À la mort, à la vie
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Dans une adaptation du documentaire de Fernand Melgar sur l’association Exit, Charles Templon nous fait entendre les mots de ses membres : malades et bénévoles. Un spectacle qui réussit à défendre le droit de mourir dans la dignité, tout en célébrant la vie.
Une dissolution et voici le travail sur la fin de vie des commissions parlementaires anéanti : il n’y aura pas en France aujourd’hui d’avancée législative. Il ne reste aux malades qu’à endurer leurs souffrances jusqu’à la fin ou à quitter leur pays pour faire appel, s’il en est encore temps, à une association en Belgique ou en Suisse. Exit est précisément l’une d’entre elles. Fernand Melgar lui a consacré un documentaire multi-primé (à voir ici): on y entend pour une fois non la voix d’experts ou d’autorités morales, mais les propos de ceux qui sont directement concernés. Comme c’est précieux.
En l’adaptant, le metteur en scène Charles Templon mise sur la polyphonie. On entend tout aussi bien la parole des bénévoles que les appels tantôt incongrus, tantôt bouleversants, qu’ils reçoivent. Quoi qu’il en soit, on est au plus près de tous ces personnages. L’effet de réel est donc très fort et la question du droit de mourir dans la dignité devient par conséquent très concrète. Elle a un visage, de multiples visages même.
Et, lorsqu’on écoute les membres d’Exit traiter ces cas si divers, il devient impossible de dénoncer une quelconque manipulation, ni un manque de professionnalisme des aidants. Le protocole apparaît comme il est : clair, immuable, scrupuleusement balisé. Et cela est aussi éclairant quand on ose évoquer un sujet si sensible.
Du docu aux vignettes colorées
Mais si Charles Templon est fidèle à la lettre (ses dialogues) du documentaire, il s’en démarque par son ton. L’adaptation semble le conduire vers des saynètes colorées, où il transforme les personnes en personnages. Par exemple, une mère devient moins compréhensive et plus haute en couleur. C’est comme si on soulignait le contour des personnages, comme si on les colorait quitte à les décaler. C’est pourquoi, les spectateurs pouffent souvent. Selon son expérience de la fin de vie, on appréciera sans doute différemment cet effet comique. Au soulagement de ceux qui avaient peur de découvrir un spectacle plombant répondra peut-être, pour d’autres, le désarroi de ne pas retrouver une expérience douloureuse. Spectateur averti en vaut deux.
Et pourtant, même quand on ressent une gêne – et par probité, je dirais que ce fut mon cas – on ne saurait dire que les enjeux de la fin vie, non plus que la souffrance des aidants et des aidés, sont évacués. Ainsi, Benjamin Gauthier joue avec délicatesse à la fois Laurent, responsable d’Exit dont l’implication à l’association a anéanti la vie affective, et Vincent un jeune homme condamné : deux visages de la souffrance. Le beau final de la pièce, ode à la liberté, nous le confirme aussi. En définitive, dans toute la pièce, la dérision, et le théâtre tiennent à distance l’intolérable. On le sait bien, parfois, il faut se presser de rire de peur de pleurer et le comique devient salvateur
Nos vies entières pourraient être ce théâtre
Et puis, dans sa réalisation même, la pièce est efficace. Belles lumières, scénographie simple mais pertinente, dramaturgie qui échappe au piège de l’égrenage linéaire de témoignages. Des scènes émergent ainsi comme des pics d’émotion. Rien de troublant dans la mise en scène mais elle marche.
Enfin, la pièce est servie par des bons comédiens. Si on a particulièrement aimé Nanou Garcia et Marie Sohna Condé, aucun ne démérite. Endossant tantôt le rôle de bénévoles tantôt celui de mourants, ils font non seulement la preuve de leur qualité, mais montrent que la vie peut nous distribuer ses rôles tour à tour. Certains feraient bien d’y penser…
Exit est donc non seulement par son sujet une pièce nécessaire, mais une pièce vivante, rythmée. Sans assener un point de vue, elle amène à comprendre que l’on ait besoin de mourir, comme une ultime liberté, par amour de la vie, la vraie vie. 🔴
Laura Plas
Exit, de Charles Templon
D’après le documentaire de Fernand Melgar
Adaptation : Karine Dubernet et Benjamin Gauthier
Site de Histoire de prod
Mise en scène : Charles Templon
Avec : Philippe Awat, Suzanne de Baecque (en alternance avec Lucie Gallo), Marie-Sohna Condé, Lucie Gallot, Nanou Garcia et Benjamin Gauthier
Durée : 1 h 15
Dès 13 ans
Théâtre du Train Bleu • 40, rue Paul Saïn • 87000 Avignon
Du 4 au 20 juillet 2024 (les jours pairs), à 13 h 20
De 14 € à 20 €
Réservations : sur place ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici
Tournée :
• Du 13 au 24 novembre, au Théâtre 14, à Paris
Captation : ici (réalisation : Ybao Benedetti ; production : Axe Sud) disponible en ligne sur France TV jusqu’au 17 septembre
Photos :
• Une : © Audoin Desforges
• Mosaïque : © Jean-Louis Fernandez © Audoin Desforges