« Article 353 du Code pénal », Tanguy Viel, Emmanuel Noblet, Théâtre des Célestins, Lyon 

article 353 code penal-Tanguy-Emmanuel Noblet © jean-louis-fernandez

Au cœur du droit français

Trina Mounier
Les Trois Coups

Il est des spectacles dans lesquels le verbe incarner prend toute sa dimension. C’est le cas de « Article 353 du Code pénal », porté au plateau par Emmanuel Noblet. Vincent Garanger y est Martial Kermeur, du magnifique polar de Tanguy Viel. Nous suivons cet homme malmené par la vie, dans une traversée bouleversante qui éclaire le sens de ce titre intrigant.

Déjà, quelle performance d’interpréter ce quasi seul-en-scène adapté en une heure et demie des 200 pages du roman ! Vincent Garanger est très crédible. Cela commence par l’arrivée du personnage dans le bureau du juge d’instruction. Pas de suspens : l’homme avoue et plaide coupable. Il est bien le meurtrier d’Antoine Lazenec, le promoteur immobilier dont le corps a été retrouvé en rade de Brest. Il ne cherche aucune excuse et se contenterait assez de cet aveu.

Mathias Kermeur est un taiseux. Sauf qu’en face de lui, le juge veut comprendre et, donc, ne pas le lâcher (dans tous les sens du terme). Et finalement, Mathias Kermeur raconte, sans s’expliquer vraiment – c’est là toute sa grandeur – ce qui l’a amené là. Peu à peu, il se laisse prendre par le vertige des mots et des souvenirs, sa parole dévale la pente. Lentement, son dos se courbe sous le poids d’une fatigue de vivre palpable.

Face à lui, le juge est interprété par Emmanuel Noblet, le metteur en scène, plus raide que la justice dans son costume sobre et élégant, les yeux cerclés de lunettes sérieuses. Apparence trompeuse comme les spectateurs ne vont pas tarder à le découvrir. Derrière la façade un rien rigide se cache une exigence de vérité et de justice qui vont inverser le cours de l’histoire.

Grandeur et misère d’un homme du peuple

L’adaptation respecte avec rigueur le texte, se contentant de brèves coupes qui ne dénaturent pas le récit lui-même, ni son rythme : Mathias Kermeur est un ouvrier qui a longtemps travaillé dans les chantiers navals de Brest jusqu’au plan social qui l’a touché, comme des dizaines d’autres. Les catastrophes s’enchaînent : la boisson, le départ de sa femme, les fins de mois difficiles. Une compensation comme une obole : une prime de licenciement. Celle-ci sera l’arme du crime. Une chance pour lui : son fils Erwan décide de rester chez son père. Cette responsabilité va empêcher ce dernier de sombrer complètement. Le récit social et la confession d’un père s’entremêlent étroitement dans l’écriture de Tanguy Viel.

Le livre se déroulait dans le cabinet du juge. Toutefois, Emmanuel Noblet a choisi de le propulser sur un escarpement d’herbes sauvages et d’éboulis qui permet (quand il fait beau) d’apercevoir au loin la rade illuminée de Brest. Autrement dit, il a transposé cette histoire sur la scène de crime. Ce choix est tout à fait pertinent : tandis que Mathias Kermeur tente désespérément de donner un sens à son existence, le metteur en scène place les deux hommes face à l’immensité, les isolant encore davantage.

Histoire connue, histoire épouvantable, qui se double de la colère d’un fils ne supportant pas l’image d’un père défait. À terre. Le piège se referme alors. Quel est donc le sens du titre ? Nous ne le saurons qu’à la fin. Et il donnera une toute autre dimension au profil psychologique des deux personnages, ainsi qu’à un élément essentiel de notre droit français : le retour, dans la dernière ligne droite, du subjectif, de l’intime conviction.

Trina Mounier


D’après le roman de Tanguy Viel publié aux Éditions de Minuit (2017)
Cie Les Choses de la vie et cie À L’Envi
Mise en scène et adaptation : Emmanuel Noblet
Avec : Vincent Garanger, Emmanuel Noblet
Scénographie : Alain Lagarde
Lumière : Vyara Stefanova
Son : Sébastien Trouvé
Vidéo : Pierre Martin Oriol

Théâtre des Célestins • Salle Célestine • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 20 au 30 novembre 2024, mardi, mercredi, vendredi, samedi à 20 h 30, jeudi à 20 heures, dimanche à 16 h 30, relâche le lundi
Durée : 1 h 30
De 8 € à 26 €
Réservations : 04 78 03 30 00 ou en ligne

Tournée :
• Le 6 décembre, L’Éclat, scène conventionnée, à Pont-Audemer (27)
• Du 11 au 13 décembre, Théâtre Montansier, à Versailles (78)
• Du 21 janvier au 15 février 2025, Théâtre du Rond-Point, à Paris (75008)
• Les 20 et 21 février, Théâtre de l’Union CDN Limousin, à Limoges (87)
• Du 25 février au 1er mars, Théâtre de l’Étincelle, à Rouen (76)
• Le 21 mars, Les Scènes du Golfe, Théâtre de Vannes et Arradon, à Vannes (56)
• Du 25 mars au 17 avril, La Comédie de Valence, CDN Drôme Ardèche, dans le cadre de Comédie itinérante (26)
• Le 29 avril, L’Estive, scène nationale de Foix et de l’Ariège (09)
• Le 23 mai, La Madeleine, scène conventionnée de Troyes (10)

Photo : © Jean-Louis Fernandez

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories