L’exubérance du Système Castafiore
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Dans leur dernière création, Marcia Barcellos et Karl Biscuit explorent la fantasmagorie de nos rêves dans un florilège de tableaux chorégraphiques, de sublimes compositions visuelles et d’étonnantes installations sonores. Un fabuleux voyage qui fait basculer tous nos repères.
De-ci de-là, une Belle au bois dormant et un drôle de prince (à moins que ce ne soit La Belle et la Bête), des jumelles échappées d’un film d’épouvante et tout un monde. Entre conte et cauchemar éveillé, le Système Castafiore nous plonge dans un univers surréaliste peuplé d’étranges créatures mi-animales mi-végétales. La chorégraphe Marcia Barcellos et le compositeur metteur en scène Karl Biscuit nous font évoluer dans le labyrinthe de l’inconscient, depuis l’antichambre des songes jusqu’aux ténèbres d’où surgissent monstres, figures chimériques, apparitions fantastiques. Un bestiaire plein de fantaisie qui révèle des angoisses ancestrales.
Les deux artistes proposent une anthologie de la représentation du cauchemar à travers les siècles. Leur spectacle s’ouvre sur une citation de L’Eau et les rêves de Gaston Bachelard et se ferme sur une autre de Shakespeare : « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves ». Dans une forêt embrumée, des femmes aux chevelures sans fin – sirènes sans écailles plongées dans la sourde mélancolie d’un crépuscule – font évidemment penser au romantisme ou au symbolisme. Exécutés d’un sang d’encre, les dessins rappellent, quant à eux, ceux de Tim Burton. L’expressionnisme n’est pas loin non plus. Une araignée impressionnante nous ramène à Louise Bourgeois. Les autres références (à Gustave Doré, Lautréamont, Jules Verne, Joris-Karl Huysmans, Georges Méliès, Paul Dukas ou Georg Trakl) échappent aux hiérarchies, comme dans les rêves.
Le spectacle, riche de ses sources mais pas documentaire, nourri mais pas indigeste, propose une expérience totale qui sollicite davantage les sens que l’intellect. On se laisse volontiers entraîner par cette logique onirique.
Une expérience totale
Inlassablement, depuis 1989, le Système Castafiore fouille dans notre inconcient. Axant leurs recherches sur la confrontation des élans créatifs de la danse, des arts plastiques et de la musique, ils puisent allègrement dans la psychanalyse qui nous éclaire si bien sur le rôle du rêve dans notre vie. Le cauchemar n’offre-t-il pas souvent la clef d’une énigme, la résolution d’un problème ?
Entrelaçant mouvements, images sophistiquées et musiques intemporelles, ces artistes complices depuis si longtemps nous émerveillent de leurs trouvailles. Cette réalisation a d’ailleurs nécessité un an de travail, et mobilisé, en plus des danseurs, une équipe importante de scénographes, stylistes, graphistes, vidéastes, musiciens.
Outre les magnifiques costumes et les incroyables perruques, les éclairages et le travail plastique apportent une matière très intéressante, ajoutent du mystère, distillent du trouble. Pour convoquer leurs mondes imaginaires, chorégraphie, marionnette et jeu masqué rivalisent avec plusieurs procédés techniques. Les trucages et la machinerie contribuent à la magie, mais toujours dans un savant dosage entre savoir-faire ancestraux et technologies de pointe, avec utilisation réussie de la 3D, comme du mapping. Les panneaux mobiles permettent de belles superpositions d’images qui estompent les frontières entre réel et irréel.
Onirisme
La profondeur du plateau est particulièrement exploitée, avec des projections sur trois niveaux, permettant d’encastrer les images les unes dans les autres, ou bien de faire vriller une danseuse suspendue à l’intérieur de toiles d’araignées plus ou moins abstraites. L’utilisation des cintres transforme la danse en discipline aérienne, ouvrant encore un peu plus grandes les portes du rêves, pour laisser échapper des insectes géants et autres images subliminales. En apesanteur.
Entre grâce et magnétisme, les interprètes sont fascinants. Ils incarnent des personnages mais ne racontent pas d’histoire. Composées autour d’éléments signifiants et cohérents, les séquences sont laissées à la libre interprétation de chacun. Les apparitions font partie d’un processus assez lent durant lequel le spectateur doit ouvrir son espace mental et laisser le flou, l’insaisissable l’envahir pour accepter d’apprivoiser ses propres cauchemars. Les différents niveaux de lecture rendent donc le spectacle accessible aux enfants, même si ces rêves obscurs et ces créatures exubérantes peuvent impressionner (le sous-titre du spectacle est « Ballet épouvantable»). Certaines images n’ont effectivement pas fini de nous hanter. Mais elles peuvent aussi faire galoper l’imaginaire pour alimenter nos fantasmes et nous maintenir éveillés. ¶
Léna Martinelli
Anthologie du cauchemar, Système Castafiore
Mise en scène, musique, conception vidéo : Karl Biscuit
Chorégraphie : Marcia Barcellos
Costumes : Christian Burle assisté de Magali Leportier
Lumières : Julien Guérut
Construction des décors : Jean-Luc Tourné assisté de Jérôme Dechelette
Graphisme : Vincent de Chavanes
Régie son et vidéo : Arnaud Véron
Interprétation : Tuomas Lahti, Tom Lévy-Chaudet, Lucille Mansas, Daphné Mauger, Sara Pasquier
Voix : Olivier Forgues, Florence Ricaud, Maud Narboni
Documentation iconographie : Olivier Forgues
Tout public, à partir de 8 ans
Chaillot – Théâtre national de la Danse • Salle Firmin Gémier • 1, place du Trocadéro • 75116 Paris
Du 5 au 10 décembre 2019
Renseignements : 01 53 65 30 00
Réservations en ligne ici
De 8 € à 21 €