Festival Mosaïque, Reportage, « Gravir », « Mouton Noir », « Place des anges », La Faïencerie, Creil Sud Oise

Place des anges Gratte ciel © J.Broadley

Rendez-vous au sommet !

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Pour sa 5e édition, le festival des arts de la rue porté par la Faïencerie s’est senti pousser des ailes. Durant le dernier week-end de septembre, dans onze villes de l’agglomération, spectacles, expériences sensorielles et immersives resteront inoubliables pour beaucoup. Tout était gratuit.

Parce qu’un week-end, c’est très court, et parce qu’inaugurer Mosaïque dans une petite commune est un symbole fort, Joséphine Checco (directrice de La Faïencerie) a programmé Prélude (Accrorap et Kader Attou) à Saint-Vaast-lès-Mello, bourgade de 1 131 habitants implantée en surplomb de la vallée du Thérain. De quoi donner envie à de nouveaux publics de découvrir les autres propositions du festival. L’organisation a compté environ 7.800 spectateurs spectateurs et spectatrices.

Si les cultures urbaines ont généralement beaucoup de succès, le road-trip rural du Compost méritait également toute l’attention. La Trouée pose, à des femmes du monde paysan, la question « Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs ? ». De l’urgence de vivre au partage de la joie de fouiller la terre, il n’y a qu’un pas. Ou plutôt plusieurs voies : micro en main, Cécile Morelle a recueilli des témoignages, lesquels mêlés à ses souvenirs d’enfance ou de lutte, retracent le chemin qui la lie à son territoire, la Picardie.

D’ailleurs, le programme était conçu afin de permettre d’enchaîner les spectacles. Avec l’AXO, La Faïencerie a proposé une solution de transport en commun le samedi et le dimanche (navette). Pratique et écologique.

Plus classique (quoique !), L’Éventuel Hérisson bleu a fait revivre le théâtre de tréteaux de L’Illustre Théâtre dans Molière Summer. La troupe a parcouru la région pour jouer les Fourberies de Scapin, sauf que les interprètes ont tous appris le rôle… de Scapin ! Avec l’aide du public, une représentation s’est alors improvisée. Un classique finalement très contemporain !

Explorer, rire, rêver

Le programme suivant s’annonçait comme une expédition fantastique : accompagner Ondine-les-sources (Collectif Or Normes) dans les profondeurs marines ou Gravir des sommets, avant de s’arrêter au Village des arts, afin d’explorer d’étranges dômes (lumineux, kaléidoscope, sonore)…

Escapade extraordinaire, tout comme avec les acrobates de Gravir (Les Quat’fers en l’air), prêtes à tout. L’arrivée en tenues de ski de Gabi, danseuse pétillante, et de Garance, la porteuse (entre autres), produit aussitôt son effet. À cause des changements climatiques, il ne leur reste plus que l’ossature de la montagne. Dans ces conditions, comment défier la gravité ?

Grâce à la distance de l’humour, évidemment ! Ascensions, voltige, détente, conflits… Tout est prétexte à rire. Elles font la paire, comme le clown blanc et l’Auguste. Jouant du moindre détail, y compris la magnésie, elles enchaînent élucubrations et taquineries. Si l’une des deux vacille, l’autre est là. Si la première s’élance, c’est pour mieux faire plonger le duo ou grimper encore et encore. Entre elles et le public, le courant passe aussi. Elles sont précises mais promptes à improviser.

Pour ceux préférant la terre ferme, découvrir l’équipée de l’Olympia (Pôle K), depuis le quai d’Amont à Saint-Leu-d’Esserent, pouvait rassurer, quand bien même s’annonçait, sur une péniche, une compétition inédite de plongeons, trampoline et breakdance. Dans le prolongement de l’euphorie estivale (programme d’ailleurs labellisé Olympiade culturelle Val d’Oise, avec L’Art du collectif, dans le cadre de Pivo), ce rendez-vous célèbre le spectacle vivant et le sport. Entre Paris et Rouen, pas moins d’une trentaine de représentations a effectivement été donnée sur l’Oise, la Seine et la Marne. Insolite et bon enfant.

