« Cœurs sauvages », Les Colporteurs, « Ven », Si seulement, Festival Alba-la-Romaine

Ven-Si-seulement

L’extra-ordinaire Festival d’Alba-la-Romaine

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Le festival d’Alba-la-Romaine se déroulait du 12 au 17 juillet. Organisé par la Cascade, pôle national cirque, en Ardèche, c’est une belle étape sur la route des festivals. Deux spectacles ont particulièrement retenu notre attention : « Cœurs sauvages », une variation aérienne sur l’animalité qui vibre en chacun de nous, magnifique fresque des Colporteurs et « Ven » une très belle partition sensible sur le lien de la jeune compagnie Si seulement. Un joyau et une pépite !

« Le Festival d’Alba est toujours un moment fondateur, une invitation au monde pour découvrir un territoire qui nous inspire (…) Un festival imaginé pour construire des mondes, des univers imprévisibles… Un moment extra-ordinaire à partager ensemble », écrit le directeur-artiste Alain Reynaud, qui considère la culture comme « arme de construction massive ».

La programmation se déclinait en 16 spectacles, dans un patrimoine d’exception, très bien valorisé : le Théâtre antique, le Théâtre de la Roche et les chapiteaux implantés non loin de la Carbunica, lieu de rassemblement et de restauration, cœur battant du festival où artistes et publics se retrouvent aussi autour de concerts.

Parmi les spectacles déjà couverts par la rédaction, ne pas manquer l’énergie phénoménale de FIQ ! (Réveille-toi), avec le groupe acrobatique de Tanger (lire l’entretien avec Sanae El Kamouni) ; Rapprochons-nous (La Mondiale générale), une invitation à se donner du temps, en équilibre, collé-serré, sur un bastaing qui impose pourtant des contraintes (lire notre critique) ; L’Empreinte, une évocation délicate, en musique, en mouvement et en humour, des vertus de la bienveillance (lire notre critique) ; Bouratina, un spectacle qui revisite les jeux icariens, avec une marionnette au caractère bien trempé (lire notre article).

Élans de vie

Sans être aujourd’hui directement impliqués dans le fonctionnement du festival, Les Colporteurs sont restés complices, car ils ont contribué au lancement du festival, en 2009, aux côtés de la cie des Nouveaux Nez, dont fait partie Alain Reynaud. Logique qu’ils présentent les premières de leur dernière création à Alba-la-Romaine.

De façon sensible et poétique, Cœurs sauvages nous reconnecte au vivant. Sous leur chapiteau, dans un maillage de fils, mats, cordes et tissus, les artistes partent à la rencontre de leur nature animale, de leurs instincts. Accompagnés par des musiciens, ils volent, rampent, s’apprivoisent, luttent. Suspendus à plusieurs mètres du plancher des vaches, on croit voir une araignée qui tisse sa toile, un étalon qui galope sur le fil, un paresseux heureux, la tête en bas, ou encore un oiseau qui s’élève au-dessus de nos têtes. Et même un loup qui rôde.

En meute, solitaires ou en couple, ces drôles de créature explorent ce qui fonde la survie : la continuité de l’espèce, la quête de nourriture, la solidarité face aux défis de l’existence. Proie, prédateurs et protecteurs se côtoient en faisant évoluer, au sein même de leurs personnages, fragilité, force et empathie. Certains déjouent le confort ou la sécurité en rusant ; d’autres prennent des élans salutaires. Tout en intelligence, malgré la sauvagerie en question. D’ailleurs, la définition des Colporteurs est juste. Oui, libre et indompté, le « sauvage » a du cœur. Et de battre, celui-ci le rend vivant.

Antoine Rigot et Agathe Olivier se sont appuyés sur les recherches de Baptiste Morizot, philosophe qui s’est penché dans un livre sur les Manières d’être vivant : « Nous faisons partie d’un tout. Or, notre société nous écarte de nos sensations primaires et nous emmène dans l’incompréhension du besoin de préserver la nature. Elle éloigne donc de ces sensations que nous avons tous en commun ».

« Cœurs sauvages », cie Les Colporteurs © Sébastien Armengol

C’est la première fois, depuis la création de la compagnie il y a déjà 25 ans, qu’Agathe Olivier ne joue pas ! Mais elle a veillé à ce que les interprètes excellent chacun dans leur domaine. Leur technique est effectivement irréprochable, au service de numéros originaux, dont l’amplitude séduit. Affûtant leur qualité d’écoute, ces artistes portent leur attention aux vibrations et aux interactions. Ils font corps et ils habitent très bien l’espace.

