« Dark was the night », Emmanuel Meirieu, Théâtre de Vénissieux

Dark-was-the-night-Emmanuel-Meirieu © Pascal-Gély

Un spectacle à haute rémanence

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Après « Les Naufragés », puis « La Fin de l’homme rouge », Emmanuel Meirieu poursuit son hommage aux invisibles et à ceux que d’autres hommes broient. « Dark was the night » repousse encore plus loin les limites de l’espace.

Le titre du spectacle est tiré d’une chanson de blues, Dark was the night, cold was the ground, créé par un Américain noir misérable, Blind Willie Johnson, descendant d’esclaves et aveugle, mais à la voix et à la musique si belles qu’elles furent choisies pour traverser les galaxies en compagnie du vaisseau spatial Voyager.

Le créateur et sa créature devaient avoir des destins bien différents. D’un côté, sa musique s’envolait porter un message d’espoir et de bienveillance aux éventuels vivants d’autres mondes, gravée sur un disque d’or en compagnie d’une centaine d’autres morceaux de musique, de tableaux et de voix d’enfants, notamment celle d’un petit garçon, François. Mais lui allait mourir jeune, oublié, trop pauvre pour être admis à l’hôpital et même pour avoir une sépulture. On comprend que ce télescopage ait ému Emmanuel Meirieu, lui qui aime tant les histoires vraies et les grands espaces. Ajoutons quelques souvenirs d’une époque révolue, les années 1970 : projetés sur écran, le célèbre pac man et la non moins mémorable Marie Myriam, gagnante de l’Eurovision avec L’Enfant et l’oiseau. Voici pour le cadre.

Requiem pour les oubliés

Le décor, comme toujours impressionnant et réaliste, très réussi, fruit de l’imagination du metteur en scène et de Seymour Laval (qui signe aussi les lumières d’une incroyable beauté) est en réalité le rapprochement de deux espaces. À jardin, une forêt peuplée de grands arbres où vit, entouré de ses abeilles qui disparaissent peu à peu, à son grand désespoir, François, devenu vieux et atteint de la maladie de Charcot. À cour, un homme noir fouille les décombres d’un terrain vague en compagnie de son fils afin de redonner identité et sépulture décente à quelques fragments de squelettes. Bien sûr, ils ne communiquent pas, vivent dans des mondes parallèles. Rien d’autre qu’un téléscopage dans l’imaginaire.

© Pascal Gely

Cette reconstitution de nature présente une caractéristique majeure : son sol inégal, plutôt pentu, rend la marche difficile et l’équilibre précaire. Cela donne l’impression que les acteurs – et quels acteurs !- sont toujours en déséquilibre, moralement comme physiquement, car contraints à avancer lentement, prudemment. Le fait qu’ils n’interagissent pas et n’aient de sens que par référence à un passé révolu ajoute encore de la noirceur.

S’il s’inscrit dans la lignée des précédents, ce spectacle porte un fond de mélancolie, un air de fin du monde, comme si Emmanuel Meirieu était enfin débarrassé de sa colère, de sa révolte. Ce parti pris laisse place à une infinie tristesse qui nous étreint, tout autant que le bel hommage à ces hommes blessés. 🔴

Trina Mounier


Dark was the night, d’Emmanuel Meirieu

Compagnie Bloc opératoire
Mise en scène : Emmanuel Meirieu
Avec : Stéphane Balmino,François Cottrelle,Jean-Erns Marie-Louise,Nicolas Moumbounou,Patricia PekmezianMusique originale : Raphael Chambouvet
Décor : Seymour Laval et Emmanuel Meirieu
Costumes : Moïra Douguet
Lumières : Seymour Laval
Son : Felix Muhlenbach
Maquillage : Emmanuelle Gendrot
Vidéo : Emmanuel Meirieu
Durée : 1 h 50

Théâtre de Vénissieux • Maison du Peuple 8, bd Laurent-Gérin • 69259 Vénissieux 
Le 2 décembre 2022
De 5 € à 19 €
Réservations : 04 72 90 86 68 ou en ligne

Tournée :
• Du 8 au 14 décembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry, centre dramatique national du Val de Marne
• Le 10 janvier, Quai des Arts, à Argentan
• Le 12 janvier, Dieppe scène nationale
• Les 17 et 18 janvier, Scènes du Golfe, Théâtres Vannes Arradon
• Les 20 et 21 janvier, Théâtre L’Aire Libre, à Saint-Jacques-de-la-Lande
• Les 24 et 25 janvier, Espace Malraux, à Chambéry
• Du 31 janvier au 4 février, Les Célestins, Théâtre de Lyon
• Le 7 février, Le Carré, à Château-Gontier
• Du 15 au 19 février, Comédie de Genève
• Le 21 février, Maison des Arts du Léman, à Thonon
• Du 9 au 18 mars, Les Gémeaux, scène nationale de Sceaux
• Le 21 mars, Scène nationale du Sud-Aquitain, à Bayonne

À découvrir sur Les Trois Coups :
Les Naufragés, de Patrick Declerck par Michel Dieuaide
La Fin de l’homme rouge, d’après Svetlana Alexievitch, par Trina Mounier

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