« Gravir », Les Quat’ fers en l’air © Luc Mirales ; « Olympia », Pôle K © DR ; « Mouton Noir », Paul Molina © DR

Encore le sport (également labellisé Olympiade Culturelle Paris) ! Entre maîtrise et jonglage du ballon, acrobaties et témoignages, Paul Molina retrace son parcours de vie dans un spectacle chorégraphié par Wilmer Marquez. Mouton noir relate sa quête existentielle. Tout droit sorti d’une grande école de commerce, ce jeune homme a osé faire un pas de côté : ne pas suivre la voie toute tracée, afin de vivre de sa passion, le foot­ball free­style. Malgré les sacrifices, il n’hésite pas à tout plaquer : adieu la finance, bonjour la vie précaire d’intermittent du spectacle ! Mais tout semble lui réussir. Les jeunes, avec qui il a un excellent contact, ont été très touchés. Il faut dire qu’il est doué et inspirant.

Féerie plumée

Nous concernant, cette expédition s’est achevée sur le clou du festival, Place des anges. De la fantaisie et du rêve : la cie Gratte Ciel est connue pour offrir aux foules beauté et poésie. Et cela bien avant sa participation à la cérémonie d’ouverture des JO 2024 (lire notre article). Ce spectacle est d’ailleurs considéré comme un classique des arts de la rue. Place des Anges a parcouru le monde, toujours avec succès, sans doute parce que cette allégorie pacifiste est universelle.

À plus de 40 mètres du sol, des voltigeurs soutenus par la musique tonitruante d’Hugues de Courson s’élancent à corps perdu dans les airs, avec une énergie et une fantaisie débridée. Ils surgissent des toits des bâtiments, tantôt pour fendre l’espace, tantôt pour nous surprendre par leurs acrobaties ou leurs facéties. Glisser, fuiter, danser, se suspendre… Les techniques proviennent de l’escalade. Nourrie de cirque et d’arts visuels, la fresque chorégraphique est spectaculaire et sensible à la fois. Porteurs d’une douceur joyeuse, ces anges-là jouent de leur apesanteur et nous rendent légers comme leurs plumes.

Le terrain de jeu à Creil ? Le quartier Rouher. « Après les plus grandes places en France et ailleurs, depuis 2007, nous sommes heureux que la dernière date connue de ce spectacle se déroule dans ce quartier populaire », souligne Camille Beaumier, codirectrice de la cie. Après (entre autres) Montréal, Londres, Buenos Aires, Kiev, Villeurbanne (lire l’article de Stéphanie Ruffier), Place des anges n’a jamais cessé de se réinventer in situ en adaptant ses tyroliennes à l’architecture environnante, à l’espace public et urbain. Chaque lieu impose le décor, ce qui oblige l’équipe à repenser totalement la technique et la logistique (notamment les autorisations) pour réaliser une scénographie exceptionnelle. Chaque représentation nécessite plusieurs semaines de préparation et de montage.

Aujourd’hui, vu le contexte économique (32 personnes, dont la moitié, des acrobates et l’autre moitié l’équipe technique et de production), écologique (une tonne de plumes tout de même !) et les contraintes de sécurité, la cie doit adapter le format. Des « modèles réduits » s’intègrent désormais à des projets de territoire, en lien avec les habitants. Comme ici, à Creil, où la semaine précédant le montage a été riche en échanges. Le maillage social est devenu une des raisons d’être des installations filaires et de cordes tendues.

« Place des anges », Gratte ciel © Tom Arran (2) Jérôme Lefevre (1 et 5) © Sarah Meneghello (3 et 4) © Christian Thébault (6)

D’abord, l’occupation de l’espace dans sa verticalité a en effet invité à regarder différemment le quartier. Ensuite, un projet participatif a permis à certains d’aider à l’atterrissage des anges sur terre, à faire tournoyer les plumes dans le ciel, à ouvrir la voie et à guider l’ange gonflable au milieu du public. Alors, la fresque s’est animée. À l’émerveillement des costumes et des premières nuées blanches, lentes et furtives, a succédé la vitalité d’une tempête de plumes, puis l’énergie du bal. Enfin, approcher les artistes de si près a aussi contribué à changer les rapports humains. En tissant cet espace de leurs humanité et savoir-faire, la cie Gratte-ciel et ses complices (publics, programmateurs, collectivités territoriales…) repoussent toujours plus loin les frontières des possibles.

