Festival d’Alba 2024, bilan, Alba-la-Romaine

Vent d’ouest-Les-P’tits-Bras © Daniel-Michelon

Baba d’Alba

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Organisé par La Cascade, pôle national cirque Auvergne Rhône-Alpes, le Festival d’Alba a été resserré sur 5 jours, cette année. Une édition qui réservait, une fois de plus, de belles surprises, notamment « Huellas », geste universel d’une rare puissance, « League & Legend », qui nous a mis dans l’ambiance, à quelques jours du début des JO. La tête dans les étoiles, sur le terrain ou pas loin, tout près même, on a été amusée, émue, éblouie, rassérénée.

Après Avignon, se rendre dans cette jolie bourgade ardéchoise est une source de joie infinie. D’abord, pour l’accueil et l’ambiance, conviviale et festive ; ensuite pour les sites exceptionnels, entre pinède et bordures de rivière, entre Carbunica et village ; enfin pour les spectacles, beaucoup en extérieur. Une bulle d’oxygène ! Dans cette période âpre, l’humour et la légèreté font un bien fou.

« Lorsque nous arrivons à Alba-la-Romaine, nous avons un sentiment d’éternité. Des éléments sont là depuis toujours, d’autres depuis moins longtemps. L’histoire s’écrit jour après jour, mêlant permanence et impermanence », écrit Alain Reynaud, directeur-artiste. « Cette année encore, le Festival d’Alba sera unique. Ni d’hier, ni de demain, mais d’un présent absolu, avec ses circonvolutions, son cirque en ébullition, mais aussi ses questions posées par l’époque. Heureusement les imaginaires sont là pour accompagner nos réalités. »

Du public © Sarah Meneghello ; Alba-la-Romaine © Daniel Michelon ; Le Carbunica © Matthieu Dupont

La fréquentation a été au beau fixe avec 26.000 spectateurs. Un succès qui repose sur l’éclectisme et l’accessibilité (plus d’un tiers de représentations gratuites), des esthétiques variées, des formats insolites, des sujets actuels mais pas traités de façon plombante. D’ailleurs, comme souvent, la programmation laisse la part belle au clown, discipline chère au digne représentant des Nouveaux Nez & Cie. Après deux spectacles, l’an passé, Alain Reynaud n’a pas proposé de mise en scène cette fois-ci. Son dernier solo, le Pas seul, créé au Prato en octobre dernier, sera repris à La Cascade à la rentrée.

« 3 clowns », Les Bleus de travail © Christophe Frossard-Alfonsi ; « Les Mouches », Macarena Gonzalez Neuman © Daniel Michelon ; « Happy apocalypse to you », Les Enfants sérieux © Daniel Michelon

Celui qui se définit comme un « exa-gérant » accueille donc volontiers des excentriques, qu’ils soient émergents comme Macarena Gonzalez Neuman, ou de l’ancienne génération (Les Bleus de travail). Solo de clown tordu et bourdonnant, les Mouches (rien à voir avec Jean-Paul) est un peu frais. La contorsionniste et performeuse excelle malgré tout dans son entrée qui dure près d’un tiers de la représentation.

Dans 3 clowns, 55 ans sont passés. Monsieur Lô, le Blanc et les Augustes Marcel et Airbus révisent leurs classiques et ça dérape. Perruques, grandes chaussures, peau de banane, tarte à la crème, coups fourrés, scintillements, mélancolie, cascades, crâneries, fausses sorties… Tout y est (ou presque). Dernier tour de piste ou hommage aux clowns d’antan ?

Happy apocalypse to you (Les Enfants sérieux) traite d’un sujet plus actuel, de façon aussi enjouée (mât chinois et scratching DJ). Face à toute difficulté, y compris la fin du monde, ces deux hurluberlus font preuve d’un inlassable optimisme : « L’apocalypse n’arrive pas tous les jours : il faut fêter ça, ensemble ».

Sous les étoiles d’Alba

Dispositif original pour les Fauves(cie Ea Eo), dont nous découvrons une nouvelle configuration. En, effet, il était impensable en pleine Ardèche asséchée, de programmer un spectacle qui nécessitait près de 100 m3 d’eau pour un chapiteau bulle. Avec une voûte céleste comme toile, donc !

« Les Fauves », cie Ea Eo © Daniel Michelon

Le spectacle demeure en deux parties avec une déambulation entre ménagerie et piste animée par un dresseur de cerceaux hypnotique et une musicienne harangueuse. Entre un aquarium dans lequel évolue un jongleur-nageur en costume argenté et un dance floor aux parois transparentes, le public déambule dans une ménagerie, comme au sein d’une installation d’un musée sauvage. En boucle, les interprètes y évoquent de façon ironique le destin humain. Puis les fauves sont lâchés. Sous l’eau, avec la plante des pieds, de loin, en transe, le jonglage se donne à voir sous un autre jour, il n’y a pas de doute (lire notre critique).