Certaines images sont saisissantes. Éclairages et costumes soignés, mise en piste participent de la magie. La musique live a aussi son importance. Un musicien électro-acousticien récupère les sons des vibrations (effets rendus grâce à des capteurs sur les corps des interprètes) et les mixe en direct avec le violon et la guitare.

Le spectacle, non dénué de lyrisme, mériterait d’être un chouilla resserré, même si les tableaux contemplatifs apportent aussi des respirations bienvenues. Grâce, force et mystère nous emportent malgré tout. Si loin, si proche. Oui, on aime la particularité de ce cirque-là, ouvert à tous les possibles et tous les publics. Au-delà des performances, les Colporteurs nous enchantent par leur poésie et leur grâce, mais aussi une sincère générosité, un réel humanisme.

L’émotion à fleur de peau

Également d’une grande force visuelle, Ven nous offre à voir la beauté brute du monde à travers un cirque sensuel et physique. La compagnie franco-espagnole Si seulement est née de la rencontre à l’École nationale de cirque de Montréal, entre Hugo Ragetly (jongleur) et María del Mar Reyes (équilibriste). Une belle complicité et sensibilité artistiques renforcée après trois ans d’expérience au sein de la fameuse compagnie Les 7 Doigts. Ven est leur premier spectacle, déjà d’une belle maturité. Il a d’ailleurs reçu le Prix du Public au Festival international des nouveaux langages scéniques d’Avila en Espagne.

Posé à même le sol, un cercle forme une lisière discrète entre le public et les deux artistes. Cet espace de tension – d’attention – s’étire et se resserre, comme une respiration animée par l’engagement entre cette femme et cet homme. Une attraction irrésistible. La performance fait appel au corps et au cri, convoque l’homme et la bête. Ce duo sur la confiance explore comment le lien se tisse, peu à peu, se consolide à force de bienveillance et de tendresse. De lâcher prise, aussi. C’est tout à la fois intime et universel.

« Ven », cie Si seulement © Kalimba

Le scénario épuré prend vie dans l’intensité des présences, l’écoute de l’autre, l’élan. On voit avec l’ouïe, on regarde avec les sens. Le geste s’incarne et se nourrit d’une technique très maîtrisée, où équilibre, jonglage, mât chinois et danse dialoguent dans une partition chorégraphique fluide. On ressort de là, empli d’une énergie, prêt à s’élever avec eux, avec autrui. Ensemble. 🔴

Léna Martinelli


Cœurs sauvages, d’Antoine Rigot et Agathe Olivier

Les Colporteurs
Avec : Valentino Martinetti (danse, acrobatie), Anniina Peltovako (fil, clown), Riccardo Pedri (corde lisse), Molly Saudek (fil), Manuel Martinez Silva (tissu aérien), Marie Tribouilloy (mâts fixe et oscillant), Laurence Tremblay-Vu (funambule)
Musique : Damien Levasseur-Fortin (guitare, contrebasse), Coline Rigot (violon, voix), Tiziano Scali (électro-acoustique)
Collaboration à la chorégraphie : Molly Saudek
Composition musicale et électro-acoustique : Damien Levasseur-Fortin, Tiziano Scali
Collaboration à l’écriture musicale : Coline Rigot, Raphaël-Tristan Jouaville
Scénographie : Antoine Rigot, Patrick Vindimian
Lumières : Éric Soyer
Costumes : Hanna Sjodin, assistée de Camille Lamy
Direction technique : Pierre-Yves Chouin
Régie chapiteau : Christophe Longin, Florent Mérino
Régie : Olivier Duris (lumières), David Lockwood (plateau), Stéphane Mara (son)
Durée : 1 h 30
Dès 7 ans

Chapiteau du Carbu • Du 12 au 17 juillet 2022

Tournée ici

Ven, de Hugo Ragetly et María del Mar Reyes

Cie Si seulement
Avec : Hugo Ragetly et María del Mar Reyes
Regard extérieur et accompagnement : Emmanuelle Pépin
Création lumières et régie : Delphine Thomas
Durée : 45 min
Dès 6 ans

Théâtre de la Roche • Les 16 et 17 juillet 2022

Tournée ici

Dans le cadre du Festival d’Alba-la-Romaine
13édition, du 12 au 17 juillet 2022
Organisé par La Cascade, pôle national cirque à Bourg-Saint-Andéol

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Sous la toile de Jherominus », par Léna Martinelli
« Un fil sous la neige », par Léna Martinelli

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories