Communiqué
Les Trois Coups
Je m’empresse d’écrire quelques lignes pour expliquer les raisons que j’ai de ne pas renouveler mon contrat à la fin de mon mandat au C.D.N. de Montpellier en janvier 2018.
De cette façon, j’espère au moins que la presse aura les éléments nécessaires pour traiter la nouvelle sans avoir besoin d’inventer quoi que ce soit, de supposer quoi que ce soit, ni, enfin, de faillir involontairement à la vérité.
Je dois avant tout souligner que c’est le jour où mon contrat prendra fin que je ne le renouvellerai pas. C’est-à‑dire que je remplis mon contrat. Que je tiens l’engagement que j’ai pris le 1er janvier 2014.
Pour commencer, une chose que je ne peux pas oublier : le projet hTh a été et demeure pour moi un privilège. J’ai pu mettre un rêve en marche, grâce à la collaboration et à l’investissement de toute l’équipe de ce théâtre ; et je serai éternellement reconnaissant à ceux qui au ministère ont cru en mon projet, ainsi qu’aux institutions locales et, plus que tout, à chaque spectateur.
Lorsque j’ai signé mon contrat, je savais que je disposais d’un budget plus que limité pour développer ce projet. Certainement l’un des plus petits budgets de tous les C.D.N. de France.
Même ainsi, je restais convaincu que je pourrais réaliser une grande partie de ce que je m’étais proposé de faire dans mon dossier de candidature. Ce à quoi je ne m’attendais pas, ce fut de recevoir, un mois après être arrivé, c’est-à‑dire au tout début de mon mandat, la nouvelle d’une coupe budgétaire de l’Agglomération de Montpellier de 100 000 euros. Des 450 000 euros dont je disposais plus ou moins pour les activités artistiques, il ne me restait plus que 350 000. C’était là le moment de démissionner, et je ne l’ai pas fait. Je ne le regrette pas. Mais quatre années à ramer à contre-courant sont plus que suffisantes, surtout lorsque l’on ne reçoit aucun signe d’encouragement de ceux qui soutiennent économiquement ce théâtre.
Dans la mesure où le changement que mon projet supposait était radical, j’ai trouvé logique de rebaptiser ce théâtre, pour qu’il soit bien clair que nous commencions quelque chose de nouveau, de différent, et qui nous remplissait d’enthousiasme.
J’ai appelé le C.D.N. « Humain trop humain », et j’ai encore en mémoire le ton, proche du cri, du représentant de l’Agglomération lors d’un comité de suivi, nous opposant un refus catégorique qui par la suite allait se concrétiser. Quoi qu’il en soit, j’ai réussi à rebaptiser le C.D.N. Humain trop humain, même si le bâtiment lui-même n’a pas changé de nom. Ce qui a rendu les choses confuses pour le public, qui ne savait plus où il mettait les pieds.
Ce geste d’incompréhension de la part de l’ex-Agglomération, aujourd’hui Métropole de Montpellier, ne fut que le deuxième (le premier étant les 100 000 euros) d’une longue liste.
Nous savons que ce C.D.N. souffre de son emplacement. Il se trouve en périphérie de la ville, à un endroit où le tram n’arrive pas. Nous sommes tout de suite retournés frapper à la porte de l’Agglomération pour qu’elle nous aide en mettant à disposition des bus spéciaux. Encore une fois, ce fut un refus catégorique, ce qui nous a contraints à acheter un minibus de 9 places qui chaque soir fait des allers-retours continus pour amener du public depuis la ville jusqu’au théâtre.
J’ai remarqué à mon arrivée que l’un des problèmes financiers du théâtre venait d’un atelier de construction de décors déficitaire que nous partagions avec l’Opéra de Montpellier. Voyant que celui‑ci ne s’en souciait guère et que le C.D.N. prenait tous les frais en charge au détriment des projets artistiques (c’est-à‑dire qu’il restait encore moins d’argent pour la production et la programmation), j’ai mis le sujet sur le tapis à chaque comité de suivi. Pour toute réponse le silence, rien que le silence.
J’ai proposé à la Métropole de récupérer un très joli petit bâtiment du C.D.N. inutilisé, tombant en ruines, pour en faire mon bureau. Des architectes sont venus et ont dessiné un projet fantastique qui à ce jour n’a toujours pas été réalisé. Trois années se sont écoulées, et je continue, en tant que directeur, à recevoir les gens et à travailler dans une loge, que je dois quitter les rares fois où nous recevons une compagnie nombreuse.
Au niveau personnel, mes créations souffrent de cette situation, puisque je pouvais auparavant monter des pièces avec plus d’argent, alors que je dois à présent m’adapter à des budgets serrés.
Le pire, c’est l’impossibilité de faire venir de grandes compagnies avec des pièces majeures (qui sont des atouts pour le public) parce que nous n’avons pas assez d’argent.
Mon intention de fonder une compagnie permanente est restée en demi-teinte. D’abord parce que les moyens sont insuffisants pour la faire grandir, ensuite par impossibilité de collaborer avec l’É.N.S.A.D., du fait de sa volonté de se tenir à l’écart du C.D.N., malgré mon insistance.
Et puis, enfin, le projet de transfert du C.D.N. au domaine d’O.
À l’heure actuelle, on ne nous a toujours pas dit dans quelles conditions cela se ferait, avec quels moyens économiques, quelles seraient nos compétences, ni ce qu’il adviendrait des salariés actuels du domaine d’O… Tout est flou.
Devant ce panorama que je dresse sous vos yeux, vous semble‑t‑il abracadabrant que je décide de ne pas renouveler mon contrat pour trois ans de plus ? Qu’est‑il advenu du dialogue, où sont passés les échanges d’idées et la collaboration avec les partenaires qui soutiennent ce lieu public ?
Pour finir je veux répéter trois fois le mot mensonge.
C’est un mensonge de dire que notre théâtre n’a pas de public. Ceux qui le disent sont ceux qui ne viennent pas, et qui pensent que parce qu’ils ne viennent pas, les autres habitants de Montpellier non plus.
C’est un mensonge de dire que le projet ne reflète pas la ville. Jetez un œil dans le hall du théâtre et vous verrez toutes sortes de gens, de tout âge et de tous milieux confondus.
C’est un mensonge de dire que dans mon cas un C.D.N. est peut-être une charge trop lourde parce que je suis un artiste. Au bout du compte, la raison de mon départ est celle‑ci, que cette charge, moi je la souhaite plus lourde encore, parce que je me suis battu pour que ce C.D.N. soit plus grand, dans tous les sens du terme, et je vois que mes efforts ont été vains. Dit autrement : j’ai plus de forces et d’enthousiasme que nécessaire pour ce travail.
Je quitterai ce C.D.N. en décembre 2017 avec tristesse. Voir le public prendre plaisir aux pièces et en débattre, voir les participants aux laboratoires et aux workshops, prendre part à de si nombreuses activités et à une telle vitalité va me manquer.
Rodrigo García
Les Trois Coups
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