« Ex Machina », TNP, Carole Thibaut, Entretien

Carole Thibaut ©Heloise Faure

« Ne pas tricher »

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Directrice du Théâtre des Îlets, CDN de Montluçon, Carole Thibaut est aussi autrice, metteuse en scène et comédienne. Dans « Ex Machina », elle affirme ses convictions de militante féministe construites au fur et à mesure d’un riche parcours personnel et professionnel.

Vous n’en êtes pas à votre premier seule-en-scène !

Ce spectacle fait partie des solos que je crée depuis une quinzaine d’années et que j’appelle solo-performances, car je me prends comme sujet d’expérimentation de la question que je vais aborder. Pour être vraiment dans un rapport intime, très humain et pas du tout surplombant, j’essaie de voir comment celle-ci résonne dans ma vie. Toutefois, j’écris beaucoup mes pièces à partir de rencontres, cela me permet de sortir de référents partagés dans mon milieu et d’ouvrir à d’autres histoires humaines. J’ai aussi longuement discuté avec d’autres artistes, parce que je cherchais un regard décalé, qui ouvre.

Comment présenteriez-vous celui-ci ?

J’avais envie de travailler sur la question du genre et du pouvoir, de me demander ce que c’est d’être une femme. J’ai commencé comme comédienne dans les années 90, bien avant #MeToo, devant des metteurs en scène presque exclusivement masculins, puis comme jeune metteuse en scène devant des directeurs de théâtre qui vous jugent comme une exception un peu étrange, pas forcément intéressante. J’ai commencé dans cette culture-là et très rapidement je me suis retrouvée à la tête d’institutions, c’est-à-dire d’endroits de pouvoir, même si le CDN que je dirige est le plus petit de France. Mais c’est une institution publique de surcroît, ce qui était nouveau pour moi qui avais beaucoup travaillé en banlieue parisienne.

Alors que signifie représenter un endroit de pouvoir en tant que femme ? Quelles concessions faut-il faire ? A-t-on la même liberté de parole ? S’autocensure-t-on ? Comment se sort-on d’un parcours très fortement lié à la domination masculine ? D’autant que les actrices doivent affronter un regard très stéréotypé. C’est extrêmement violent, la manière dont les femmes sont jugées par les hommes !

Ex Machina, c’est tout cela. J’essaie de traverser les contradictions, mais par les expériences intimes. Je crois que c’est un des moyens de ne pas tricher, d’atteindre au politique, sans faire la morale. Quand j’aborde un thème au théâtre, c’est qu’il me tarabuste et que j’ai besoin d’emmener les gens avec moi dans ce questionnement. Sur le plan formel, cela m’amène aussi à travailler sur des formes de représentation.

Pourquoi l’idée de solo performance, qui renvoie plutôt à la danse, à l’art contemporain ?

Je ne suis pas du tout une performeuse stricto sensu. Cependant, ce que je fais sur le plateau est extrêmement difficile, y compris sur le plan physique : je mets mon corps en jeu, mon histoire et ma psyché en jeu. C’est très écrit, mais Ex machina m’amène à traverser des états de corps, des représentations très poussées qui viennent bousculer les habitudes. Je me prends moi-même comme sujet et cela me met en jeu de manière très intime. Si l’écriture introduit une dimension qui sort du réel, ça parle de moi, de mon parcours, de mon métier, de mon rapport avec mon père. Il y a un vrai travail de scénographie, une dimension visuelle pour atteindre la matière théâtrale.

N’est-ce pas compliqué de vous mettre en scène de façon aussi personnelle en regard de l’équipe que vous dirigez ?

Au contraire, ils savent que je ne triche pas. Nous avons beaucoup d’estime les uns pour les autres, on se connaît et on s’entend bien. J’ai la chance de travailler avec une équipe formidable qui m’a accompagnée, aidée dans mes moments de doute. Ce fut vraiment un travail d’équipe.

En revanche, j’ai été beaucoup surprise par l’accueil des représentants des tutelles qui ont trouvé ça « très fort ». En fait, les gens sont touchés quand on se met en jeu, on ne triche pas, on n’essaie pas de faire de la provoc’ gratuite. Un.e artiste, c’est quelqu’un qui essaie de faire bouger les choses avec sincérité et dans une recherche permanente. C’est pourquoi je trouve intéressant qu’on mette des artistes à la tête des lieux de création.

Vous parlez souvent de votre père, jamais de votre mère…

Quand je parle de mon père, je parle aussi de ma mère, car je trouve le couple très intéressant à regarder. Attention, je ne passe pas le spectacle à parler de mon père ! Mais, comme stéréotype de la culture patriarcale (il coche toutes les cases), il est utile pour aborder la construction de moi, en tant que fille, en tant que femme. Au fur et à mesure, je l’abandonne car, comme je le dis, « le problème, c’est pas mon père »… 🔴

Propos recueillis par
Trina Mounier


Ex Machina, de Carole Thibaut

Théâtre des Îlets, CDN de Montluçon
Écriture, mise en scène et interprétation : Carole Thibaut
Assistanat à la mise en scène : Liora Jacottet
Dialogues dramaturgiques et amicaux : Pascal Antonini, Caroline Châtelet, Marion Godon, Elsa Granat, Vanasay Khamphommala, Philippe Ménard
Régie générale et régie lumière : Guilhèm Barral
Lumière : Yoann Tivoli
Son : Karine Dumont
Vidéo : Benoît Lahoz
Costumes : Malaury Flamand
Durée : 1 h 35
Dès 15 ans

Théâtre National Populaire • Petit théâtre • salle Jean-Vilar • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne
Du 30 janvier au 3 février 2024, du mardi au samedi à 20 h 30, sauf jeudi à 20 heures
Réservations : 04 78 03 30 00 ou en ligne

Photos : © Héloïse Faure

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