« Salto », El Nucleo © Daniel Michelon

Impossible de ne pas se rendre au Théâtre Antique. Encore plus près du ciel. Salto(El Nucleo) explore les limites. 11 acrobates, 11 parcours, 1 chrono… Le but : rester en l’air pendant 10 minutes. Ce défi sera-t-il relevé ? Ou remis en question ? Les interprètes sont invités à user d’imagination et de stratégie. C’est chaud ! Mais ce show est avant tout une réflexion sur le grand saut, que chacun choisit (ou pas) de faire. Ce spectacle vitaminé questionne de multiples enjeux sociaux, nos prises de décision et nos modes d’action (lire notre critique)

À présent, direction le Carbunica où l’on peut se restaurer, à l’abri d’une installation sous les arbres, mais également s’initier aux disciplines circassiennes (40 ateliers gratuits), avant d’assister, chaque soir, à un concert. Autour, des spectacles gratuits (16 sur 53 représentations) font la joie d’un public familial.

Dans League & Legend, 15Feet6 descend sur le terrain. Dans un cercle cerné par le public, Mateo Girón, Niko Miettinen et Richard Fox nous livrent leur version accélérée d’une Olympiade. L’une de leurs spécialités est la barre russe et c’est d’ailleurs de là que vient le nom de la compagnie (15 pieds 6, ou 473 cm est la longueur de leur premier agrès). Ensuite, le répertoire de spécialités s’élargit à la bascule, le mât chinois, les patins à roulettes en duo, la roue Cyr, le vélo acrobatique. Armés de perches et de rubans adhésifs, ils pulvérisent donc les records. Figurant vélo, cheval, poutre, ils évoquent avec malice et poésie, de nombreux sports et moult situations, souvent cocasses. Chaque coup de sifflet annonce une surprise. Débridé et virtuose, le trio cosmopolite nous en met plein la vue. Roboratif.

Terrain glissant

À l’antithèse,Huellas (cie Hold Up & Co), traces en espagnol, est contemplatif. Au théâtre de la Roche, installé au pied du rocher, deux acrobates évoluent dans un carré empli d’argile molle. De leurs observations du site paléolithique du Rozel, Olivier Meyrou et Matias Pilet ont tiré des pistes de réflexion sur ce qui fait la permanence de la nature humaine : notre part animale. Bien vu dans un contexte de progression anxiogène de l’IA…

Les empreintes laissées par Néandertal ont nourri leur imaginaire et inspiré des acrobaties originales. Recréant des mouvements liés à la nécessité de vivre, cherchant là des réponses à des questions existentielles, le duo se fait archéologue et anthropologue. Accompagnés en live par Karen Wenvl (musicienne et chanteuse mapuche), ils marquent le sol, jouent et luttent, pour s’apprivoiser, se défier et aborder l’évolution des rapports humains.

« Huellas, cie Hold Up & Co © Daniel Michelon

La chorégraphie est riche en rebondissements et très exigeante. Roulades, empoignades, glissades… S’arracher au sol n’est pas aisé. Les deux interprètes sont uniques, tant dans la puissance que l’agilité. Fernando, au physique robuste et massif, est terrien, tandis que Matias est aérien. Ces énergies complémentaires, ces deux êtres aux identités différentes parviennent à créer un langage commun. Si cette incursion dans notre passé ancestral pouvait nous permettre de mieux appréhender l’avenir !

Enfin, le Vertige de l’envers (L’Envolée Cirque), forme tout terrain à destination du jeune public, est un moment onirique que nous avions apprécié dès la création (lire notre critique). Défiant avec grâce et inventivité la pesanteur et la logique, Pauline Barboux et Nicolas Longuechaud représentent un monde étrange et merveilleux.

Spectacles barrés, ancré, perché… Les pieds sur la terre ardéchoise et la tête dans les étoiles, nous voilà comblée. Oui, on est fan, on est baba d’Alba. 🔴

Léna Martinelli


League & Legend, cie 15Feet6

Site de la cie
Mise en scène : Jasper D’Hondt
Avec : Mateo Girón, Niko Miettinen, Richard Fox
Production : Tropic Sound Circus vzw & Le Patineur
Tout public
Durée : 40 minutes
Tournée :
• Le 14 juillet, à Nassogne (Belgique)
• Du 18 au 21 juillet, à Munich (Allemagne)
• Le 31 juillet, à Port-Saint-Louis-du-Rhône
• Les 2 et 3 août, à Thonon-les-Bains
•Le 6 août, à Pornichet
• Le 9 août, à Boulleret
• Le 11 août, à Flers

Huellas, d’Olivier Meyrou et Matias Pilet

Cie Hold-Up & Co
Mise en scène : Olivier Meyrou
Avec : Matias Pilet et Fernando González Bahamóndez
Musicienne : Karen Wenvl
Plasticienne : Bonnie Colin
Tournée :
• Du 23 au 25 octobre, dans le cadre de Circa, à Auch
• Du 8 au 18 janvier 2025, Théâtre du Rond-Point, à Paris

Festival d’Alba-la-Romaine

15édition, du 9 au 14 juillet 2024
Organisé par La Cascade, pôle national cirque à Bourg-Saint-Andéol
Toutes les infos ici
Billetterie ici
Infos pratiques ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
Bilan Festival d’Alba 2023, par Léna Martinelli

Photo de une : « Vent d’ouest », Les P’tits Bras © Daniel Michelon

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