. Nous verrons cependant que les liens qui unissent le maître et le serviteur sont bien plus complexes qu’on ne croit.

Qui observe qui ?

L’histoire et les personnages, à y regarder de près, ne sont pas drôles et pourtant ! C’est toute la grâce de ce spectacle que de nous offrir un regard plein d’humour tendre sur les personnages, sur les situations (même lors de la scène terrible où Flippos est entraîné vers les profondeurs par un poulpe géant), mais aussi sur la faune qui peuple les mers, visible à travers le grand hublot qui double en quelque sorte le décor. Dans cette exigence du détail, on sent un authentique amour de la nature.

En réalité, il s’agit, non de projections vidéo, comme on voit désormais partout, mais de marionnettes issues de l’imagination débridée de Valérie Lesort et animées par les comédiens manipulateurs soigneusement cachés selon la technique du théâtre noir. Ces drôles de poissons dansent, virevoltent, font un ballet coloré, parfois nous regardent. On les croirait doués de pensée et c’est comme si s’instaurait entre eux et nous un vrai dialogue : qui regarde l’autre ? Qui se moque de qui ?

Tout cela est porteur d’une poésie délicate et d’émotions que chacun vit selon son âge et son humeur. Tandis que les plus jeunes jouent à se faire peur, les plus grands sont émerveillés devant le poisson carnassier aux dents taillées comme des rasoirs, devant les ravissantes, élégantes et grâcieuses méduses aux longs filaments fluorescents ou encore le poulpe géant qui attaque le navire et y pénètre par tous les orifices, jusqu’à ce que Conseil déchaîne sa colère sur lui.

On ne peut pas tout raconter, car il faut garder de l’innocence, avant d’aller voir ce spectacle qui porte haut et noblement le qualificatif tout public : il prend les enfants pour de grandes personnes et permet aux adultes de retrouver une âme d’enfant. 🔴

Trina Mounier


20000 lieues sous les mers, de Jules Verne

Adaptation et mise en scène : Christian Hecq et Valérie Lesort
Avec : Mikael Fau, Christian Hecq, en alternance avec Éric Verdin, Laurent Natrella, Rodolphe Poulain, Éric Prat, Pauline Tricot
Avec la voix de Cécile Brune
Christian Hecq assure les représentations du 2 au 5 mai, Éric Verdin du 7 au 12 mai
Scénographie et costumes : Éric Ruf
Lumière : Pascal Laajili
Son : Dominique Bataille
Création marionnettes : Carle Allemand, Valérie Lesort
Durée : 1 h 20

Théâtre des Célestins • Grand théâtre • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 2 au 12 mai 2024, relâche le lundi, mardi, mercredi, vendredi, samedi  à 20 heures, jeudi à 19 h 30, dimanche à 16 heures, le 3 mai à 14 h 30 et 20 heures, mardi 7 mai à 14 h 30 et 20 heures, mercredi 8 et jeudi 9 mai à 16 heures, audiodescription samedi 4 mai
Réservations : 04 78 03 30 00 ou en ligne

Tournée :
• Les 18 et 19 mai, Équilibre Nuithonie – Fribourg – Suisse
• Du 29 au 31 mai, MC2 Grenoble

Photos © Fabrice Robin

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