Quel beau cadeau ! Éclectique, foisonnant, généreux, ce festival porte bien son nom, à l’image du projet de cette scène conventionnée art en territoire : « La saison se dessine à mesure que s’assemble cette mosaïque de projets. C’est bien le moins, pour une Faïencerie  ! », lit-on dans la présentation. Avant Les P’tites Tommettes, autre nom bien choisi pour un festival cette fois-ci dédié à la petite enfance, on espère donc bien revenir y faire de nouvelles découvertes.

Léna Martinelli


Gravir, Les Quat’ fers en l’air
Site de la cie
Production Émile Sabord
De et avec : Gabi Chitescu et Garance Hubert-Samsom
Regard extérieur : Alain Reynaud, Tite Hugon, Jean-Charles Gaume
Création costume : Patricia De Petitville
Musique : Benjamin Nogaret
Coproduction, aide et soutien : La Cascade, Pôle National Cirque – Ardèche, Rhône Alpes
Durée : 35 minutes
Mairie de Thiverny • Les 27 et 28 septembre 2024

Mouton noir, Paul Molina
Mise en scène : Wilmer Marquez
Avec : Paul Molina
Création son : Jorge Avellaned
Regard artistique : Lou Valentini
Régisseur général : Hubert Perin
Costumes : Fanette Bernaer
Chargée de production : Margot Rouiller
Durée : 45 min
Dès 8 ans
La Coulée verte à Montataire • Les 28 et 29 septembre 2024
Tournée ici :
• Le 2 octobre, Équinoxe, scène nationale de Châteauroux
• Les 18 et 19 octobre, Derrière Le Hublot, à Capdenac
• Du 20 au 22 novembre, Le Manège, à Maubeuge
• Les 7 et 8 décembre, Les 3T-Théâtres de Châtellerault
• Le 10 décembre, à Oésia-Notre-Dame-d’Oé
• Les 9 et 10 janvier 2025, Espace de Retz, à Machecoul
• Les 24 et 25 janvier, Bourg-en-Bresse
• Le 30 janvier, Le Vivat-Armentières
• Le 4 février, Université de Rouen
• Les 18 et 19 février, Théâtre-Sénart, scène nationale
• Les 13 et 14 avril, Maison des 3 quartiers, dans le cadre du festival à Corps organisé par le TAP, scène nationale de Poitiers
• Le 17 avril, Théâtre de Bressuire
• Le 25 avril, Le Sirque, PNC Nexon
• Les 29 et 30 avril, DSN, scène nationale, à Dieppe
• Du 15 au 24 mai, Tandem, Théâtre d’Arras
• Du 3 au 5 juin, Agora PNC, à Saint-Alvère

Place des anges, cie Gratte Ciel
Site de la cie
Écriture et mise en scène :  Pierrot Bidon et Stéphane Girard
Conception costumes : Ana Rache et Laura Tavernier
Composition musique : Hugues de Courson
Conception aérienne : Rémy Legeay
Lumière : Jean-Marie Prouvèze, Yann Champelovier, Rudy Muet
Durée : 40 min suivi d’un bal plumes
Tout public
Rue Jean Macé • 60100 Creil • Le 28 septembre 2024

Dans le cadre du festival Mosaïque, du 26 au 29 septembre 2024
Tout le programme ici
La Faïencerie, scène conventionnée de Creil • allée Nelson • 60100 Creil
Renseignements : 03 44 24 01 01

À découvrir sur Les Trois Coups :
L’Éloge des araignées, Mike Kenny, par Léna Martinelli
Ici, Jérôme Thomas, par Léna Martinelli

Photo de une : « Place des anges », Gratte ciel © J. Broadley

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories