Entretien avec Stéphane Kochoyan, directeur artistique de Jazz à Vienne 2015

« J’en ai assez des gens qui disent que la culture, ça coûte »

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Jazz à Vienne fêtera son 35e anniversaire du 26 juin au 11 juillet 2015. D’ici là, la saison de Jazz à Vienne (3e édition) poursuivra son chemin. Tour d’horizon avec Stéphane Kochoyan.

La 3e saison Jazz à Vienne connaît un beau succès, m’a-t‑on dit, pouvez-vous, Stéphane Kochoyan, nous parler des mois à venir ?

Le mercredi 28 janvier à 15 heures, nous reprendrons l’Épopée du souffle de Greg Zlap, notre création jeunesse de la dernière édition du festival. Les Auditeurs, sur les traces des pionniers de l’harmonica, seront transportés, le temps du spectacle, dans le Far West américain, puis en Irlande, et enfin dans les méandres du Mississippi. Ce concert s’inscrit aussi dans la saison jeune public de l’Auditorium de Lyon, berceau de l’Orchestre national de Lyon, temple de la musique classique, symphonique surtout. C’est un partenaire important pour nous, et nous l’inviterons pour des créations au cours du festival lui-même. Il faut vous dire qu’un grand nombre d’évènements de la saison d’hiver sont portés par des coproducteurs ou des partenaires du pôle métropolitain. Parmi eux, nous comptons le Théâtre du Vellein à Villefontaine (Isère), le musée de Saint-Romain-en-Gal, le Théâtre municipal de Vienne…

Vous retrouverez, d’ailleurs, l’Auditorium de Lyon les mois suivants…

Oui, nous aimons y aller. C’est un lieu merveilleux. En février, le grand pianiste Chucho Valdés, un fidèle de Jazz à Vienne, y donnera un concert solo. Et en mars, nous y célébrerons les noces de la musique classique et du jazz dans un superbe programme franco-américain. Stefano Bollani, pianiste de jazz, interprétera avec l’Orchestre national de Lyon, sous la direction de Leonard Slatkin, le Concerto pour piano en sol majeur de Ravel qui flirte avec le jazz, Un Américain à Paris de George Gershwin et la Toccata festiva pour orgue et orchestre, op. 36 de Samuel Barber, car ce lieu possède aussi un orgue splendide, entièrement rénové. Puis le Big Band de l’Œuf, formé à Lyon, fera pencher définitivement la balance du côté du jazz avec trois œuvres composées par son cofondateur Pierre Baldy-Moulinier. En avril, nous accueillerons Marcus Miller à Caluire-et-Cuire et à Grenoble, ce sera le premier spectacle de Jazz à Vienne dans cette ville. En mai, nous retrouverons Stacey Kent à L’Isle-d’Abeau…

Et, comme vous aimez décidément beaucoup l’Auditorium, vous y reviendrez !

On ne peut rien vous cacher ! Jan Garbarek (saxophone et flûte) s’y produira le 21 mai, avec Yuri Daniel (basse), Rainer Brüninghaus (piano) et Trilok Gurtu (percussions, batterie). L’Auditorium de Lyon, idéal pour la musique classique et non amplifiée, nous permet d’accueillir dans d’autres conditions des habitués du festival Jazz à Vienne. C’est le cas pour le solo de Chucho Valdés dont nous venons de parler et ça l’a été pour Gilberto Gil, seul avec sa guitare. Garbarek, lui, a des exigences peu compatibles avec le format du festival. Il ne veut pas de première partie et souhaite jouer sans interruption des concerts qui peuvent durer jusqu’à deux heures et demie ! Un festival, ce n’est pas un concert, un festival, ça se vit, et il faut ménager au public des pauses pour la convivialité. Pour le format concert, l’Auditorium est un lieu parfaitement adapté. Nous y terminerons la saison en juin. Un programme appelé tout simplement « Americas ! » réunira les sœurs Marielle et Katia Labèque (piano) pour une alliance des rythmes du sud et du nord du continent. Elles joueront avec Gonzalo Grau, Raphaël Séguinier (percussions) et l’Orchestre national de Lyon, dirigé par Kristjan Järvi, chef invité. Le programme comportera aussi la Création du monde de Darius Milhaud, pour célébrer l’amitié franco-américaine. Ce que je voudrais dire, pour clore cette partie de notre discussion, c’est que cette saison nomade est très importante pour Jazz à Vienne. Notre public (175 000 spectateurs !) est originaire de la région à 80 %. Il vient à nous pour le festival, et nous allons à sa rencontre pendant la saison. Ce lien est vital pour une manifestation comme la nôtre qui est un leader culturel sur son territoire.

En parlant de « leader culturel », vous me fournissez une transition aisée vers le thème suivant de cet entretien : l’étude d’impact économique de Jazz à Vienne réalisée par Nova Consulting pour ViennAgglo. Pourquoi les dirigeants de l’agglomération ont-ils souhaité cette enquête ?

Notre premier financeur, c’est notre public. Nous sommes autonomes à 80 %-83 %. Nous en sommes assez fiers ! Pour le reste, notre établissement public est essentiellement financé par ViennAgglo. Or, c’est une petite localité de 70 000 habitants environ, un territoire à la fois rural et industriel. Nous ne sommes ni l’agglomération du grand Lyon, ni celle de Paris, ni Nice-Côte d’Azur. Plus que d’autres peut-être, il est légitime et nécessaire que nous rendions des comptes. Et puis… Vous me permettez une digression ?

Stéphane Kochoyan © Jean-François Picaut
Stéphane Kochoyan © Jean-François Picaut

Je vous en prie.

Jean-François, j’en ai assez des gens qui disent que la culture, ça coûte. J’en ai assez d’entendre que les intermittents sont des improductifs privilégiés, des nantis. On fait ce métier, bien sûr, par engagement, par passion. Mais nous avons aussi une éthique qui est de favoriser l’accès à la culture pour tous. C’est le sens de nos concerts gratuits de midi à trois heures du matin, de notre programme pour enfants, de Cravan’jazz, etc., c’est la raison d’une politique tarifaire que nous essayons de contenir dans des limites acceptables. Par exemple, nos abonnements de Noël permettent pour 160 € (sur http://www.jazzavienne.com/) d’assister à 7 soirées de jazz à Vienne, quelle que soit la notoriété des artistes et à raison de 2 ou 3 concerts par soirée… Notre budget global est de 5 millions d’euros, et c’est sur cette somme que nous sommes autosuffisants à plus de 80 %. Je ne crains pas la comparaison avec d’autres types de manifestations dans d’autres esthétiques, peut-être plus officielles ou prétendues plus prestigieuses. Les valeurs du jazz, ce sont la liberté, inscrite au fronton de nos mairies, et l’innovation, deux caractéristiques de cette musique d’improvisation, c’est l’esprit de résistance, l’esprit de fraternité (encore un mot clef de notre devise républicaine). J’y inclus le refus de toute discrimination et je n’oublie pas que c’est Benny Goodman, un clarinettiste blanc, qui a pris tous les risques pour intégrer dans son orchestre d’abord Teddy Wilson (pianiste), Lionel Hampton (vibraphoniste) puis Charlie Christian (guitariste). À cette époque où sévit la ségrégation raciale, il impose la présence de ces musiciens noirs dans tous les lieux réservés aux Blancs, hôtels, toilettes, bus, etc. Eh bien, je suis ravi, car ce rapport montre à ceux qui placent les chiffres au-dessus de tout que les valeurs impalpables mais nobles du jazz peuvent produire des effets économiques. Mais la passion m’emporte !

Non, non, c’est intéressant. Il fallait que cela fût dit. Cependant, nous pouvons, si vous le voulez, revenir à l’étude d’impact.

Bien sûr. Ce qu’elle indique donc, cette étude, c’est que l’activité culturelle génère de l’activité économique, et dans des proportions qu’on n’imagine pas toujours. Dans notre cas, un euro de subvention rapporte quinze euros de retombées financières pour le territoire. C’est énorme ! Une seule anecdote : un dirigeant local du Crédit mutuel, notre partenaire, me confiait qu’il renfloue ses distributeurs automatiques d’une à trois fois par semaine en temps normal, c’est plusieurs fois par jour pendant le festival. Or, nous avons vendu environ 95 % de nos billets à l’ouverture du festival ! L’étude souligne d’ailleurs l’importance des manifestations gratuites sur cette activité. Toute notre équipe est fière devant ce constat que la musique de jazz, qui manque souvent de considération au plus haut niveau, qu’on range, pour aller vite, bien en dessous de Lully, Debussy, Molière… et qui sur l’échiquier culturel, en matière de subventions, arrive bien après la musique classique, la danse, le théâtre, la littérature sous toutes ses formes, oui, nous sommes fiers que cette musique soit un tel agent économique. C’est que nous, avec notre établissement public, nous avons une gestion rigoureuse et même exemplaire !

Au moins, c’est clair. Pour terminer, voulez-vous bien, pour les lecteurs des Trois Coups, lever un coin du voile sur la programmation de ce 35e anniversaire ?

« Lever un coin du voile » ? Il est un peu trop tôt pour y voir vraiment clair. Ce que je peux dire, c’est que l’équipe a l’envie et la volonté d’intensifier l’aspect purement festif de l’évènement. Nous avons des atouts pour cela. Toutes les manifestations de Jazz à Vienne se déroulent dans des lieux patrimoniaux : le Théâtre Antique, le Théâtre municipal que nous transformons en club de jazz, le temple et le jardin de Cybèle que nous aménageons de façon temporaire, le musée de Saint-Romain-en-Gal, et même le Jazzmix qui se tient sous un modèle de chapiteau hérité des années 1920 à 1930. Nous voulons aller plus loin et développer une offre qui fasse qu’on se sente dans une ambiance jazz où que l’on se trouve dans la ville de Vienne. Il s’agit de poursuivre l’œuvre colossale déjà réalisée par Jean‑Paul Boutellier et avec l’aide de nouveaux partenaires d’arriver à multiplier les activités et les propositions, peut-être un festival off pour que tout Vienne vive en jazz durant quinze jours et partage une passion que je voudrais universelle.

C’est ce qu’on vous souhaite. Merci à vous, Stéphane, de vous être prêté de bonne grâce à ce long entretien. 

Propos recueillis par
Jean-François Picaut


Jazz à Vienne 2015, 35e édition

À Vienne (Isère) du 26 juin au 11 juillet 2015

Festival Jazz à Vienne • 21, rue des Célestes • 38200 Vienne

Tél. +33 (0)4 74 78 87 87

Télécopie +33 (0)4 74 78 87 88

Renseignements : www.jazzavienne.com

Billetterie : billetterie@jazzavienne.com

Photo de Stéphane Kochoyan : © Jean-François Picaut

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