« The Show must go on ! »
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Le Covid-19 bouleverse le traitement de l’actualité. Mais pour aider à surmonter l’épreuve du confinement, nous partageons une sélection d’initiatives : contenus proposés par les institutions ou contributions d’artistes, activités interactives. Nous consacrerons ensuite une série de témoignages sur cette situation inédite. Autant d’éclairages pour traverser le brouillard.
Suite à l’application des premières mesures sanitaires, on a dû faire face aux annulations en cascade, quand les événements n’étaient pas reportés (dans les meilleurs des cas). Nous aurons l’occasion de revenir sur l’impact économique, car le secteur est plus que fragilisé. Il va être sinistré.
Puis le confinement. Nous avons alors basculé dans une autre dimension. Certes, l’épreuve est sans commune mesure avec les héros ordinaires qui sont en première ligne. Mais la quarantaine n’est pas une expérience anodine : difficultés d’adaptations, sentiment d’impuissance, frustration, isolement, anxiété, dépression… Toutefois, depuis son abri, le commun des mortels entre aussi en résistance, prêt à combattre l’ennemi invisible. « Il n’a jamais été aussi simple de sauver des vies : rester chez soi ! », nous dit-on. Désarmant, n’est-ce pas ? Pourtant nous sommes invités à agir avec détermination et humilité, chacun à notre place, à la mesure de nos moyens.
SOS (Sanitaires, sOlitaires, Solidaires)
Après l’urgence et la sidération arrive en effet le temps de l’action. Inspirés, des artistes rivalisent de créativité avec des dispositifs improvisés ou plus sophistiqués. La mobilisation a commencé du côté de la musique, mais les internautes ont désormais l’embarras du choix dans toutes les disciplines car les initiatives individuelles se multiplient. S’évader du réel, transcender ses peines, explorer les mystères, sonder les désirs : la poésie est un formidable remède aux maux de l’âme.
Si certains ont été prompts à s’exprimer sur les réseaux sociaux, les responsables de structures culturelles ont participé à la gestion de la crise, assurant entre autres la continuité de service public, notamment en matière éducative. Non seulement, ils incitent à respecter les mesures sanitaires, mais ils œuvrent à décloisonner nos esprits. Ils nous permettent de rester éveillés, car la complexité de la situation exige beaucoup de discernement, à juste distance.
Parmi les réactions, Joris Mathieu, directeur du Théâtre Nouvelle Génération – Centre dramatique national de Lyon, espère « Un futur désirable », au-delà de tout catastrophisme : « À travers les fenêtres, chacun peut observer le désert. Ce qui n’était jusque-là qu’une fiction d’anticipation est devenue une réalité palpable. […]. Nous pouvons entrevoir cette situation comme une répétition générale de la création du nouveau monde tel que nous étions en train de le concevoir […]. Cet épisode pandémique nous aura contraint à accélérer son expérimentation plus large à l’échelle planétaire. […] Derrière cette épreuve nous attendent d’autres bouleversements en matière environnementale, géopolitique et économique. […] Je voudrais pouvoir espérer que nous ne ferons pas le récit du triomphe des technologies, de la virtualisation des échanges, du travail à distance et de la culture dématérialisée. Que nous saurons y voir les progrès possibles, sans nous bercer d’illusions. »
Quant à Hortense Archambault, à la tête de la MC93 – Centre dramatique de Bobigny, elle invite à « Réfléchir et rêver » : « Ce qui nous manque et va nous manquer encore, ce n’est pas le lien que nous pouvons conserver […] grâce aux nouvelles technologies. C’est de faire et partager des choses ensemble. [Voici] des textes, des voix, des images, traces […] pour réfléchir et rêver face à l’inquiétude du confinement. Pour le traverser ensemble et pouvoir reprendre nos débats à la réouverture, […] mesurer à nouveau combien la sensibilité de chacun est unique et ne vibre pas toujours aux mêmes choses, et parfois se retrouver si heureux d’être à l’unisson ».
Resserrer les liens
Enfin, Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville espère bien aussi réinventer les moments de dialogue, dans « Soyons solidaires » : « Ensemble, nous pouvons faire de ce temps d’isolement un temps de rassemblement et d’invention, pour nous réunir autrement […]. Si la liberté de mouvements est nécessairement contrainte, la liberté de pensée circule et, plus que jamais, ensemble, nous nous efforçons de construire dès maintenant de nouveaux lendemains. »
La plupart des labels nationaux contribuent à l’effort collectif. Les salles de spectacle sont fermées, mais les organisations évoluent, le télétravail se développe. « Eh oui, spectacle vivant et technologie font bon ménage à Points communs ! Ce matin, réunion au sommet avec toute l’équipe du secrétariat général : le théâtre est fermé, mais nous sommes toujours là pour vous préparer de belles surprises », lit-on sur la page Facebook de la scène nationale de Cergy-Pontoise dirigée par Fériel Bakouri.
Le Théâtre Olympia – Centre national dramatique de Tours rebondit sur le report du festival WET°5 pour remonter le moral de sa communauté : « On se mobilise, à distance mais dans un même élan, pour faire face au présent et préparer l’avenir. Aujourd’hui, nous avons quelques BONNES NOUVELLES à vous annoncer ! ». À Valenciennes, l’équipe de la scène nationale Le Phénix travaille d’arrache-pied pour valoriser le fruit d’un travail numérique mené depuis dix ans et concocter des Facebook Live. Intitulée « La servante », comme cette loupiote qui reste allumée quand tout est éteint dans le théâtre, cette programmation phare nous guide.
Beaucoup de structures en profitent donc pour faire la promotion de ressources déjà existantes. On peut consulter des captations, télécharger des podcasts. Certaines font preuve de créativité en proposant du contenu original, des exclusivités, elles adaptent leurs offres pour nous permettre de participer à des expériences interactives, en solo ou en groupe. C’est précieux et réconfortant.
Kit de survie
Voilà de quoi nous occuper à domicile ! D’ailleurs, la qualité des captations a beaucoup progressé ces dernières années. Le haut niveau de réalisation compense l’absence de l’essentiel – la chaleur humaine et le caractère éphémère de la représentation. Grâce à la vidéo, on a accès aux coulisses, à des« before » et des « after », autant d’occasions quasi festives qui échappent habituellement au quidam. Le plaisir se prolonge en effet bien au-delà de la représentation : explorer « le pourquoi du comment » est aussi passionnant.
Ces alternatives généreuses rendent certaines disciplines, comme l’opéra, plus accessibles au public pour peu qu’on en ait les moyens (une bonne connexion, du temps, de la disponibilité d’esprit). D’autres, plus ou moins d’utilité générale, incitent à toujours plus consommer. Tandis que certains ont rempli leur réfrigérateur, d’autres font déborder leur bibliothèque ou « boostent » la mémoire de leur ordinateur pour stocker, toujours plus. Du côté des spectateurs, l’angoisse du trop-plein risque de prendre le pas sur celui du manque ! Or, le jeûne a su démontrer ses nombreuses vertus. Du côté des équipes, il faut produire. Toujours plus. Dans ces conditions, comment ralentir ?
Du côté des institutions, les missions de service public, porteuses de sens et de solidarité, doivent carburer. À plein régime. Conserver le lien avec le public est primordial. Pas seulement pour les recommandations d’usage. C’est un enjeu de visibilité mais aussi social. Les établissements culturels gardent donc le contact, en guise de soutien, avant de nous retrouver dans de meilleures circonstances.
Toujours plus d’écrans !
Néanmoins, les professionnels doivent aussi prendre du recul, notamment en réfléchissant à l’évolution des politiques d’accueil des publics, des pratiques culturelles, dans le respect du développement durable. C’est la mission du TMNlab qui « favorise, interroge et développe » l’utilisation des outils numériques, existants et à venir, en communication et médiation pour les théâtres. La fondation appelle à la veille collaborative afin de recenser « les bonnes pratiques » et nourrir les débats.
En effet, pourquoi parier toujours plus sur les nouvelles technologies dans un monde où les ressources doivent être mieux gérées ? Télétravail, publics connectés, streaming, e-shopping, e-learning… Il sera également intéressant d’analyser l’empreinte de ces consommations électriques et les effets sanitaires des ondes sur nos cerveaux. Par ailleurs, si les réseaux sociaux abolissent les distances, ils ont aussi démontré leurs effets pervers : marginalisation, perte de contact avec la réalité, déshumanisation…
D’autant plus que les pratiques individuelles, déjà en hausse constante depuis vingt ans, vont exploser. Il faut espérer que les propositions numériques collectives ne remplacent pas les rassemblements conviviaux, plus risqués et plus coûteux. Captations grâce à des drones, propositions digitalisées, conservation des données, intelligence artificielle… À situation exceptionnelle, recours exceptionnels. Sauf, que certains ne manqueront pas de profiter de l’occasion pour banaliser et généraliser ce qui doit rester… exceptionnel.
Alors, attention à la surchauffe et aux dérives ! Veillons à diversifier nos pratiques au service du collectif, même sans se côtoyer (lectures, débats, activités artistiques…). Avec l’espoir que tout est encore possible. Ensemble. ¶
Léna Martinelli